L’Afrique et la Covid-19, des tensions à prévoir

L’Afrique et la Covid-19, des tensions à prévoir

En 2019, l’Afrique comptait 1,3 milliard d’habitants. L’âge médian était de 20 ans, contre 42 ans en Europe. En Afrique, 41 % de la population avait moins de 15 ans quand ce taux était de 15 % au sein de l’Union européenne. Face à l’épidémie de Covid-19, la jeunesse de la population africaine constitue un atout, tout comme l’expérience acquise ces dernières années en matière d’épidémie. Si la jeunesse a permis au continent de passer relativement bien le cap de la première vague, il semble que la situation se soit, depuis, compliquée notamment avec la diffusion en son sein du variant sud-africain qui est plus contagieux et qui toucherait davantage les jeunes.

Un variant plus dangereux pour les jeunes 

En Afrique du Sud, 132 000 décès imputés à la Covid-19 ont été recensés depuis le mois de mai ; ce pays enregistre un taux de létalité plus élevé que celui enregistré dans les pays d’Europe occidentale. La situation tend également à se détériorer dans plusieurs pays subsahariens comme au Sénégal où les hôpitaux seraient en tension et feraient face à des pénuries de matériels. 

Le coronavirus, type sud-africain, progresse également très rapidement en Côte d’Ivoire. Les autorités craignent une explosion épidémique avec une transmission aux personnes âgées par les jeunes. Plusieurs foyers donnant lieu à de nombreux décès ont été recensés au Gabon. Des experts estiment que le nombre de cas est plusieurs fois plus élevé que les décomptes officiels. La réalité de l’épidémie serait masquée par le peu de fiabilité des outils statistiques. 

La multiplication des nombreux foyers d’infection et la faiblesse des moyens dégagés pour la vaccination sont deux risques majeurs pour l’économie africaine qui demeure très fragile malgré les forts taux de croissance de ces dernières années. 

Le retour des problèmes économiques 

Au début de la pandémie, l’Afrique a semblé bien résister. Le PIB de l’Afrique subsaharienne a baissé de 2,6 % en 2020, contre 3,5 % pour l’ensemble du monde. Sur les 24 pays qui ont enregistré une croissance positive en 2020, 11 se trouvaient en Afrique subsaharienne. Avec la diffusion du variant sud-africain et le reconfinement de nombreux États occidentaux, la situation économique se détériore nettement. Ces dernières années, l’envolée des cours des matières premières avait contribué à l’accélération de la croissance. La proportion d’Africains extrêmement pauvres est passée de 56 % en 2003 à 40 % en 2018. De 2000 à 2014, le PIB de l’Afrique subsaharienne a augmenté presque deux fois plus vite que sa population. Les pays qui dépendent moins de l’extraction ou du pompage du pétrole, comme le Bénin, l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Sénégal, comptent parmi les économies à la croissance la plus rapide au monde.

32 millions d’Africains retombés dans l’extrême pauvreté

En 2020, pour la première fois en vingt-cinq ans, le PIB de l’Afrique subsaharienne a baissé. Avec une augmentation de la population de 2,7 % par an, soit environ deux fois le rythme de l’Asie, l’Afrique a besoin d’une croissance élevée pour réellement améliorer le niveau de vie de ses habitants. Avec l’épidémie de Covid19, les pays africains ont été confrontés à la baisse de la demande en matières premières, à la disparition des flux touristiques et à la réduction des flux de capitaux.

 Quelque 32 millions d’habitants de l’Afrique subsaharienne sont tombés dans l’extrême pauvreté (gagnant moins de 1,90 dollar par jour), effaçant cinq années de progrès contre le besoin, selon la Banque mondiale.

Les pays qui dépendent du tourisme connaissent une forte chute de leur croissance. Ainsi, en 2020, le PIB de l’Île Maurice a baissé de 12,9 %, celui des Seychelles de 15,9. L’économie du Botswana, qui est connu pour ses réserves sauvages, s’est contractée de près de 10 %. Les réservations internationales dans les camps du delta de l’Okavango ont chuté de 95 %.

La chute du cours du pétrole en 2020 a touché les pays africains producteurs. Leur économie s’est contractée en moyenne de 4%, contre 0,4 % chez les importateurs de pétrole (hors Afrique du Sud). En Angola, deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, les prix de l’immobilier à Luanda, l’une des villes les plus chères du continent, ont chuté brutalement.

Crise sans précédent au Nigeria 

Le Nigéria, premier producteur de pétrole du continent et qui abrite un cinquième des Africains subsahariens, est confronté, selon la Banque mondiale, à une «crise sans précédent». Le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté pourrait atteindre 100 millions, soit la moitié de la population. Avant la crise, ce nombre était de 20 millions.

L’Afrique du Sud qui était dans sa deuxième récession en deux ans avant la pandémie, en raison de la faiblesse des prix des produits de base, de la corruption, des coupures d’électricité et de la rareté des investissements a enregistré, en 2020, une diminution de 7,8 % de son PIB, le taux de chômage y dépassant les 30 %. 

La situation économique devrait continuer à se dégrader sur le continent cette année. Les États africains qui ne bénéficieront pas ou peu de vaccins devront faire face à des problèmes de financement au moment où les flux de capitaux se tariront compte tenu des besoins en Occident et en Asie. Les conséquences sociales sont multiples dans des États où la protection sociale demeure faible.

Le système éducatif durement touché

En outre, le système éducatif est mis à rude épreuve depuis le début de l’épidémie. Les établissements scolaires subsahariens ont été totalement ou partiellement fermés pendant 23 semaines, soit bien plus longtemps que la moyenne mondiale. Comme plus de la moitié des Africains ne bénéficient ni de l’électricité, ni de connexion Wi-Fi, l’apprentissage à distance est plus que difficile. La modélisation de la Banque mondiale suggère que les cours déjà abandonnés coûteront près de 500 milliards de dollars de revenus futurs, soit près de 7 000 dollars par enfant. La pandémie pourrait mettre un terme au processus d’alphabétisation. Les femmes seraient les principales victimes de l’arrêt des cours. 

Les États africains s’organisent 

Comme sur les autres continents, les États africains réagissent pour limiter les effets de la crise. 46 pays subsahariens ont adopté des politiques de protection sociale, telles que les transferts monétaires ou l’électricité gratuite. La pandémie incite, en Afrique comme ailleurs, à la numérisation des activités. L’Éthiopie a adopté une loi donnant force juridique aux documents électroniques. Le Togo a émis des paiements sociaux en recourant aux smartphones. 

Les pays africains souhaitent développer la coopération au sein du continent. Entrée en vigueur le 1er janvier 2021, la zone de libre-échange continentale africaine devrait ainsi faciliter les échanges, en particulier pour le secteur manufacturier. Des initiatives ont été prises afin de pourvoir les États en matériels de santé qui font défaut, dont les masques et les appareils de réanimation. 

Le problématique accès aux vaccins 

Les États africains doivent faire face à la pénurie de vaccins dans des proportions bien plus importantes qu’en Occident. Dans le cadre de la Covax, un programme mondial de vaccination financé par des Fondations et des organisations publiques internationales, les gouvernements tentent d’obtenir suffisamment de doses pour vacciner 20% des habitants des pays pauvres d’ici la fin de cette année. L’Union africaine a obtenu séparément 670 millions de doses de vaccin Pfizer, Johnson & Johnson et Astra Zeneca permettant de vacciner, en plus, 25% de la population. Les autorités africaines estiment que 60% de la population africaine pourrait être vaccinée avant la fin de 2022, soit un an après les Occidentaux. 

Selon The Economist, l’immunité par le vaccin ne sera pas obtenue en Afrique avant 2024. Ce délai est jugé problématique compte tenu de l’évolution du virus qui a une capacité importante à muter. Les voyageurs et les touristes qui contribuent à générer près de 9% du PIB resteront à l’écart. 

La question de l’effacement de la dette africaine 

Les pays d’Afrique doivent faire face à une dette publique croissance. Elle est passée de 62 à 70% du PIB de 2019 à 2020. Cette hausse peut être jugée modeste au regard de l’évolution constatée dans les pays de l’OCDE. Les États africains ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre. Ils ont dépensé en moyenne 3% du PIB pour soutenir leur économique quand les États de l’OCDE y ont consacré de 7 à 10% de leur PIB. Les pays africains ne bénéficient pas de la baisse des taux sur leurs dettes qui est souscrites auprès d’investisseurs étrangers. Le recours à la monétisation des dettes est difficile car il provoque une dépréciation de la valeur de la monnaie et rend onéreuses les importations. De peur de mettre en danger leur stabilité macroéconomique, seulement la moitié des États africains ont réduit les taux d’intérêt. 

Pour faire face aux besoins liés à la pandémie, les dépenses d’infrastructures ont été réduites dans de nombreux pays contribuant à l’augmentation du chômage. Le FMI estime que de nombreux pays africains rencontreront des problèmes de financement de leurs dettes d’ici 2023. 

Les gouvernements subsahariens consacrent en moyenne plus de 30% des revenus qu’ils perçoivent au paiement des dettes. Plus de la moitié des pays subsahariens à faible revenu sont en surendettement. En janvier, l’agence Moody’s a souligné les risques auxquels sont confrontés cette année la Zambie, le Ghana et l’Éthiopie, en particulier. 

La situation est en revanche plus contrôlée au sein des deux grandes économies du continent, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Les dettes du Nigéria sont relativement faibles, mais le pays ne dispose pas de réserve de changes. En raison d’une manipulation du cours de sa devise, le pays connait une forte inflation et pourrait être confronté à une crise de la balance des paiements. 

En Afrique du Sud, la dette publique est émise en monnaie locale et est détenue par des emprunteurs locaux. Le service de la dette absorbe néanmoins plus de 30% des ressources fiscales du pays. 43% de la dette publique africaine a été souscrite auprès d’établissements financiers privés étrangers.

Le rôle de la Chine 

L’État chinois possède, de son côté, 16% de cette dette. Il rechigne à accepter les accords de reconfiguration des dettes décidés par le Club de Paris. Il exige souvent des concessions de la part des États africains avec la cession de ports, de voies ferrées ou d’aéroports. 

En 2020, le FMI a accordé 16 milliards de dollars de prêts, pour la plupart avec peu de conditions, pour aider les pays africains à répondre à la pandémie et à prévenir les problèmes de liquidité. La Banque mondiale a ajouté 10 milliards de dollars supplémentaires. Au sein du G20, plusieurs pays sont favorables à un programme de restructuration et d’annulation de la dette. 

Plusieurs États africains ne sont pas favorables à un plan d’annulation qui pénaliserait l’ensemble du continent, en risquant de détourner les investisseurs privés pour de nombreuses années. Le FMI prédit que ce sera la grande région à croissance la plus lente cette année. Les États producteurs devraient néanmoins profiter de la reprise des cours. Le prix du baril de pétrole retrouve progressivement son niveau d’avant crise. Il n’en demeure pas moins que les États africains devront faire face à une réduction des flux de capitaux et à une moindre activité du secteur touristique pour plusieurs années. Les tensions politiques et sociales en Afrique subsaharienne risquent, de ce fait, de se multiplier.

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