« La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel ». Et la forme du monde ? Enrobée de bullshit, (en anglais), baratin (en français). Tandis qu’en France se rejouent les films des années 90, avec manifs et comptables, qu’en Ukraine des mercenaires criminels salissent Stalingrad, que les Parties Par Million de CO2 se transmutent en subventions et billets verts, l’avenir du monde se joue ailleurs. Aux États-Unis, encore et toujours, mais pas à Washington, simple capitale politique, dans d’autres sphères, nouveaux espaces : le pouvoir change de socle.
Le gouvernement dépense 45 milliards pour subventionner l’essence, Meta dégage 116 milliards de bénéfice.
“Depuis quinze ans, Google a suivi une ligne de conduite anticoncurrentielle qui lui a permis de stopper l’essor de technologies concurrentes, de manipuler les mécanismes d’enchères, de s’isoler de la concurrence et d’obliger les annonceurs et les éditeurs à utiliser ses outils”, accuse le ministre de la justice américain. Robert Kennedy était-il plus véhément contre le syndicaliste mafieux Jimmy Hoffa ? Google serait-il le maître du monde ? Pas tout à fait. Il en existe d’autres, moteurs de recherche, intelligences artificielles. La vie quotidienne leur est confiée. La vie future plus encore.
Pendant que le gouvernement français (comme d’autres) dépense 45 milliards pour subventionner l’électricité et l’essence, creuse son déficit à 175 milliards (un record), Meta, soi-disant en crise, dégage plus de 116 milliards de dollars de bénéfice. Microsoft, en crise aussi, qui n’a gagné que 70 milliards, en réinvestit 10 dans OpenAI. Open AI a développé le robot d’écriture et de conversation ChatGPT. Sa réussite affole. ChatGPT répond à tout, en compulsant des centaines de millions de documents. « C’est un nouveau monde. Adieu, devoirs à la maison ! », batifole Elon Musk.
« S’il faut une IA pour que l’Education nationale comprenne que tout son système d’évaluation est à mettre à la poubelle, c’est plutôt un progrès », dit un professeur dans L’Humanité, relique de l’avant-garde du prolétariat. Seul le capitalisme est révolutionnaire.
« C’est un nouveau monde. Adieu, devoirs à la maison ! »
L’Université de Strasbourg a puni les étudiants qui ont utilisé ChatGPT pour un QCM. Science Po l’a interdit à ses élèves. Les Ottomans aussi avaient interdit l’imprimerie. Comme si interdire était la bonne réponse. Le sera-t-il aux profs ? Au contraire, ils l’emploieront pour se dispenser de ce que la machine fait aussi bien qu’eux. Qu’est-ce que donne le robot ? La compilation, le mainstream, la doxa. Aller au-delà est un autre exercice, seul digne d’un enseignant.
Ce que l’on appelle le savoir, la connaissance, l’accès à la connaissance vont changer. L’école va changer. Sans doute une certaine forme d’écrit est-elle morte. Ne l’est-elle pas déjà ? Qu’est ce qui viendra à la place ? Microsoft mène-t-il nos vies ? En partie seulement.
Amazon a lancé un abonnement de 5$ par mois qui donne accès à tous les médicaments génériques gratuitement, livrés à la maison. RXPass suppose une ordonnance, qui viendra bientôt de Singapour ou de Pretoria en ligne. La téléconsultation contre les déserts médicaux. Medicaid, les assurances privées, la Sécu, les Mutuelles devront changer de modèle. Demain, Amazon et ses semblables indiqueront aussi le médecin, organiseront les visites à domicile. Amazon a déjà acheté le groupe de soins One Medical pour 3.9 milliards $. En prime : Prime, la plateforme télé. Amazon n’est pas seul, Walmart fournit des médicaments génériques pour 4$ par mois, mais sans les séries TV, un choix de vie.
Finance, éducation, santé, information, fictions, culture, ces domaines hier investis par les Etats modèles du XXème siècle changent de contrôle. Nouveaux pouvoirs ou nouvelles formes de pouvoir ? Codes et identités numériques comptent autant que le permis de conduire.
Utilisez l’IA, internet, mais ouvrez les Consulats et répondez au téléphone.
Trois députés ont été invalidés en raison du vote internet. Un hasard, un retard ? Les administrations sont désadaptées. La réponse aux robots : se concentrer sur l’humain. Utilisez l’IA, internet, mais ouvrez les Consulats et répondez au téléphone. Tout ce que peut faire un robot sera fait par un robot. Le propre de l’humain c’est la qualité humaine, justement, irremplaçable.
Hier, la géopolitique mondiale se faisait autour de territoires clés. On apprend encore l’importance de détroits, des points stratégiques : Ormuz, Bosphore, Gibraltar, Malacca… Aujourd’hui encore la carte des conflits s’analyse encore en fonction des gisements et cheminements du pétrole : Russie, Moyen-Orient, États-Unis.
Demain, que deviendra la géopolitique mondiale quand le monde change de forme, si le pouvoir des Etats n’est plus dans la même échelle ?
D’une part, elle reste territoriale : géographie des terres rares, des câbles sous-marins, des puces électroniques. Les nouveaux monstres de la puissance (militaire, commerciale, énergétique, financière) se nourrissent de puces.
Que devient la géopolitique quand le monde change de forme ?
D’autre part, elle devient verticale. Les connexions se font au-delà des frontières, même de l’espace ou du ciel. Qui sont les maîtres des ondes ? Qui détient des sources du savoir ? La panique que provoque le Robot conversationnel n’est que la première. Elle sera suivie de bien d’autres. Quel algorithme guidera les drones, et tirera ? Le problème d’aujourd’hui, ce n’est pas la retraite ; c’est l’avenir de la production, de la gestion du savoir. Promesse d’inégalités abyssales ou d’accès illimité au savoir ? Mainstream d’un baratin universel, le bullshit globish, celui des conventions internationales ou pensées paradoxales, escadrilles de cygnes noirs ?
Mainstream d’un baratin universel, le bullshit globish.
Que reste-il de l’humain, si n’importe quel smartphone répond mieux qu’un expert ? Tant mieux, si le meilleur expert parle à l’oreillette du commun des mortels. A moins qu’il ne répande que l’opinion commune. Le savoir n’est pas un stock. La révolution digitale, celle de l’IA, de ChatGPT, de la médecine à distance, remet en cause les reproductions automatiques et les hiérarchies fondées sur ces seuls critères.
D’un côté, cet effrayant sondage qui prétend que 16% des jeunes Français pensent qu’il est possible que la terre soit plate. De l’autre les profs de Science Po obligés de penser autrement leurs cours sur l’économie ou le Tribunal des conflits pour se démarquer des robots conversationnels. Oseront-ils ? La question de cours est morte, la banalité du savoir envahit le monde.
Le sentiment spontané du digne et de l’indigne, du juste et de l’injuste.
Qui dirige alors les Etats ? Le mainstream, démocratique ou non, manipulé ? Il y a, en Chine, ce mystère des moutons qui tournent en rond : ils auraient trop longtemps été enfermés dans un enclos. Qui dirigera le monde, les nouveaux monstres des révolutions digitales ou les vieux états surendettés ? Faut-il consacrer des milliards à La Poste ou à l’Intelligence Artificielle ? Aux déficits des retraites ou à la formation des maîtres ? Aux subventions du litre d’essence ou à la géothermie ? Non, on ne peut pas tout faire. Retraite ou pas, Sécu ou pas, CO2 ou pas, nul n’ignorera l’algorithme.
Ne jamais avoir peur, surtout pas des nouveaux mondes
Echappent aux calculs quelques éléments éruptifs : le sentiment spontané du digne et de l’indigne, du juste et de l’injuste, la fraternité. Le Robot singe encore mal le cœur. En politique, le cœur se montre par le courage. Encore faut-il vouloir sortir du cercle des moutons. Plutôt que de retarder la fin du vieux monde, la hâter. Cela diminuera l’angoisse, la peur, le conformisme.
L’homme est l’artisan de sa propre nature, expliquait aux théologiens Pic de la Mirandole, la star des sachants. C’est là l’exercice de sa liberté, la source de sa dignité, sa radicalité. Ne jamais avoir peur, surtout pas des nouveaux mondes qu’il crée.
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