Le sursaut de l’aide française, nécessaire mais insuffisante

Le sursaut de l’aide française, nécessaire mais insuffisante

Cette semaine, l’OCDE publiait les chiffres de l’aide consacrée aux pays en développement par les pays riches en 2021. L’occasion d’analyser les actions prises sur ces cinq dernières années par la France, de faire un bilan de cette nouvelle impulsion souhaitée par Emmanuel Macron dès 2017, mais surtout de regarder les défis auxquels il sera nécessaire de faire face dans les semaines, mois et années à venir.

Louis-Nicolas Jandeaux est expert en financement des pays en développement chez Oxfam France.

En 2021, comme depuis désormais quatre ans, l’aide de la France à destination des pays en développement est en hausse de 4,6% et atteint un niveau sans précédent. Entre choix politiques, pandémie, crise économique et sociale, l’aide au développement est redevenue une priorité de la politique internationale de la France.

Elle dispose désormais de son propre cadre légal et d’une programmation afin de s’assurer qu’en 2025, 0,7% de notre richesse nationale soit consacrée au soutien des populations les plus vulnérables de la planète. Un tel engagement fut la conclusion d’un long travail de pédagogie des ONG mais aussi le fruit d’une mobilisation unanime des parlementaires, permettant enfin d’honorer cette promesse vieille de 50 ans.

Ce sont donc plus de 13 milliards d’euros qui ont contribué à notre aide au développement l’an passé. Après six ans de baisse, voire de stagnation entre 2010 et 2015, la croissance de l’aide à partir de 2016 qui s’est largement accrue entre 2017 et 2021 a permis à la France de conforter sa place de 5e principal pays donateur d’aide dans le monde. Ces progrès globaux ont également impacté les opérateurs de l’aide française. Ainsi, l’Agence Française de Développement favorise ainsi progressivement une attention de plus en plus importante sur la lutte contre les inégalités, en adoptant entre autre début 2021 une « stratégie 100% lien social » qui implique que chaque projet soit désormais analysé sous ce prisme.

Évidemment, ces différents progrès sont à saluer, mais les crises qui s’accumulent actuellement sont un triste rappel à la réalité. Les progrès réalisés depuis cinq ans, bien que nécessaires, ne sont pas suffisants ou adaptés pour faire face à ces nouvelles crises.

Financements trop faibles à destinations des pays les plus pauvres ; qui n’intègrent pas suffisamment la question de l’égalité femmes-hommes ; ou encore majoritairement prêtés plutôt que donnés, aggravant un peu plus le rouage du surendettement… Les défauts sont encore trop nombreux avant de parvenir à une aide au développement qui « lutte contre les inégalité mondiales » comme cela est souhaité par la nouvelle loi française.

Une situation d’autant plus dommageable que les crises que nous traversons se multiplient. Dans notre dernier rapport, « First crisis, then catastrophe », publié cette semaine, nous alertons sur le fait que 260 millions de personnes supplémentaires vont sombrer dans l’extrême pauvreté d’ici à la fin de l’année 2022. Un constat d’autant plus problématique que l’extrême pauvreté avait augmenté en 2020 pour la première fois depuis plus de 20 ans avec l’émergence du coronavirus.

En effet, au-delà des multiples conséquences de la crise du coronavirus, la crise en Ukraine multiplie à nouveau les besoins financiers nécessaires à travers le monde et participe à cette inflation de la pauvreté. Des millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes ont été contraints de quitter leur domicile, trouvant pour la plupart refuge dans des pays frontaliers, voire dans d’autres pays européens. Mais ces défis se situent également bien au-delà des frontières européennes. La crise ukrainienne est entre-autres à l’origine d’une inflation massive dans le système alimentaire mondial, et ce sont les personnes souffrant de la faim dans d’autres régions du monde qui en pâtiront le plus.

Au Mali, par exemple, le triple impact de l’insécurité croissante, des sécheresses et de la Covid-19 a plongé un nombre record de 1,2 million de personnes dans une crise alimentaire en 2021. Malheureusement, le conflit en Ukraine risque fort d’avoir un impact négatif sur le déploiement des fonds nécessaires au soutien à la région du Sahel. Certains pays riches ont déjà indiqué qu’ils procéderaient à une réduction massive de leurs financements en Afrique de l’Ouest afin de soutenir les opérations en Ukraine.

Face à cette situation, l’aide française ne pourra se limiter sur les cinq prochaines années aux progrès déjà actés, il faudra faire plus, mais surtout mieux. Le futur gouvernement ne devra en aucun cas remettre en question notre devoir de solidarité auprès des femmes, des hommes et des enfants du monde entier qui sont confrontés aux défis les plus divers, de la guerre à la pauvreté, de la crise climatique aux inégalités structurelles.

Dans ce contexte, tout financement qui viserait à répondre à l’impact de la crise Ukrainienne devra évidemment s’additionner aux budgets déjà prévus pour la solidarité internationale.

Au final, la re-priorisation de l’aide au développement dans notre politique internationale par le précédent gouvernement est un élément positif, mais qui devra nécessairement être poursuivi et accompagné d’efforts supplémentaires dans la conception même de notre aide, afin de réellement lutter contre la pauvreté et les inégalités à travers le monde.

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