Le grand ministère de la mer

Le grand ministère de la mer

Sur la mer, l’espèce humaine n’a pas beaucoup avancé depuis 5.000 ans, toujours à flotter en surface, à égratigner salement les fonds marins. L’aventure spatiale fut le rêve du 20ème siècle. Satellites, planètes naines, trous noirs, ondes gravitationnelles, les découvertes s’enchaînent. Le nouvel espace inconnu est celui d’autres abysses. Le XXIème siècle sera celui de l’Océan. L’ignorance est immense. L’indifférence aussi.

Une obsession : toute question doit être reliée à la mer. 

Par où commencer ? Partout. Sur tous les sujets. Installer d’abord par une obsession : toute question doit être reliée à la mer. De la même façon que l’on a construit l’Europe en y mêlant au fur et à mesure toutes les politiques, appliquer à toutes les actions publiques une composante maritime. Dans le domaine de l’économie verte et de la transition écologique, c’est une évidence. L’économie verte sera en grande partie bleue. Elle l’est déjà : mais bleu souillé : comment arrivent le pétrole et le gaz, sinon par tankers ou gazoducs sous marins ? Mais il y a des façons saines de produire de l’énergie à partir des océans, les vagues, les courants, les marées, les différences de températures. Centrales marémotrices, comme celle de la Rance, en Normandie, hydroliennes, énergie thermique, qui exploite la différence de température de surface des mers et celle des eaux en profondeur, le potentiel est considérable, les technologies encore embryonnaires. A Marseille, 600 000 mètres carrés du quartier Euroméditerranée sont alimentées pour la climatisation et la chaleur par des thermofrigopompes alimentée par l’eau puisée dans le port à 7 mètres de profondeur (projet Thassalia développé par Engie).

La mer est à la fois surexploitée et sous exploitée

L’énergie reste au cœur de la seconde révolution économique et technologique qui bouleversa les sociétés et la planète. La première était la révolution de l’agriculture. La seconde a complété la première. L’immense majorité de la population n’est plus sujette aux cycles des famines, la population mondiale a été multipliée par sept  en moins de deux siècles. Pour l’alimentation, la mer est à la fois surexploitée et sous exploitée. 17% des protéines animales consommées par l’homme viennent de la pêche et de l’aquaculture. Mais les stocks de poissons déclinent. 33% sont surexploités (en Méditerranée, ce taux atteint 62% !) 35% des poissons pêchés sont perdus. 

Depuis quelques années, les organisations internationales comme l’ONU et la FAO ont fait adopter une vision globale de l’exploitation des océans, avec « l’approche écosystémique des pêches », qui revient à comprendre et respecter l’ensemble de l’écosystème marin dans l’exploitation des mers. 47 pays ont, il y a déjà vingt ans, en 2001 à Reykjavik, adopté le principe de « pêches responsables et durables » et se sont engagés à restaurer les stocks de poisson. Suivis par une organisation internationale, l’Icatt, les stocks de thon rouge se sont reconstitués. Selon la FAO, l’océan peut nourrir le monde dans les années à venir, « avec une empreinte environnementale bien inférieure à celle des autres sources alimentaires ». Il serait possible de capturer 20% de poisson en plus en arrêtant la surpêche et en exploitant d’autres ressources marines.

La « Troisième vague » de la révolution numérique promet une autre approche de l’océan

L’aquaculture, qui fournit la moitié de la production mondiale, actuellement nourrie par des protéines animales, pourrait changer avec la production d’algues marines et de moules. De nouveaux aliments pourraient être mis au point, comme les insectes. La production de protéines venant de la mer émet 20 fois moins de CO² que la production de viande. La FAO évalue à 500 millions les besoins de tonnes de viande pour nourrir l’humanité, et observe que les produits de la mer pourraient largement couvrir ces besoins, à condition de les développer différemment. S’ajoute à la composante agricole le développement des techniques de dessalement à partir de l’eau de mer, l’accès à l’eau potable est un défi mondial qui n’est pas encore gagné.

aquaculture en Méditerranée
aquaculture en Méditerranée

La « Troisième vague » de la révolution numérique peut y pourvoir. Pas seulement parce que les transmissions de données passent par des câbles sous marins qui sont déjà un enjeu géopolitique. L’extraordinaire interaction des nouvelles technologies (biologie, Intelligence artificielle, nanotechnologies, spatial, digital) promet une autre approche de l’océan. Suivi par satellite des courants, des espèces, -et des plastiques et autres polluants-. Surveillance des espaces marins, exploration des profondeurs, mise en commun des recherches sur la biodiversité, accès aux minéraux, tout se conjugue pour accéder aux richesses marines et sous marines dans les détruire. Ce sera peut-être le cadeau de cette révolution économique mondiale.

Une question de droit, une question de volonté, en somme une question de politique.  

Encore faut-il l’organiser. Il y a d’une part, une question de droit. D’autre part une question de volonté. En somme une question de politique. Sans droit, sans accords internationaux, impossible d’avancer. Sans ambition pour porter les projets, aucune chance de convaincre. 

La France a le deuxième « empire maritime « mondial, elle est une puissance navale, une puissance scientifique. C’est à elle de porter cette ambition, qui l’intéresse au premier chef, pour laquelle elle peut s’appuyer sur l’Union Européenne. L’actualité, en Nouvelle Calédonie, en Guadeloupe, rappelle que la France est présente sur tous les continents, y compris les terres australes. Pour l’instant, ces iles vivotent, souffrent ne subsistent que par la solidarité nationale. Une récente étude de transferts entre région françaises montre que chaque ménage des cinq régions ultramarines reçoit en moyenne 7300€ par an. Le seul développement possible de l’Outre mer, c’est la mer. On ne peut espérer qu’Haïti ou Cuba devienne pilote de recherches et étude sur l’océan, on peut le penser de la France, notamment dans ses territoires sur toutes les mers.

Le réflexe n’est pas encore là : l’exemple du traité franco-italien 

A commencer par la plus proche, la plus ancienne, la plus ancrée : la Méditerranée. La plus fragile et la plus menacée aussi. 

Mais le réflexe n’est pas encore là : La France et l’Italie viennent de signer un accord « historique », le traité du Quirinal, sur le modèle du Traité de l’Elysée de 1963 qui posait les bases de l’Alliance franco-allemande. Le traité du Quirinal parle de la Méditerranée, à trois occasions. D’excellents principes et généralités, qui finissent par « Elles (la France et l’Italie) favorisent le développement de l’économie bleue durable en Méditerranée. » Il y manque un quatrième paragraphe, au moins, celui de la mise en oeuvre effective d’une politique commune en Méditerranée. 

En 1963, le Traité de l’Elysée ne comprenait pas de paragraphe particulier pour la navigation sur le Rhin. Pour une raison évidente, celle-ci était déjà régi par une commission spéciale, la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), créée en  1815, une Organisation internationale.

L’océan a besoin de nouveaux cadres juridiques. Commencer par la Méditerranée.

La France et l’Italie pourrait mettre en place une « Commission internationale » pour organiser la navigation, l’exploitation, la production d’énergie, la recherche, la protection de la biodiversité en Méditerranée. Qu’ils commencent à deux. Qu’ils proposent une charte commune, une législation internationale propre à la Méditerranée. Après tout, la Méditerranée pourrait être régie par ses riverains, comme l’est la Caspienne. Surtout, l’océan a besoin de nouveaux cadres juridiques. Commencer par la Méditerranée, dans un cadre bilatéral, permettrait d’avancer et de fournir un modèle locale et efficace.

Le magistère de la mer commande un grand ministère de la mer

Il nous faut un Colbert, qui créa le premier ministère de la marine. Ce n’était pas seulement pour des navires de guerre. C’était une nouvelle dimension de l’action publique, la prise de conscience que la France, baignée par les mers, devait défendre ses frontières et se projeter à partir de ses rives. 

Le magistère de la mer commande un grand ministère de la mer, un ministère transversal, Un ministère qui oblige à intégrer dans toutes les politiques une composante maritime, une vision d’avenir. « Qu’est ce que l’océan ? Une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! Ne pas employer l’océan ! » écrivait Hugo en 1874. La troisième révolution dans l’histoire humaine, la révolution numérique, va permettre de suivre chaque d’eau de l’océan et d’être moins bête.

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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