Après deux ans de pandémie, le virus revient en Chine. Voilà Shanghai à nouveau confinée. Des cadres du parti sont limogés. Le zéro Covid se grippe. Revoilà des hôpitaux de fortune reconstitués. 40.000 lits en urgence. Pourquoi s’il n’y a pas de malades ? Et aucun décès ? Tout se passe comme si l’opacité était encore plus forte qu’il y a deux ans. A l’époque un médecin chinois, aussitôt mis au silence, mort de la Covid depuis, avait donné l’alerte.
Tout commença dans un marché, une grotte ou un laboratoire – on ne saura jamais-, puis par des images époustouflantes qui montraient des hôpitaux construits en urgence aux abords de villes interdites frappées par une épidémie mystérieuse. Depuis le virus n’a plus rien de mystérieux, puisque des centaines de millions de spécialistes ont leur avis sur la question, dans les bus, à la télévision, sur internet. Qui n’a pas d’avis n’est pas touché, ce qui est impossible: comme pour la peste, « Tous n’en mourraient pas mais tous étaient frappés ».
De tous, pourtant, les Chinois étaient ceux qui avaient le moins souffert. Des confinements stricts, un suivi social par internet, drone, et smartphone, la Covid fut réduite à zéro, ce qui permettait à l’économie chinoise de se renforcer encore et toujours, et au régime de regarder de haut les pauvres occidentaux malades. Il y avait bien quelques morts, mais que l’on comptait en dizaines. La Chine offrait même un vaccin aux autres pays, tant elle en avait, tant elle était rapide, efficace, généreuse et bien portante.
On apprend aujourd’hui, contrairement à ce que les autorités disaient hier, que la moitié de la population âgée n’a pas été vaccinée. Les uns disent que c’est par défaut d’organisation, – curieux quand on a vu celle des JO de Pékin- les autres que le vaccin ne serait pas si efficace que cela. Si les Européens ne l’ont pas validé, ce ne serait donc pas par pure jalousie.
Le confinement chinois a de quoi inquiéter au-delà de la Chine. La première fois, on s’était moqué, puis tous avaient plus ou moins imité les Chinois. Cela augure-t-il de nouveaux confinements ailleurs, notamment chez nous ?
L’Université John Hopkins a publié une étude sur les stratégies des gouvernements face à l’épidémie*. Tous les gouvernements ont, plus ou moins, confiné. Pas assez rigoureusement, déploraient certains. Cette étude, qui recense des dizaines d’études nationales sur le sujet, affirme que le confinement n’aurait évité que 0,2% des morts de la Covid. L’étude est évidemment très contestée, mais elle dérange les certitudes.
Si l’on peut comprendre la panique qui s’est emparée des gouvernements, deux ans plus tard, on sait ce qu’il en coûte, y compris en termes de vie, de dégâts psychologiques, de rupture des circuits d’approvisionnement alimentaires, comme l’a dit la Banque mondiale.
L’OMS a récemment porté de 6 à 18 millions le nombre de décès dûs à l’épidémie. En évaluant la surmortalité mondiale, elle a multiplié par trois le nombre de morts. Soit parce que les recensements (comme en Russie) sont lacunaires, soit parce que les morts collatéraux à la crise de la Covid sont plus nombreux qu’on ne le croit.
Fallait-il arrêter la marche du monde pour la maladie ? La question ne se poserait plus. Au contraire, elle se pose avec plus de pertinence encore avec les décisions chinoises.
L’étude de la John Hopkins n’est peut-être pas suffisamment étayée. Elle met en cause les stratégies de tous les gouvernements puisque tous, à un moment ou à un autre, ont opté pour un confinement plus ou moins strict. (La Suède, qui a pris les mesures les moins strictes, a toujours un nombre de décès par habitant inférieur à celui de la France). A regarder les nombres de décès par habitants, entre les Etats, et au sein des Etats, il est difficile d’expliquer les variations : tel adopte des mesures très strictes et se retrouve avec un nombre de décès très élevés (Argentine), tel autre semble y échapper.
L’Afrique, par exemple, avec une politique de santé lacunaire, avec une vaccination faible, affronte les virus avec succès. A tel point que des épidémiologistes disent : pourquoi vacciner une population jeune qui risque si peu ? La politique de santé publique y a d’autres urgences.
Mais s’agit-il, là comme en Europe ou en Chine, de santé publique, ou de politique ? On a beaucoup parlé de diplomatie de la Covid, la politique intérieure de la Covid a pris le pas sur tout le reste.
Les Chinois ont une conception ancienne et solide du pouvoir. L’Empereur de Chine recevait le mandat céleste. S’il y avait trop de pluie, ou pas assez, si les fleuves débordaient, si les maladies proliféraient, c’est que le ciel lui avait retiré son mandat. La rébellion était légitime. Un autre empereur, voire une autre dynastie, pouvait prendre la place. S’il ne pleut pas demain, un bon gouvernement doit faire quelque chose. Sinon, il s’en va.
La légitimité du pouvoir ne vient pas forcement d’en bas, c’est même une idée assez récente. Même dans ce cas, l’idée que le pouvoir ne fait rien quand il se passe quelque chose d’inhabituel est insupportable, à la base et au sommet. Le pouvoir ne supporte pas d’apparaitre impuissant. Généralement, il saisit cette opportunité pour se renforcer.
Dans tous les pays du monde, que ce soit selon Amnesty international, le Freedom Institute ou The Economist, les libertés publiques ont été malmenées. Le recul des libertés dans les pays démocratiques est une dérive; dans les pays autoritaires une aubaine. Personne ne revient en arrière. Les législations d’exception deviennent l’ordinaire. Il était donc impossible d’envisager qu’avec un retour de la Covid, le régime chinois fasse autre chose qu’un confinement, purge des cadres du parti en prime, surtout avant le Congrès qui devrait faire de Xi Jinping un immortel. Imaginez qu’il soit enrhumé, le mandat céleste aurait grise mine.
Le virus chinois a provoqué plus de dégâts par ses effets sur la santé mentale et les durcissements, les fake-news et la perte de crédibilité de la parole publique, voire des scientifiques, que par ses effets directs. Être confiné, c’est être confit, puis déconfit.
La leçon portera-t-elle ? Si le pouvoir a une tendance naturelle à accroitre ses pouvoirs, c’est aussi parce que la population, animée par la peur, exige des mesures. Rien n’est plus rassurant que les interdictions longues comme des ordonnances des médecins.
Les gouvernements reviendront sur les mesures contraignantes quand les citoyens réclameront plus de transparence sur les effets des politiques publiques. Tous les pays devraient revenir sur les législations d’exception et commander plusieurs rapports indépendants sur leur application. Peut-être l’étude des économistes de John Hopkins est-elle contestable, peut-être pas. Où sont les études en France, en Europe ? Trop souvent, la peur, contagieuse, commande l’absurde.
Le vaccin contre la peur revient à se prémunir contre les diktats -et les promesses- de tout pouvoir qui a peur d’être pris en défaut de puissance. La liberté, mot encore mal traduit en chinois, est mal aimée, même dans les démocraties.
* A litterature review and meta-analysis of the effects of lockdown on covid 19 mortality reality.. Herby, Jonung, Hanke. John Hopkins University. Janvier 2022. L’étude est faite par des économistes et non des épidémiologistes.
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