La zone euro et la nasse japonaise

Depuis plus trente ans, le Japon connait une faible croissance, un taux de chômage réduit, des taux bas et un endettement croissant. Depuis la crise de 2008, l’Europe tend à ressembler au Japon. La progression du PIB évolue entre 0 et 2 %, l’inflation éprouve les pires difficultés à atteindre l’objectif assigné par la Banque centrale européenne malgré le retour du plein emploi. Tout comme au Japon, la politique monétaire ne semble pas capable de favoriser une hausse des prix.

Si des points de ressemblance existent entre la zone euro et le Japon, des différences importantes doivent être soulignées. Au début des années 90, le Japon sortait d’une phase de forte croissance. Le PIB par tête japonais augmentait alors de plus de 4 % par an. Des prévisionnistes estimaient que le pays pouvait devenir autour de l’an 2000 la première puissance économique mondiale. Les pays européens et les États-Unis adoptaient des mesures protectionnistes pour se protéger des exportations japonaises (dédouanement des magnétoscopes à Poitiers ou quota de voitures japonaises vendues en Europe).

À partir des années 90, le Japon est confronté à une série de chocs économiques et financiers. Le premier est lié à l’élévation des taux d’intérêt provoquée par les banques centrales pour contrecarrer des tensions inflationnistes. Cette hausse provoque une forte baisse de la valeur des actifs. La bulle immobilière éclate au Japon. Il en fut de même pour Paris entre 1993 et 1997. Au Japon, le marché actions recule alors fortement. La capitalisation boursière passe de plus de 100 % de PIB à moins de 60 % entre 1988 et 1992. La croissance du crédit diminue de manière quasi-continue du début de l’année 1997 jusqu’à la fin de l’année 2012.

Face à cette crise, les autorités japonaises sont désemparées et tardent à prendre des mesures de soutien à l’activité. C’est dans un contexte détérioré que le Japon est touché par la crise des économies de l’Est asiatique à partir de 1997. Il entre en récession en 1998. Le Gouvernement pour réduire le déficit décida alors une hausse de la TVA qui ne fit que ralentir l’économie. Devant la persistance de la crise, la banque centrale fut appelée à l’aide. Elle abaissa ses taux assez rapidement, taux qui depuis sont restés à des niveaux historiquement bas. Les taux directeurs de la Banque du Japon sont ainsi passés de 6 à 0 % de 1991 à 1999. La déflation mesurée à partir de l’inflation sous-jacente (inflation calculée en excluant les prix soumis à l’intervention de l’État – électricité, gaz, tabac – et les produits à prix volatils comme les produits pétroliers, les produits frais, les produits laitiers, les viandes, les fleurs et les plantes qui subissent des mouvements très variables dus à des facteurs climatiques ou à des tensions sur les marchés mondiaux) s’est installée au Japon.

À partir de la fin des années 90, la demande intérieure japonaise est déprimée. Les agents économiques privilégient alors le désendettement et réduisent leurs investissements. Le pays commence également à souffrir de la concurrence des pays émergents. Les hausses de salaire se réduisent. Le vieillissement de la population est par ailleurs un fort facteur déflationniste.

La crise de 2008/2009 constitue un troisième choc pour l’économie japonaise. Cette dernière enregistre un des plus forts reculs du PIB, au sein de l’OCDE, -5,5 % en 2009, après -1,1 % en 2008.

Le Premier Ministre Shinzō Abe met alors en place une politique de soutien à l’activité en diminuant les taux, en augmentant les dépenses publiques avec à la clef une forte progression de l’endettement public qui atteint 240% du PIB. Jusqu’à l’heure, l’impact de cette politique sur la croissance et les prix demeure limité.

Depuis trente ans, l’Europe a connu des évolutions économiques assez heurtées. Elle a ainsi subi une phase de récession en 1993 en liaison avec la hausse des taux d’intérêt suivie par une reprise assez vive des années 1997 à 2000 jusqu’à l’éclatement de la bulle Internet. Après une phase de consolidation, la croissance était en progrès juste avant la survenue de la récession de 2008/2009.

Le PIB de la zone euro s’est contracté en 2009. La crise des dettes souveraines provoque une nouvelle récession en 2012 et 2013 (recul du PIB de respectivement de 0,9 et de 0,2 %). Depuis dix ans, l’inflation n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise. La croissance du PIB par habitant a été durablement altérée. La convergence des différents États au sein de la zone euro a cessé. Les pays du Sud de la zone, notamment l’Italie et l’Espagne, ont été plus sévèrement touchés par la crise de la dette en 2012 et ont connu de ce fait un fort recul de leur PIB. À la différence du Japon, les pays de la zone euro n’ont pas connu une diminution des prix des actifs immobiliers ou financiers. Après avoir baissé durant les récessions, ils sont repartis à la hausse depuis la mise en place de la politique monétaire accommodante en 2015. Les taux d’intérêt réels en zone euro sont orientés à la baisse depuis une dizaine d’années. Cette tendance est en phase à celle constatée dans la quasi-totalité des pays avancés. Tout comme au Japon, elle se nourrit également de l’excès d’épargne.

Si la démographie européenne est déclinante, la situation est moins marquée qu’au Japon. La population continue à augmenter en zone euro (+0,2 % en 2018) quand le Japon perd chaque année près de 200 000 habitants (-0,15 %). La population active a commencé à baisser depuis 1995 ; celle de la zone euro, en 2011. La croissance potentielle avoisine, compte tenu de l’évolution de la population et des gains de productivité, 1,2 à 1,4 % quand elle ne dépasse pas 0,5 % au Japon. Les États membres sont plus ouverts à l’immigration que le Japon, ce qui, à terme, peut constituer un atout.

Pour éviter de s’enfermer dans la nasse japonaise, les États de la zone euro tireraient avantage à renforcer leurs liens économiques en parachevant le marché unique et en mettant en place un réel marché des capitaux unifié. La mise en place d’instruments budgétaire de nature fédérale constituerait également une solution afin de faciliter la convergence des différents États membres et relancer la croissance.

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