Dans cette période de perte de repères, la tentation est grande de renouer avec l’ancestrale tradition du protectionnisme comme en témoigne le combat mené en France, par un grand nombre d’acteurs économiques et sociaux à l’encontre de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada – Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA). Qu’un pays peuplé de 37 millions d’habitants, situé à près de 7 000 kilomètres inspire une telle crainte, interroge. Entré en vigueur depuis 2017, à titre provisoire, ce traité a été pour le moment bénéfique pour la France et n’a pas donné lieu à une invasion de viande canadienne. L’hystérisation sur les accords commerciaux ne concerne pas que le Canada, les États d’Amérique latine ou la Nouvelle-Zélande en ont fait également les frais.
Depuis qu’elle ose exporter des voitures, la Chine devient de plus en plus suspecte. La France n’a pas l’exclusivité du souverainisme économique comme le prouve la campagne électorale américaine. Sur ce sujet, le chroniqueur du New York Times, Ross Douthat, dans son dernier livre, « Bienvenue dans la décadence » met en garde le candidat Donald Trump sur les effets d’une augmentation des droits de douane en indiquant non sans malice que « si le protectionnisme fonctionnait, la France serait devenue, ces trente dernières années, la première puissance économique européenne ».
Le protectionnisme est éminemment populaire.
Vu de l’étranger, notre pays est perçu comme particulièrement peu ouvert contrairement au sentiment dominant au sein de la population que ce soit au niveau agricole, culturel ou industriel, en accordant des subventions aux exploitants tout en leur permettant d’exporter, la politique agricole commune constitue bien souvent une entrave aux échanges pour les autres grands pays producteurs. Outre les questions financières, il convient également de prendre en compte les barrières normatives qui peuvent être d’une rare efficacité.
Le protectionnisme est éminemment populaire. Pour autant son application dans l’histoire prouve qu’il génère plus de perdants que de gagnants. Parmi ceux-ci, figurent en tête les consommateurs contraints d’acheter des produits plus chers et parfois de mauvaise qualité. Protégés par les barrières douanières, les producteurs nationaux réalisent moins de gains de productivité et ont tendance à augmenter leurs prix, faute de concurrence. L’amputation du pouvoir d’achat des ménages ainsi générée empêche ces derniers d’acheter d’autres biens ou services pouvant être produits dans leur pays.
Les mesures protectionnistes décidées par Trump : une perte de pouvoir d’achat de 51 milliards de dollars
Selon les économistes Emily Blanchard, Chad Bown et Davin Chor, l’ensemble des mesures protectionnistes décidées par Donald Trump entre 2016 et 2020 aurait provoqué une perte de pouvoir d’achat de 51 milliards de dollars pour les consommateurs américains et la croissance aurait été diminuée de 0,3 point de PIB. Les gains pour les producteurs américains « protégés » ont été estimé à 7 milliards de dollars, soit 0,004 % du PIB. De leur côté, les exportateurs ont été pénalisés par les mesures de rétorsion prises par les pays touchés. Les cultivateurs américains de soja ont été ainsi privés de débouchés en Chine. L’administration américaine a été contrainte en 2018 de préparer un plan de soutien de 12 milliards de dollars pour compenser le manque à gagner pour le secteur. Les effets sur l’emploi sont incertains.
Toujours aux États-Unis, quand Jimmy Carter décida de taxer l’acier importé en 1979 afin de favoriser les sidérurgistes américains, l’industrie automobile de Detroit licencia plus de 200 000 salariés. Les consommateurs ont, alors, préféré les voitures japonaises moins chères et de meilleure qualité que les Américaines fabriquées avec de l’acier local.
Le renouveau protectionniste en Occident traduit une imprégnation de l’acceptation de l’idée de déclin. La mondialisation des années 1990/2000, avec l’intégration dans les circuits commerciaux de la Chine et des autres pays d’Asie, aurait rendu inepte les théories économiques concernant les échanges dont celle des avantages comparatifs.
L’éclatement des chaînes de production a abouti à la multiplication des interdépendances.
Cette théorie repose sur le double principe de l’impossibilité pour un pays de vivre en autarcie et sur la spécialisation dans les domaines où ce dernier est le moins mauvais. Aujourd’hui, tous les pays sont interdépendants, de la Chine aux États-Unis en passant par la France ou l’Allemagne. Les entreprises chinoises ont besoin d’énergie et de biens technologiques achetés à l’étranger. L’éclatement des chaînes de production a abouti à la multiplication des interdépendances. Les acheteurs comme les vendeurs sont intimement liés.
Au nom de l’indépendance nationale, dans des secteurs sensibles, les États peuvent être tentés de maintenir des sites de production. La sophistication des équipements militaires est telle qu’aujourd’hui aucun pays ne peut être autonome. Ce qui compte est de ne pas être tributaire d’un seul fournisseur ou d’un seul pays. Au moment du covid, le souverainisme économique a eu son heure de gloire avec les masques. Les gouvernements européens et tout particulièrement français ont été critiqués en raison de l’absence d’usines de fabrication de masques chirurgicaux sur leur territoire. Or, ce produit à faible valeur ajoutée n’est devenu stratégique que le temps de l’épidémie. Le point clef n’était pas tant l’origine des masques que le maintien de stocks ou la capacité des fournisseurs à produire rapidement.
Si la France devait être autonome pour tous les produits comme les masques, elle serait peuplée d’une multitude d’usines tournant quelques heures et accumulant des pertes abyssales.
Dans son histoire économique contemporaine, la France a connu ses périodes de plus forte croissance quand elle a décidé de jouer le jeu du libre-échange aussi bien durant la Monarchie de Juillet, après la signature commerciale franco-britannique de 1864 qu’après l’adhésion au Marché commun de 1957. Pour autant, à chaque fois, la population a été hostile à la libéralisation du commerce, ce qui conduit, en période d’incertitudes, les pouvoirs publics, fragilisés par la succession des chocs économiques, sociaux ou géopolitiques, à opter pour la facilité économique qu’est avec le protectionnisme, facilité qui n’en demeure pas moins une grave erreur.
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