Avec la reprise de l’économie mondiale après plus d’une année passée sous l’éteignoir de l’épidémie, des goulets d’étranglement se multiplient. Les microprocesseurs, l’acier, le bois viennent à manquer entraînant une hausse des prix et des arrêts de production. Le prix du lithium a plus que doublé au cours de la dernière année. Le prix du cuivre a augmenté d’environ 70 %. Les problèmes d’approvisionnement ont été mis sur le compte de la désorganisation des chaînes de production provoquée par les confinements. Au fil des semaines, les pénuries ne se résorbent pas.
La folle reprise, en particulier américaine, les explique en partie, mais il apparaît également que l’épidémie a modifié de manière structurelle la demande. Les plans de relance adoptés à l’échelle mondiale visent à accélérer la transition énergétique. Ils provoquent une augmentation de la demande de certains biens équipements et de biens intermédiaires indispensables pour la décarbonisation de l’économie. Ce processus devrait s’amplifier dans les prochaines années. En effet, seuls 10 % des investissements nécessaires pour la neutralisation carbone en 2050 ont été réalisés. Pour atteindre les objectifs, ces investissements devront être multipliés par trois en quelques années.
L’accélération de la transition énergétique
Les gouvernements des pays avancés se sont engagés à réduire à néant leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. De plus en plus d’investisseurs exigent que les entreprises optent pour des processus de production sans émission de CO2. Des entreprises comme Volkswagen, BMW, Mercedes, Total ou ExxonMobil, doivent modifier leurs plans d’investissement et se repositionner afin de conserver leurs actionnaires et leurs clients. Le changement de cap est extrêmement rapide, modifiant les structures de production.
Dans le passé, les transitions énergétiques étaient lentes et cumulatives. Les nouveaux modes de production d’énergie s’ajoutaient aux anciennes, la substitution étant progressive et partielle. La transformation radicale qu’impose la transition énergétique est un précédent qui n’est pas, en soi, un défi impossible à tenir. Ce dernier est simplement exigeant en capitaux et suppose une mobilisation de tous les acteurs.
En 2019, la capacité solaire installée était près de 15 fois supérieure à ce qu’elle était en 2010 ; pour l’éolien, le rapport était de 3,4 fois supérieur. Le renforcement des capacités provoque une baisse rapide des prix. Les «coûts actualisés » du solaire, de l’éolien offshore et de l’éolien terrestre (chiffres qui prennent en compte les investissements initiaux en équipement et en construction, le financement et la maintenance) ont, selon The Economist, diminué de respectivement de 83 %, 62 % et 58 %.
Le groupe danois d’éoliennes, Orsted, dont le chiffre d’affaires dépasse 52 milliards d’euros prévoit une croissance de 30 % en 2021. Tesla, le constructeur de voitures électriques et la première capitalisation mondiale pour le secteur de l’automobile, prévoit une progression de ses ventes de plus de 60 %. Sur le seul premier trimestre 2021, 178 milliards de dollars ont été versés dans des fonds d’investissement spécialisés dans la transition énergétique.
Une bulle « verte à l’image de la bulle digitale » ?
En février dernier, une vente aux enchères au Royaume-Uni, de droits sur des fonds marins devant être transformés en parcs éoliens offshore a rapporté 12 milliards de dollars.
La production annuelle de véhicules électriques devra connaître une croissance exponentielle. Ces dernières devraient représenter 60 % des achats en 2030 contre 5 % en 2020. Le nombre de bornes de recharge en bordure de route devra être multiplié par plus de 30. La production d’énergie renouvelable doit tripler avant 2030. À cette fin, la construction de parcs éoliens ou solaires devra être multipliée par quatre.
Les sociétés minières mondiales estiment qu’elles devront augmenter de 500 % la production annuelle des minéraux essentiels pour les batteries. Certains craignent une bulle verte à l’image de la bulle digital des années 2000. D’autres estiment que cette transition énergétique provoquera un cycle inflationniste de grande ampleur. Les craintes seraient d’autant plus justifiées que la transition énergétique ne vient que de commencer.
La dépendance de la transition énergétique aux métaux rares
Les nouvelles sources d’énergie dépendent de minéraux qui sont bien plus concentrés géographiquement que le pétrole et du gaz. Les voitures électriques ne sont pas produites de la même manière que les voitures thermiques. Elles comportent des batteries exigeant des métaux rares. Depuis la fin de l’année 2020, le prix des cinq métaux rares utilisés pour la production des véhicules électriques a augmenté de 139 %. Le risque de pénurie pourrait occasionner de fortes hausses de prix.
Au cours de la seconde moitié de cette décennie, la demande mondiale de lithium pourrait être plus du double du niveau de l’offre. Les matières premières représentent désormais 50 à 70 % des coûts des batteries, contre 40 à 50 % il y a cinq ans, ce qui rend les prix plus vulnérables aux matières premières chères. Les progrès techniques qui ont permis la diminution du prix des batteries de plus de 80 % entre 2012 et 2020 ne suffiront plus, dans les prochaines années, pour compenser la hausse des matières premières.
Tesla dans le nickel en Nouvelle Calédonie
Les entreprises de la transition énergétique se préparent à gérer des pénuries de matières premières. Ainsi, Andreas Nauen, le PDG de Siemens Gamesa, qui fabrique des turbines d’éolienne, a déclaré que le balsa (bois tropical très léger) sera remplacé par de la mousse d’ici le milieu de la décennie. En février de cette année, Elon Musk, le PDG de Tesla, le premier constructeur de voitures électriques, a qualifié la disponibilité du nickel comme la « plus grande préoccupation de son entreprise ». Cette dernière étudie la possibilité de substituer les cathodes à base de nickel aux cathodes en fer.
En attendant, Telsa investit dans les mines de nickel. L’entreprise a pris ainsi pied en Nouvelle Calédonie. Le balsa est aujourd’hui introuvable car il est utilisé pour la fabrication des pales d’éoliennes. La Chine ou la Russie sont en position de force dans ce domaine. Plusieurs États africains comme la République Démocratique du Congo sont également bien dotés. Actuellement, les entreprises chinoises contrôlent une grande partie de nombreuses chaînes d’approvisionnement en minerais cruciaux et celle de fabrication des batteries. Pour éviter une dépendance, les États-Unis ont entreprise de rechercher sur leur sol des gisements.
L’Europe est en retard en matière de diversification de ses approvisionnements même si un plan « batteries » est en train d’être déployé. L’exploitation des mines de terres rares ne sont pas sans poser des problèmes écologiques et sociaux. L’exploitation d’une mine de lithium au Chili provoque une importante contestation de la part des agriculteurs dans l’Atacama du fait de l’utilisation massive de l’eau. La République démocratique du Congo qui délivre 70 % du cobalt fait l’objet de nombreuses critiques en raison du travail dans des conditions déplorables d’hommes, de femmes et d’enfants.
Oppositions aux exploitations des ressources
Au sein des pays occidentaux, les oppositions se multiplient à l’encontre des mines et des parcs d’éoliennes ou de panneaux solaires. Au Groenland, au mois d’avril dernier, la majorité en place a été battue en raison de son soutien à l’exploitation d’une mine de terres rares au Groenland. Dans l’État du Minnesota, des groupes de pression s’opposent à l’ouverture d’une mine de cuivre et de nickel au nom de la préservation des cours d’eau. Ils ont reçu le soutien de Joe Biden qui qui a accepté de reconsidérer les permis d’exploitation de la mine. En moyenne, entre la décision et l’exploitation réelle d’une mine, un délai de 16 ans s’écoule au sein des pays de l’OCDE.
Un problème de foncier
Les nouvelles sources d’énergie renouvelable sont consommatrices de foncier. Une étude américaine considère que 2 % des terres américaines devront être recouvertes de turbines et de panneaux solaires afin que le pays respecte ses engagements internationaux.
En Europe, les fermes d’éoliennes offshore devraient se multiplier faute de place sur terre. 3 500 milliards de dollars d’investissement seront nécessaires d’ici 2030. Pouvant générer un préjudice esthétique ou peser sur certaines activités en particulier agricoles, la réalisation de fermes éoliennes ou solaire provoque fréquemment des oppositions locales. Les contentieux sont nombreux, ralentissant la réalisation des projets.
Aux États-Unis, la mise en place d’éoliennes nécessite, en moyenne, au moins dix ans. Le choix des éoliennes en mer permet de contourner ces problèmes même si les pêcheurs se révèlent également être des opposants forcenés. Les éoliennes en mer sont plus coûteuses à construire et à exploiter du fait de leur exposition aux tempêtes et à l’eau salée.
L’adaptation des réseaux
Les énergies renouvelables exigent une restructuration des réseaux qui devront être plus denses, interconnectés et pilotés par ordinateur. Ces nouvelles énergies exigent une gestion plus complexe que les anciennes en raison de leur production décentralisée et intermittentes. Les dépenses annuelles consacrées aux réseaux électriques devraient plus que tripler d’ici 2030.
Aux États-Unis, la modernisation des réseaux est plus lente que l’augmentation des capacités de production. Au Vietnam, une part non négligeable de l’énergie produite a été gâchée par l’absence de réseaux.
Transition énergétique et pays en développement
Une des clefs de la réussite de la neutralité carbone repose sur l’action des pays émergents et en développement. Compte tenu de leur retard et de l’accroissement de leur population, leurs besoins en énergie sont importants. Leur tentation est d’opter pour l’énergie la moins chère et la plus facile à maîtrise, le charbon. Le recours aux énergies renouvelables est pour ces pays générateur de surcoûts. Le capital à mobiliser pour un projet éolien en Indonésie est environ quatre fois supérieur à celui d’un projet en Allemagne. Avec la crise sanitaire, les transferts en faveur des pays en développement se sont réduits et ont été inférieurs aux engagements pris lors des Accords de Paris.
Le protectionnisme vert
La transition énergétique est devenue le terrain d’excellence de l’interventionnisme d’État. L’Europe entend mettre en place une politique d’indépendance dans le domaine de la production des batteries. Les investissements doivent être également réalisés afin de soutenir les États ou les régions en difficulté.
La Chine envisage de plafonner les prix intérieurs des matières premières dans son prochain plan quinquennal et d’augmenter ceux destinés à l’exportation. Le plan vert du président Joe Biden vise à privilégier les emplois et les fabricants locaux. La transition énergétique permet de faire du protectionnisme sans le dire ouvertement.
L’interventionnisme se traduit également par la fixation de prix minimums pour la production d’électricité et par l’octroi de primes pour l’achat de véhicules électrique. Les réglementations visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre se sont multipliées. L’introduction d’un prix du carbone est également un moyen pour les collectivités publiques d’accélérer la transition énergétique. La fixation d’un prix du carbone demeure, pour le moment, partielle. Seulement 22 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont, en effet, couvertes par des systèmes de tarification.
La transition énergétique accélère avec comme risque la création d’une bulle spéculative. Associée à la spéculation qui entoure certains biens et services digitaux, elle est une source de volatilité comme l’a prouvé le cours du bitcoin. Il a suffi que plusieurs voix dont celle d’Elon Musk PDG de Tesla dénoncent le coût écologique des cryptomonnaies pour que celles-ci chutent.
La décarbonation de l’économie est une nouvelle aventure qui est censée concerner tous les États. En moins de trente ans, la communauté mondiale aura donc à traiter tout à la fois une épidémie et le réchauffement climatique. La hausse plus rapide des températures pourrait, plus tôt que prévu, redonner la main aux scientifiques pour trouver un remède, sachant que le contrôle des émissions de gaz à effet de serre sera un exercice plus que difficile à réaliser avec une population mondiale amenée à augmenter d’ici 2100 de 4 milliards de personnes.
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