Une nouvelle problématique lourde de conséquences négatives pour les non-résidents
L’avènement des nouvelles technologies informatiques de communication et d’échanges d’informations vient avec la pandémie COVID 19 de donner une impulsion décisive à la dynamique du travail dans les entreprises, avec le développement du télétravail.
En effet pour poursuivre leurs activités lors des périodes de confinement, elles n’ont eu de choix quand cela était possible de permettre à leurs employés de continuer à exercer à leur domicile.
Des accords ont été trouvés entre Etats membres européens pour permettre d’exercer ce télétravail sans incidence sur les législations sociales et sur les impositions.
Dans cet article nous allons traiter des problématiques spécifiques des non-résidents depuis le 1er juillet 2022 puis à partir du 31 décembre 2022, et des attentes légitimes de nos concitoyens résidant dans un Etat membre et exerçant dans l’autre.
La réglementation française
Le télétravail en droit français est encadré par la loi via l’article 1222-9 du Code du travail.
Vous pouvez lire la version du 27/12/2021 de cet article en cliquant ici.
La sécurité sociale et l’Europe
Chaque Etat membre définit également dans sa législation ses propres réglementations. Cependant la législation européenne pose une règle simple : une personne travaillant dans plusieurs pays de l’Union Européenne ne peut cotiser que dans un seul pays.
Un non-résident travaillant dans un pays frontalier et télétravaillant dans son pays de résidence ne peut dépendre que d’un seul système de sécurité sociale.
Il reste assujetti à la sécurité sociale de son pays de travail habituel si le travail dans son pays de résidence dans le cadre du télétravail ne dépasse pas 25% de son temps de travail global / ou de sa rémunération. Ce seuil s’apprécie sur une année civile.
En cas de dépassement de ce seuil (à savoir travailler dans son pays de résidence 25% ou plus de son temps de travail/rémunération), le travailleur doit être affilié à la sécurité sociale de son pays de résidence et y cotiser sur l’ensemble de ses revenus.
Le 14 juin 2022, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a approuvé l’instauration d’une période transitoire pour la désignation de l’État membre compétent pour la sécurité sociale des télétravailleurs.
La période transitoire a les mêmes effets que les mesures Covid-19, de sorte qu’il n’y a pas de changement de l’État membre compétent à partir de 25 % de télétravail dans l’État de résidence.
Cette période de transition (initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2022) a été prolongée jusqu’au 30 juin 2023.
L’Europe travaille sur le sujet, mais prend-elle en compte suffisamment les besoins des frontaliers ?
La fiscalité
Dans le cadre de l’exercice d’une activité dans le secteur privé partagée entre télétravail et période d’emploi dans les locaux de l’employeur, l’application de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique a pour conséquence une imposition partagée entre le pays de résidence et le pays habituel de travail au prorata des jours de travail exercés dans chacun des pays et ce dès le premier jour de télétravail dans le pays de résidence.
D’autres pays européens limitrophes de la France ont adopté des dispositions différentes avec la France notamment le Luxembourg et la Suisse, pourtant hors de l’UE.
L’accord signé pour la période covid reste valide : pas de changement fiscal en Suisse jusqu’au 31 décembre 2022
Le Luxembourg autorise 34 jours de télétravail sans changement de législation.
En Espagne, dès que le salarié exerce son activité en télétravail sur le territoire espagnol, y compris s’il est français et qu’il est en télétravail pour un employeur français, il relève automatiquement du régime de sécurité sociale espagnole et de la fiscalité espagnole.
Un avenant au contrat de télétravail devra être rédigé, bien que régi par le droit français ne devra pas contredire les lois de police espagnoles et en particulier les règles impératives de protection minimale du droit du travail espagnol.
En Allemagne, le statut de frontalier détermine que l’impôt est perçu dans le pays de résidence, et si le statut de frontalier est perdu, il faut se référer à la convention fiscale qui fixe l’imposition généralement dans le pays d’emploi.
En Italie, le régime des expatriés permet aux résidents étrangers la possibilité d’une détaxation de 70% sur tous leurs revenus générés dans le pays, la non double imposition est en vigueur.
Un Digital Nomad visa d’un an renouvelable permettra de bénéficier de ce taux dès que résiderez en Italie plus de 183 jours par an (obtention du statut de résident fiscal).
De même un accord a été conclu entre la principauté de Monaco et l’Italie favorisant le télétravail des résidents italiens exerçant pour une entreprise installée en principauté.
Pour les personnes résidant dans la zone frontalière, l’imposition appartient au pays de résidence.
Le télétravail pour les transfrontaliers résidant en Belgique
Les grands oubliés de la nouvelle convention fiscale franco-belge…
La dernière crise sanitaire a mis en lumière l’usage du télétravail dans de nombreux secteurs. Celui-ci a même été rendu obligatoire au plus fort de la crise pour les activités le permettant et est ainsi devenu un élément incontournable dans la lutte contre cette pandémie.
Lors de cette crise, des accords temporaires ont été passés entre la Belgique et la France pour éviter un impact sur la fiscalité des transfrontaliers. En effet, en dehors de cet accord temporaire (qui a pris fin en juillet dernier), le télétravail a un impact direct sur leur fiscalité avec une imposition des jours télé travaillés en Belgique et ce dès le premier jour télé travaillé pour le secteur privé.
Pendant cette même crise sanitaire, les autorités des 2 pays ont finalisé un accord pour la mise en place d’une nouvelle convention franco-belge qui devrait prendre effet en 2023 après ratification des parlements des 2 États. Quelle ne fut pas la (très mauvaise) surprise des transfrontaliers de ne trouver aucune prise en compte du télétravail de manière pérenne dans cette nouvelle convention.
Cette situation non prise en compte est d’autant plus surprenante que de telles clauses existent pourtant déjà dans d’autres conventions impliquant les 2 pays :
Un résidant belge travaillant au Luxembourg peut travailler en dehors du Luxembourg (et donc télétravailler en Belgique) jusqu’à 34 jours par an sans impact fiscal.
Un résident français travaillant au Luxembourg peut travailler en dehors du Luxembourg (et donc télétravailler en France) jusqu’à 29 jours par an sans impact fiscal (augmenté à 34 jours à partir de 2023).
Le monde du travail post-crise sanitaire a incontestablement déjà revu sa façon d’appréhender le télétravail avec une généralisation déjà en place dans de nombreuses entreprises. De nombreux transfrontaliers sont aujourd’hui contraints de refuser de télétravailler, l’impact financier par jour télétravaillé pouvant être très élevé (sans parler des lourdes, complexes et longues démarches administratives pour récupérer une partie de la RAS en France déjà prélevée et ayant généré une double imposition).
Les problématiques relevées par les non-résidents
La convention actuelle et future pénalise les personnes et entreprises ayant une démarche de diminution de leur empreinte carbone en forçant en quelque sorte les employés transfrontaliers à être présents physiquement en leur lieu de travail traditionnel.
Les problématiques de la législation sociale et de l’imposition ne sont que la partie émergée de l’iceberg et démontrent que le sujet a été gravement sous-estimé car elles ne permettent pas au non-résident de bénéficier du télétravail dans de bonnes conditions et créent de fait une insécurité sur leur condition individuelle.
Les rémunérations, la fiscalité, la législation sociale sont très différentes entre nos deux pays et sont difficilement comparables à emploi identique.
Des points qui méritent une grande vigilance de nos gouvernants
La situation actuelle entrave ainsi la libre circulation des travailleurs en désavantageant les transfrontaliers par rapport à un résident français pour les mêmes fonction, salaire et conditions de travail. Les transfrontaliers subissent une double peine en ne pouvant pas bénéficier des nombreux avantages du télétravail et en voyant leurs frais de déplacement s’envoler par rapport à leurs collègues.
On peut également remarquer que certaines entreprises françaises commencent à refuser d’embaucher des transfrontaliers pour donner suite à cette contrainte forte liée au télétravail.
Exemple : comment s’appliquera le droit du travail et l’indemnisation du télétravail en cas d’accident du travail lorsque le salarié sera sous le coup de la législation du pays de résidence et non de celle de son employeur, alors même que le contrat de travail est de droit français ?
Et c’est sans compter la crise énergétique et l’inflation galopante qui viennent complexifier nos problématiques.
Trouver une solution simple de bon sens
Pourquoi ne prend-on pas rapidement la décision de simplifier le travail des administrations, des chefs d’entreprise et faciliter la vie de tous les non-résidents ?
Des discussions au niveau européen sont en cours pour mieux prendre en compte cet aspect du télétravail avec un seuil actuel de 25% lié à la sécurité sociale.
Alors si l’Europe promeut la liberté de circulation et d’échanges, pourquoi ne prend-elle pas la décision de faire appliquer un texte ratifié et validé par les Etats membres faisant bénéficier à chaque citoyen non-résident du droit au télétravail de manière pérenne en augmentant ce taux de 25 % ?
Les gouvernements français et belge ont mis moins d’un mois pour trouver un accord temporaire pour passer un accord fiscal temporaire sur le télétravail dans le contexte de la crise sanitaire.
Pourquoi ne peuvent-elles ou ne veulent-elles pas rapidement intégrer un chapitre lié au télétravail dans la nouvelle convention ?
Protéger et garantir la sécurité des citoyens et de leurs familles sur le long terme devraient être un droit reconnu par nos gouvernements respectifs.
Le groupe Facebook des non-résidents contribuables en France demande à ce que la nouvelle convention franco-belge soit amendée de manière urgente avant toute ratification par les parlements en y ajoutant au minimum un quota de 50 jours couvrant les jours travaillés hors de France : « Un résident d’un Etat contractant qui exerce un emploi dans l’autre État contractant et qui, au cours d’une période imposable, est physiquement présent dans le premier État et/ou dans un État tiers pour y exercer un emploi durant une ou des périodes n’excédant pas 50 jours, est considéré comme exerçant effectivement son emploi dans l’autre État durant toute la période imposable ».
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