Le théâtre traditionnel japonais adopte un jeune Franco-Japonais

Le théâtre traditionnel japonais adopte un jeune Franco-Japonais

Maholo Terajima est le premier acteur binational de l’histoire du kabuki, forme de théâtre traditionnel japonais. En mai, il donnera ses premières représentations sur une grande scène de Tokyo et deviendra officiellement Onoé Maholo.

Kabuki, kezako ?

Mais avant tout, qu’est-ce donc que le kabuki ? Influencé par le théâtre Nô et le théâtre de poupées Bunraku, il s’en est détaché au cours de ses plus de 400 ans d’histoire, tout en se codifiant à l’extrême. Une de ses particularités est que tous les rôles sont joués par des hommes. Le théâtre kabuki est inscrit sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2008.

Le terme Kabuki est composé des idéogrammes 歌 (ka), 舞 (bu) et 伎 (ki) qui signifient respectivement « chant », « danse » et « technique ». Dans le langage courant, le mot « kabuki » évoque aussi une certaine extravagance, quelque chose qui sort de la norme et de l’ordinaire.

Étonnamment c’est une femme qui serait à l’origine de cet art aujourd’hui uniquement réservé à la gent masculine. En 1603, une prêtresse shinto dénommée Izumo no Okuni donnait des représentations religieuses de danse nenbutsu odori, dans le but de collecter des fonds pour le sanctuaire d’Izumo. Elle se travestissait pour jouer les rôles masculins dont certains étaient mis en scène dans les quartiers des plaisirs, proposait des danses à caractère sensuel et érotique. Même si ses représentations choquèrent le shogunat, elle fit des émules et entre 1607 et 1620, de nombreuses troupes de femmes souvent issues du milieu de la prostitution reprirent le flambeau et interprétèrent à leur tour des pièces tout aussi provocatrices.

Comme le théâtre à ses débuts en Europe, le Kabuki et ses interprètes étaient souvent mal considérés, d’autant plus qu’ils se produisaient essentiellement dans les quartiers de plaisirs, et les limites avec la prostitution étaient souvent floues. Paradoxalement, ce sont les nombreuses interventions des autorités qui ont permis au Kabuki actuel de se forger :

  • En 1629, le shogunat Tokugawa interdit aux femmes de se produire dans des pièces de Kabuki afin d’éviter les nombreux troubles à l’ordre public liés à la prostitution, au point de faire disparaître les troupes de femmes.
  • En 1653, le shogunat interdit aux jeunes hommes – qui avaient pris le relais des femmes pour leurs rôles – de se produire, pour les mêmes raisons. C’est ainsi que naît l’onnagata (女形), le rôle de femme interprété par des acteurs spécialisés et d’âge mûr.

Ancestral mais moderne

Rester à la pointe de la modernité a toujours été une préoccupation du Kabuki, notamment sur le plan technique avec l’importation et l’amélioration de dispositifs scénographiques.

C’est une des branches de la famille Ichikawa, longue lignée d’acteurs, de metteurs en scène, que vient une partie du succès actuel du Kabuki. Ichikawa Ennosuke III a créé en 1986 le Super Kabuki, qui visait à élargir le public potentiel en présentant toujours les classiques du Kabuki selon les techniques ancestrales, mais en intégrant aussi des classiques chinois, ou des légendes japonaises populaires et en utilisant les avancées techniques lors des représentations. Le concept est repris en 2014 par son successeur Ennosuke IV avec le Super Kabuki II (Second) qui ouvre le répertoire à un public encore plus large. Ainsi, des mangas populaires comme One Piece ou Naruto voient certains de leurs arcs emblématiques adaptés, ou encore l’hologramme de Hatsune Miku s’invite dans un classique du XVIIIe siècle.

Fin 2019, une des stars actuelles du Kabuki, Ichikawa Ebizo XI, a même adapté Star Wars, dont il est fan, pour une représentation unique avec son fils.

Ouverture aux étrangers ?

Les amateurs occidentaux ne découvrent que progressivement le théâtre japonais, d’abord par les témoignages des premiers voyageurs et des résidents étrangers qui arrivent au Japon dans les années 1860-1870, puis, peu à peu, par les travaux et traductions des pionniers des études japonaises.

En revanche, les occasions d’en voir réellement restent rarissimes : de l’ouverture de Meiji aux années 1950, seules quatre troupes s’aventurent sur les scènes étrangères avec des spectacles se réclamant, à plus ou moins juste titre, du kabuki.

Après un bref rappel des productions de Kawakami, de Hanako et de Sadanji, cet article se concentre sur la longue (janvier 1930-avril 1931) tournée de Tsutsui Tokujirō qui rencontra un grand succès dans pratiquement toutes les capitales européennes ; négligé par les historiens japonais, le travail de Tsutsui exerça pourtant une influence considérable sur les metteurs en scène européens avec des spectacles relativement proches de l’esprit du kabuki authentique.

Maholo Terajima

On comprend mieux désormais l’émoi qui a parcouru le Japon au début du mois de février à l’annonce qu’un Franco-Japonais allait rejoindre une troupe officielle surtout si jeune. En effet, en mai, Maholo Terajima deviendra officiellement Onoé Maholo, un acteur de kabuki.

Après sa journée d’école, il rejoindra la grande scène du Kabukiza, un haut lieu de la discipline qui a pignon sur rue dans le quartier de luxe de Ginza, à Tokyo. Il sera sur scène du 2 au 27 mai avec seulement deux jours de relâche. 

Mais ce n’est pas le hasard si Maholo est devenu un adepte du kabuki, son père Laurent Ghnassia, directeur artistique au Japon fut le premier binational en charge d’un théâtre de kabuki au Japon.

Réception à l’ambassade de France en l’honneur de Maholo Terajima en février 2023 ©AFP

Pour Philippe Setton, ambassadeur de France au Japon, « Nous nous trouvons dans une situation inédite. C’est la première fois, en 400 ans d’histoire du kabuki qu’un binational devient acteur. » 

Ainsi Le jeune acteur devient malgré lui, « un symbole de l’amitié France-Japon »

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