Le mal en pointillé, le dégréner

Le mal en pointillé, le dégréner

George Bush avait dénoncé « l’axe du mal ». A l’époque, le slogan visait l’Irak de Saddam, l’Iran et la Corée du nord. Aujourd’hui, entre la guerre d’Ukraine et les tensions de Taïwan, l’axe reprend forme, en pointillé, plus long, tout autour du globe, tandis que les Etats-Unis tentent de ressouder le « camp de la liberté » dans une nouvelle « Alliance des démocraties ».

Dans une guerre, tout le monde souffre. A savoir qui perd le plus.  

De même que la Russie de Poutine ne supporte pas une « petite Russie » démocrate sur son flanc, de même la Chine ne supporte pas la petite Chine, riche et démocratique, qu’est Taïwan

Il n’y aura pas de guerre cette fois-ci. Les Chinois sont plus sages que Poutine. Ils aiment le temps long. Ils craignent au contraire que les États-Unis n’osent prendre les devants. D’où, au voyage de Nancy Pelosi, une surréaction d’autant plus spectaculaire qu’elle n’est que gesticulation. Que deviendraient les usines chinoises sans les composants de Taïwan ? Bien sûr, le monde souffrirait bien plus d’une rupture des livraisons chinoises que des coupures de gaz russe, mais que deviendrait le système des Princes rouges dans une Chine à demi fermée ? Dans une guerre, tout le monde souffre. A savoir qui perd le plus. 

Nancy Pelosi
Nancy Pelosi en voyage à Taiwan avec Tsai Ing-wen (chef de l’Etat taïwanais)

Les alarmistes disent que des régimes comme ceux de Xi Jinping ou de Poutine se moquent du bien-être de leur population. Erreur. Tout autocrate a besoin de cultiver sa popularité. Il faut à la fois répression et adhésion, au moins formelle. L’ennui, c’est qu’ils ne savent jamais à quel point le soutien de la population, ou de leurs proches, est sincère. Dans le paradis coréen, la génialissime dynastie Kim serait adulée. Le « génie des Carpathes » et « Danube de la pensée » Ceaucescu convoqua le peuple pour applaudir à son discours. Il se fit insulter. La surprise fut totale. Trois jours plus tard, il était fusillé.

Les Chinois nouent des alliances, nœud à nœud, politiques et financières 

Les Chinois ne feront pas la guerre parce qu’ils pensent gagner avec le temps. Ils parient sur l’affaiblissement de l’Occident, sur leur irréversible expansion. Ils nouent des alliances, nœud à nœud, politiques et financières. Parfois trop : au Sri Lanka, l’endettement chinois a contribué à faire exploser le pays. L’Inde, le rival, vient à la rescousse. Certains pays africains s’inquiètent des exigences chinoises : la Chine, contrairement au Club de Paris, n’annule pas les dettes. 

L’axe du mal s’agrège petit à petit. La Russie resserre ses liens avec l’Iran et la Turquie. Faux frères. Le double jeu turc commence à coûter cher. Là où des esprits subtils toujours admiratifs des caudillos voient de la stratégie chez Erdogan, il pourrait n’y avoir qu’une fuite en avant. Le collier se colle : l’Iran se lie avec le Venezuela. Le Venezuela chérit le Nicaragua, qui appuie Cuba, fidèle aux Russes et Biélorusses. Loukachenko craint de sauter si la Russie perd. Et aussi s’il soutient Poutine trop mollement. La Corée du nord se propose d’envoyer des forces en Ukraine. La Junte birmane, amie des Chinois, accueille Lavrov le 3 août après avoir exécuté quatre opposants1 le 25 juillet. Lavrov : « Nous sommes solidaires avec les efforts visant à stabiliser le pays ». Solidarité, joli mot pour les tueurs.

Retour au siècle dernier 

En Iran, on pend les femmes adultères : Encore trois femmes pendues le 27 juillet. Au Nicaragua, on arrête désormais les prêtres après les journalistes, élus, opposants. En Russie, en Turquie, on punit les juges trop cléments pour les opposants. On croirait un retour au siècle dernier. Tout ce que la planète compte d’anti-américains médaillés héros du peuple, dirigeants valeureux, s’acoquinent.

D’autant que l’Occident n’est pas en reste. Dans les périodes de tension, on prend des libertés avec la liberté. Churchill ne disait-il pas, à propos de l’alliance avec Staline : « Si Hitler avait envahi l’enfer, je me serais débrouillé pour avoir un mot gentil pour le Diable ». Ainsi MBS, le Prince héritier saoudien, est-il reçu à Paris, comme le Maréchal Sissi et tant d’autres qui le mériteront s’ils veulent bien aider les démocraties face au « camp du mal ». Il leur sera beaucoup pardonné. Ils viendront, si on ne leur fait pas trop la leçon, même s’ils ont sur la démocratie occidentale le même avis que Poutine et consorts. Qu’est-ce qui est le plus hypocrite : les recevoir ou s’offusquer de leur visite ? La lutte démocratique embrigade ses autocrates. Ne serait-ce que pour ne pas alimenter la grande chaine de solidarité des tyranneaux. 

Car la partie n’est pas gagnée. L’anti-américanisme est tellement fort que les esprits s’égarent. Lors du vote pour ratifier l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, il s’est trouvé de nombreux députés au Parlement français pour s’abstenir (ceux du RN) ou s’y opposer (ceux de LFI), provoquant d’ailleurs une crise à gauche, crise renouvelée par les remerciements de l’ambassade de Chine à Mélenchon pour son soutien.

L’anti-américanisme justifierait tout

Ce dernier n’a jamais caché sa sympathie pour tout ce qui portait un badge anti-américain, que ce soit chez Maduro, Ortega, Poutine ou Xi Jinping. Si Foucault, pape de la french theory, adulé dans les universités américaines, baisa les babouches de l’ayatollah Khomeiny, c’est que l’anti-américanisme justifierait tout.

L’Occident secrète ses plus virulents critiques en son sein. Raison pour laquelle il est mieux armé. Pas seulement parce qu’il promeut -par à-coups- la liberté, mais parce que la critique nourrit l’innovation. La richesse vient de là, pas des machines ou du capital. Les exemples asiatiques sont parlants : Corée du sud, Japon, Taïwan, justement. Extrême Occident. Les réalistes diront que l’idéologie ne compte

pas, que les Américains comptent en barils, comme le reste du monde, que le nombre ou la démographie font que l’Asie dominera le monde et la Chine l’Asie. Si ces logiques avaient un sens, le Grand Moghol se serait assis sur le trône de Victoria, non l’inverse.

Sancta simplicita, le choix est facile. Eux ou nous ? Plutôt nous.  

Tout axe du mal, alla-t-il de Caracas à Pékin en passant par Téhéran, ne peut être qu’en pointillé : aucun intérêt ne l’unit. Le commerce irano-russe, c’est 3 milliards. Rien. Les clients des Chinois sont en Occident. Iraniens, Turcs et Russes n’ont rien en commun, sinon des jalousies de frontières. La realpolitik anti-américaine demande aussi du réel. Quels intérêts ont-ils à s’allier ? Ce sont les Américains qui, curieusement, maladroitement, forment leur complicité. 

A la fin, il faut être simple. Ceux là ont vraiment l’air plus méchants que les autres, et ne cachent pas leur mépris, voire leur haine. Dans ces conditions, Sancta simplicita, le choix est facile. Eux ou nous ? Plutôt nous. L’axe du mal qui se dessine en pointillé, le dégréner comme un chapelet, plutôt que le durcir et devoir le disperser en confettis, ce qui serait dangereux. 

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press


 1 – Dont Ko Jimmy, 53 ans, écrivain et militant du soulèvement démocratique de 1988 et Phyo Zeya Thaw, 41 ans, ancien député de la ligue nationale pour la démocratie. 

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