Le grand marchandage de la citoyenneté

Le grand marchandage de la citoyenneté

Tout se marchande, même la nationalité. Une douzaine de pays vendent des passeports, et plus de soixante, dont les États-Unis, proposent des visas ou des titres de séjour en échange d’un investissement ou d’un don. Le système des « visas dorés » prend de l’ampleur.

À Singapour, il faut investir plus de 7 millions de dollars pour en obtenir un, 3,8 millions à Hong Kong, et 2,5 millions aux Bermudes. Donald Trump a porté le prix du visa doré américain de 800 000 à 5 millions de dollars. Il prévoit d’affecter les recettes au remboursement de la dette publique. Ce visa permettrait d’obtenir la résidence permanente, avec une voie vers la citoyenneté. Généreusement, le président américain a précisé que les bénéficiaires n’auraient pas à payer d’impôt sur leurs revenus étrangers — une faveur dont ne bénéficient ni les citoyens américains ni les titulaires d’une « green card ».

Vendre un million de visas, pour 5 000 milliards de dollars.

Le Département de l’efficacité gouvernementale serait chargé de concevoir un logiciel de gestion de ce programme. Aucun décret présidentiel n’a encore été signé ; les juristes estiment que le Congrès devra l’autoriser. L’équipe Trump affirme pouvoir vendre un million de visas, générant ainsi 5 000 milliards de dollars. Une telle somme permettrait de rembourser un septième de la dette fédérale. La cible de Donald Trump est d’attirer les 37 millions de personnes dans le monde supposément capables de se payer ce visa.

Le visa doré actuel des États-Unis, accordé dans le cadre du « programme EB-5 », est jugé peu rentable par la nouvelle équipe républicaine. L’investissement de départ (800 000 dollars) peut être récupéré, et le programme est limité à 10 000 visas par an. Les citoyens chinois et indiens en sont les principaux demandeurs, mais les délais d’attente sont longs : jusqu’à dix ans pour les Chinois, cinq pour les Indiens, du fait du plafonnement par pays. Le programme EB-5 profite davantage à l’immobilier qu’aux finances publiques. Les investissements sont souvent structurés comme des prêts à taux très faible, destinés à créer au moins dix emplois. Le programme est devenu une manne pour les promoteurs et les intermédiaires.

Les investisseurs, eux, acceptent des rendements faibles (entre 0,5 et 1 %) en échange du précieux sésame, note Madeleine Sumption (Université d’Oxford). Donald Trump estime qu’une clientèle plus fortunée est prête à payer davantage pour obtenir plus rapidement un visa.

Des projections peu crédibles

Des petits États insulaires, comme Vanuatu, génèrent déjà une part importante de leurs recettes en vendant des passeports. Dans ces pays, ces ventes peuvent représenter plus de 10 % des ressources publiques, selon Kristin Surak (London School of Economics). Pourtant, les projections de l’équipe Trump sont difficilement crédibles.

Dans l’industrie des visas d’investissement, la règle empirique est que l’on ne consacre pas plus de 10 % de son patrimoine net à l’achat d’un tel visa. Cela signifie que les candidats à une carte à 5 millions de dollars devraient disposer d’au moins 50 millions. Or, on ne recense qu’environ 100 000 personnes à ce niveau de fortune dans le monde, dont beaucoup vivent déjà aux États-Unis (source : Dominic Volek, Henley & Partners).

Mise aux enchères, tarification dynamique et exonération fiscale.

Pour déterminer un prix optimal, il serait plus judicieux de recourir à une mise aux enchères ou à une tarification dynamique, comme pour les concerts de Taylor Swift. Par ailleurs, l’exonération fiscale promise soulève un problème d’égalité devant l’impôt. Le Congrès pourrait refuser d’entériner une telle mesure. Et sans cet avantage, la demande serait bien plus faible.

Mise aux enchères, tarification dynamique et exonération fiscale.
Mise aux enchères, tarification dynamique et exonération fiscale.

Il semble donc illusoire d’imaginer des dizaines, voire des centaines de milliers de millionnaires prêts à débourser une somme aussi importante, tout en acceptant une imposition élevée, pour obtenir un visa doré.

Les Américains aisés cherchent à s’établir ailleurs.  

D’autres voies existent, moins onéreuses : le visa E-2 (investissement dans une entreprise américaine) ou le visa L-1 (ouverture d’une filiale). Donald Trump souhaiterait remplacer le programme EB-5 par sa « gold card ». Mais ce programme reste inscrit dans la loi jusqu’en 2027. Depuis son retour à la Maison blanche, ce ne sont plus les riches étrangers qui souhaitent immigrer aux États-Unis, mais les Américains aisés qui cherchent à s’établir ailleurs. Ce mouvement pourrait s’intensifier si les réformes républicaines affectent la recherche ou l’enseignement supérieur.

Plusieurs pays européens proposent d’accueillir des chercheurs américains sans frais excessifs. L’achat de visas, de cartes de séjour ou de passeports soulève des questions éthiques et sécuritaires. Pour prévenir les abus, l’Union européenne a interdit cette pratique en mars 2022. Cette mesure visait notamment à empêcher l’octroi de citoyennetés européennes à de riches investisseurs russes. Plusieurs États membres ont néanmoins conservé des systèmes de délivrance de visas dorés.

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé illégal le dispositif de citoyenneté par investissement de Malte.  

En avril 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi jugé illégal le dispositif de citoyenneté par investissement de Malte. « Une telle commercialisation du statut de citoyen est incompatible avec la conception fondamentale de la citoyenneté de l’Union », a-t-elle souligné. Le programme maltais, révisé en 2020, permettait d’obtenir la nationalité contre un investissement de 600 000 euros, un achat immobilier, un don de 10 000 euros à une ONG et trois ans de résidence — ramenés à un an en cas d’investissement de 750 000 euros. Ce mécanisme a rapporté 1,4 milliard d’euros à Malte en dix ans. Seize bénéficiaires se sont révélés être des personnes politiquement exposées ou sanctionnées, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine.

La citoyenneté devient un actif monnayable.

En 2020, l’Autriche, la Bulgarie, Chypre et Malte proposaient encore des passeports contre argent. Une vingtaine d’autres pays, dont la France, accordaient des titres de séjour en échange d’un investissement. La Commission européenne critique ce marché de la citoyenneté accusé de favoriser la corruption et le blanchiment. Le Portugal ou l’Irlande ont abandonné leurs programmes en raison de leur impact sur les prix de l’immobilier. D’autres, comme la Grèce, continuent, avec des seuils relevés à 800 000 euros. À Malte, sur un demi-million d’habitants, la diaspora russe dépasse plusieurs milliers de personnes. Environ 2 000 Russes sont visés par des sanctions européennes.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la France a refusé 1 200 demandes de visa à des Russes qui les avaient demandés pour participer à des conférences…

La citoyenneté devient un actif monnayable, au risque d’éroder le lien démocratique entre les citoyens et leurs institutions. Le rêve américain vaut-il cinq millions de dollars ? La communauté de destin qui façonne les nations y perd sans nul doute un peu de son sens. La marchandisation de la nationalité ou des droits de séjour pose également un problème de sécurité en particulier au sein de l’Union européenne qui repose sur la libre circulation des biens, des services et des personnes.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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