Une semaine avant que l’Allemagne ne reprenne la présidence du Conseil de l’UE, son programme a été passé au crible par le cabinet. Mais ses principaux objectifs, qui visent à gérer la crise sanitaire et ses répercussions, ne suffisent pas à l’opposition.
« Les attentes de nos partenaires sont élevées », a indiqué Ulrike Demmer, la porte-parole adjointe du gouvernement fédéral, lors d’une conférence de presse. Pour le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, l’Allemagne n’est rien moins que « le moteur et le modérateur de l’Europe ».
Le programme de la présidence, qu’Euractiv Allemagne a pu consulter, tire les leçons de la pandémie. L’État allemand souhaite non seulement que les instruments de gestion de crises de l’UE soient évalués, mais aussi que les équipements de protection et les médicaments soient produits en Europe. Cela vaut également pour les denrées alimentaires.
Question d’argent
Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) figurent en première place sur le calendrier du redressement économique post-coronavirus, étant donné que le fonds de relance « Next Generation EU » dépend du budget septennal de l’UE.
La tâche la plus ardue pour Berlin consistera à trouver un accord sur ce point. L’Allemagne devra parvenir à un consensus avec les États membres qui ne souhaitent pas verser l’argent des contribuables aux pays de l’UE les plus touchés, et qui insistent sur l’instauration de contrôles et sur la mise en place d’un taux de remboursement le plus élevé possible.
Souveraineté technologique
Pour préserver la compétitivité de l’Europe pendant la crise et garantir sa souveraineté, l’Allemagne compte « mettre en place une infrastructure numérique européenne performante, souveraine et résistante ».
Le projet européen GAIA-X pourrait par exemple être soutenu pour ne plus dépendre des fournisseurs de « cloud » américains. Il s’agit d’une initiative franco-allemande, dans laquelle les ministres français et allemand de l’Économie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, ont investi des intérêts politiques.
Comme l’indique la stratégie européenne en matière de données, l’Allemagne mise aussi sur les espaces de données européens
L’utilisation conjointe des données sanitaires serait régulée par un « code de conduite ». L’État allemand souhaite aussi que l’intelligence artificielle puisse être intégrée « à tous les secteurs », « tout en veillant au bien-être de notre société libre et démocratique ».
Nouvelles taxes européennes
Les États membres devraient collaborer plus étroitement sur le plan de la cybersécurité, en particulier pour protéger les infrastructures essentielles. Berlin prône l’établissement d’un « niveau minimum de sécurité informatique pour tous les appareils sur le marché ».
Mais le programme de la présidence allemande ne mentionne pas le développement de la 5G, alors même qu’une taxe sur le numérique doit être instaurée dès que l’OCDE parviendra à un accord à ce sujet.
L’Allemagne plaide aussi pour une taxe sur les transactions financières, un projet ambitieux lancé par le ministre des Finances, Olaf Scholz (SPD).
Démarrage rapide de la conférence sur l’avenir de l’Europe
Les questions sociales ont fait l’objet d’un long débat entre les différents partis de la coalition allemande. Le gouvernement désire créer des « cadres » européens pour la mise en place de salaires minimums nationaux et de systèmes de sécurité sociale de base.
L’Allemagne espère par ailleurs obtenir « un signal politique » en faveur de l’égalité des sexes, et notamment concernant les problèmes de genre causés par la pandémie.
La conférence sur l’avenir de l’Europe figure au programme — chose que le Parlement européen et la société civile réclament depuis des semaines.
Berlin espère donc « que le Conseil, la Commission et le Parlement européen trouve[ront] rapidement un accord sur la structure et le mandat de la conférence », afin qu’elle puisse démarrer ses travaux au plus vite.
Rien de nouveau sur le plan environnemental
La politique allemande en matière de changement climatique est assez floue.
En vertu des dispositions de l’accord de Paris sur le climat, l’Allemagne veut définir une position commune au Conseil de l’UE sur la stratégie en faveur de la biodiversité et sur la loi climat, pour pouvoir donner le coup d’envoi à ces deux politiques.
Elle appelle aussi la Commission à engager la discussion « sur les secteurs où des mesures politiques additionnelles sont nécessaires ». Un autre élément nouveau du programme allemand mentionne explicitement les questions du bien-être animal et de l’étiquetage des denrées alimentaires.
Politique migratoire
En matière d’immigration, l’Allemagne accorde une attention particulière à la réforme longtemps attendue du régime d’asile européen commun (RAEC). Bien que le gouvernement fédéral souhaite faire avancer les réformes « sur la base des propositions présentées par la Commission », le programme présente ses propres idées.
Ces propositions de réforme portent clairement la signature du ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer (CSU). Elles incluent notamment une redéfinition des responsabilités, et la mise en œuvre très controversée de procédures d’asile aux frontières extérieures de l’UE.
La valorisation du principe de l’État de droit fait aussi partie des piliers de la politique allemande.
Berlin soutient à ce titre la proposition de la Commission de lier le respect des principes de l’État de droit par les États membres au versement des fonds de l’UE.
L’Allemagne à moitié tournée vers la Chine
Selon le programme allemand, la politique étrangère de l’UE se focalisera sur la Chine.
L’Allemagne veut « œuvrer pour une plus grande réciprocité dans tous les domaines politiques » et « établir des conditions de concurrence plus équitables » avec l’État chinois, par exemple dans le cadre de l’accord bilatéral d’investissement.
Mais si des négociations doivent avoir lieu en matière de politique climatique, les questions relatives aux droits de l’homme et à la démocratie ne sont pas mentionnées.
En ce qui concerne les pourparlers sur le Brexit, le gouvernement allemand insiste sur l’importance d’établir « une relation équilibrée entre droits et obligations, et des conditions de concurrence équitables ».
L’Allemagne qualifie en outre les États-Unis de « partenaire le plus proche en matière de politique étrangère et de sécurité hors d’Europe » et souhaite par conséquent renforcer la coopération avec ceux-ci. Reste à savoir si les Américains partagent cet avis ; ce qui dépendra probablement du résultat des élections présentielles de novembre.
L’opposition déçue
L’opposition s’est montrée critique envers le programme. Franziska Brantner, une porte-parole des Verts pour la politique européenne, a indiqué à Euractiv que la présidence allemande « ignorait l’avenir » et que le contenu de son programme était « décevant », parce que « le gouvernement a revu ses ambitions climatiques à la baisse ».
Le programme est aussi « bien en deçà des attentes » sur le point de l’égalité des sexes, juge-t-elle.
Dans un communiqué de presse, son homologue de « Die Linke » (gauche), Andrej Hunko, déplore l’absence d’une « clause sur le progrès social, qui ferait passer la protection des travailleurs européens et de leurs droits avant les libertés du marché intérieur européen ». Il regrette aussi que le salaire minimum à l’échelle européenne ne figure pas au programme.
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