Le pétrole face à son destin 

Le pétrole face à son destin 

En 1977, le Président américain, Jimmy Carter déclara qu’il était temps de « parler désagréablement de la crise énergétique à la population ». Quatre ans après le premier choc pétrolier, il souhaitait attirer l’attention de ses concitoyens sur les conséquences de la dépendance énergétique de leur pays. Il estimait que le pays serait amené à se préparer à l’après-pétrole en raison de l’épuisement rapide des réserves. Ses craintes se sont avérées infondées. La réalisation de l’oléoduc trans-Alaska et la fracturation hydraulique ont permis une augmentation rapide de la production pétrolière, les États-Unis redevenant le premier producteur mondial et exportateur. Depuis, le souhait de Jimmy Carter d’un monde sans pétrole est devenu un objectif environnemental majeur. 

Dans les années 1970, pour réduire leur dépendance aux hydrocarbures, les États occidentaux ont choisi de développer l’électricité en ayant recours en particulier au nucléaire. Ce fut le cas des États-Unis, de la France, du Japon et de la Suède. Aux États-Unis, la réponse dictée par le marché fut également une utilisation accrue du charbon, en raison de l’abondance des approvisionnements et à cause des coûts plus élevés des autres énergies alternatives. L’Allemagne a également fait ce choix.

Pour obtenir 1000 dollars de PIB, la quantité d’énergie nécessaire a reculé de 1 % par an

Les gouvernements ont, à l’époque, joué la carte de la réduction de la consommation. En France, de nombreuses campagnes (antigaspi) ont été menées. Aux États-Unis, des normes pour la réalisation d’économies ont été imposées par le Congrès en 1975 aux entreprises. La consommation pétrolière américaine a baissé de 17 % entre 1977 et 1985, quand le PIB du pays augmentait de 27 %. L’efficacité énergétique s’est considérablement améliorée. Pour obtenir 1000 dollars de PIB, la quantité d’énergie nécessaire a reculé de 1 % par an des années 1980 aux années 2010. L’ensemble des politiques mises en œuvre après les chocs pétroliers ont conduit à la chute des cours du pétrole en 1986 et à la diminution du poids de l’OPEP sur le marché. Dans les années 1990, la contrainte énergétique a disparu. L’abondance de pétrole a conduit à un relâchement des efforts. 

Avec la croissance rapide des pays émergents au début des années 2000, le cours du pétrole brut augmente à nouveau jusqu’à dépasser 120 dollars le baril avant la crise des subprimes. De 2010 à 2014, le cours du Brent reste autour de 100 dollars poussant les États à remettre au goût du jour des énergies de substitution. Avec l’arrivée sur le marché du pétrole de schiste et des pétroles bitumineux, le prix du pétrole s’effondre entre 2014 et 2016. Le baril de Brent s’échange alors à moins de 40 dollars. Les pays de l’OPEP rejoints par la Russie et quelques autres États pétroliers décident de mettre en place un accord de régulation de la production afin de permettre la restauration des prix au-delà de 60 dollars (décembre 2016). Depuis, à l’exception de la période covid et de celle du mois de février à septembre 2022 (en lien avec le déclenchement de la guerre en Ukraine), le cours du baril évolue autour de 80 dollars.

pétrole
©AFP

Le prix de l’essence est aujourd’hui bien moins élevé qu’en 1973 ou qu’en 1980

En le rapportant au niveau de vie des populations, le prix de l’essence est aujourd’hui bien moins élevé qu’en 1973 ou qu’en 1980 mais le ressenti de la part des consommateurs est tout différent. 

Depuis dix ans, la recherche d’économies énergétiques obéit avant tout à des impératifs d’ordre écologique. Grâce aux engagements pris lors des différentes COP dont celle de Dubaï en 2023, le taux moyen d’amélioration de l’efficacité énergétique est censé passer de 2 % par an actuellement à plus de 4 % d’ici 2030. Les changements provoqués par la lutte contre le réchauffement climatique génèrent au sein des populations de nombreuses oppositions mais sont indéniables. 

En 2016, les ventes mondiales annuelles de véhicules électriques et hybrides étaient inférieures à un million au niveau mondial. En 2023, elles ont atteint près de 14 millions. En France, près de 500 000 véhicules électriques et hybrides ont été vendus en 2023. Ils représentent 23 % du marché, contre 9 % en 2020. L’augmentation de l’offre conduit à des baisses de prix permettant d’espérer une progression plus rapide que prévue du renouvellement du parc automobile.

Une contraction de la demande de pétrole de 25 % est possible d’ici 2030

La mutation économique en cours pèserait sur la demande de pétrole dans les prochaines années. Les prévisions en la matière sont variables d’un institut à un autre. En 2021, selon le rapport « Net Zero – 2050 » de l’Agence Internationale de l’Énergie, une contraction de la demande de pétrole de 25 % est possible d’ici 2030, cette baisse atteindrait 75 % d’ici 2050. Cette prévision ne semble pas se confirmer. La demande de pétrole continuant à augmenter même si la progression se fait à un rythme moins rapide que prévu en lien avec le ralentissement de la croissance économique en Chine et en Europe. 

L’électrification du parc automobile soulève de nombreuses interrogations. En 2023, seuls 2 % des véhicules sont électriques. Compte tenu de la durée de vie de plus en plus longue des voitures, le renouvellement du parc mettra plus de vingt ans. Le coût élevé des véhicules électriques et le problème de l’autonomie dissuadent de nombreux ménages d’en acquérir une. Les véhicules de tourisme ne représentent qu’une partie de la demande de pétrole, environ 25 %. De leur côté, les transports maritimes et aériens en croissance ne disposent pas, en l’état actuel, de techniques d’alternatives au pétrole compétitives.

L’industrie du pétrole pèse plus de 100 000 milliards de dollars

L’OPEP estime, dans ces conditions, que la demande de pétrole augmentera au moins jusque dans les années 2030 et qu’elle ne diminuera que lentement au-delà. Un quart de siècle pour supprimer l’industrie du pétrole qui pèse plus de 100 000 milliards de dollars apparaît bien court. 

Même à marche forcée, la substitution mondiale d’une énergie par une autre est une opération complexe sachant que jusqu’à maintenant, l’arrivée de nouvelles énergies n’a jamais provoqué l’arrêt des précédentes. Les énergies ont tendance à s’ajouter les unes aux autres et non à se remplacer. 

Avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le pari de la suppression des hydrocarbures et du charbon est ambitieux et révolutionnaire. Compte tenu des difficultés de l’électrification de l’ensemble des activités, la recherche d’une meilleure efficacité énergétique est prônée par un nombre croissant d’experts. L’électrification suppose le développement de réseaux sophistiqués qui sont pour le moment hors de portée des pays en développement ou émergents. Or, dans les prochaines années, la croissance des besoins en énergie émanera essentiellement de ces pays.

Toutes les prévisions concernant l’énergie, et en particulier le pétrole, ont été contredites

La demande de pétrole augmentera d’ici le milieu du siècle en Afrique et en Inde. Les pays en développement consommeraient 70 % du pétrole vendu en 2050 contre 50% à l’heure actuelle. Le respect des objectifs des Accords de Paris suppose une limitation de la progression de la demande sans pour autant entraver la croissance de ces pays. Il nécessite des efforts importants pour faciliter la réalisation d’infrastructures permettant la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays émergents et en développement. 

Ces quarante dernières années, toutes les prévisions concernant l’énergie, et en particulier le pétrole, ont été contredites. Les politiques d’économie, la montée en puissance du nucléaire ou l’arrivée du pétrole de schiste et de nouveaux producteurs ont modifié les équilibres du marché de l’énergie. 

Plusieurs forces contradictoires sont aujourd’hui à l’œuvre. D’un côté, un vaste mouvement de décarbonation s’opère quand d’un autre côté, les besoins en hydrocarbures demeurent élevés en raison du décollage économique de l’Inde et de certains États africains. La réussite de la lutte contre le réchauffement climatique passera par le soutien au processus de décarbonation des activités dans les pays émergents et en développement.

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