Le risque de collapse écologique est aujourd’hui une des rares histoires racontées aux peuples. Mobiliser et fédérer au nom de la défense de la planète et de notre civilisation constituent les objectifs des dirigeants politiques de nombreux Etats. Depuis quelques années, la menace de destruction de la planète du fait de nos comportements, de nos choix économiques, soude un nombre de plus en plus important de citoyens. Les mouvements de jeunes et le rôle de Greta Thunberg semblent prouver l’existence d’une prise de conscience internationale sur la question environnementale.
Au cours du premier semestre 2019, plus de 2000 manifestations de jeunes se sont déroulées dans 128 pays. Elles ont réuni plus d’un million de personnes. Aux États-Unis, pays qui a dénoncé les accords de Paris de 2015, les mouvements de défense de l’environnement sont de plus en plus puissants et démonstratifs. Ainsi, au mois de novembre 2018, des jeunes se réclamant du mouvement « Sunrise » ont envahi le Congrès et ont effectué un sit-in dans le bureau de Nancy Pelosi, la Présidente de la Chambre des Représentants afin qu’un calendrier d’actions précises soit adopté pour réorienter le cours de l’économie. Des élus démocrates, élus en 2018, ont pris fait et cause pour l’instauration d’un « New Deal Vert » reprenant les solutions mises en œuvre par le Président Roosevelt à la fin des années 30.
La difficile fabrication d’un consensus
La transition énergétique et la protection de l’environnement sont considérées par une large partie de la population comme indispensables pour la survie de l’espèce. Ce consensus n’en demeure pas moins fragile et relatif. La répartition des charges liées à la transition n’est pas sans poser des problèmes. Les positions des Présidents américain et brésilien ont prouvé dernièrement que la communauté internationale était loin d’être unie sur ce sujet. Les tergiversations des gouvernements face à des populations traversés par des sentiments contradictoires rendent délicates l’affichage et surtout l’atteinte d’objectifs ambitieux.
Le défi environnemental est une source de crispations et de divisions. Les jeunes reprochent aux anciennes générations d’avoir contribué à cette situation. Il en est de même pour les habitants des pays sous-développés ou émergents à l’encontre de ceux des pays avancés. Les anticapitalistes rejettent la responsabilité de dégradation de l’environnement sur les capitalistes, les multinationales, les gouvernements. Les ruraux et les urbains s’opposent de plus en plus vertement sur l’usage de la voiture. Les agriculteurs sont montrés du doigt pour l’usage des produits phytosanitaires, etc. La transition énergétique ne fédère pas comme la crise des « gilets jaunes » l’a prouvé. Les utilisateurs de voiture en milieu rural ou en grande banlieue se sont révoltés face à l’augmentation des taxes sur les carburants.
L’histoire de la transition énergétique est perçue pour le moment non pas comme une belle aventure mais comme une somme de contraintes pour une partie de la population. L’instauration de la taxe carbone sur les carburants rencontre une forte hostilité en France comme dans de nombreux pays. Si les comportements changent, la tentation est de reporter la responsabilité sur les États et les entreprises. Les thèses relatives à la décroissance, à la culpabilisation des activités polluantes des derniers siècles ont le vent en poupe.
Le défi environnemental
Le réchauffement climatique et ses conséquences constituent un défi sans précédent. Pour assurer la pérennité de l’espèce humaine ou du moins d’une grande partie de la civilisation qui s’est construite au cours de ces derniers siècles, à l’échelle mondiale, une décarbonisation de l’économie doit être réalisée et cela dans des délais extrêmement courts afin de limiter la montée des températures et des eaux.
Les taux faibles devraient également favoriser l’investissement et donc, potentiellement, contribuer à faciliter la transition énergétique à travers le renouvellement des équipements et des infrastructures. Depuis 2015, une remontée de l’investissement est constatée mais elle reste modeste au regard du retard accumulé depuis la crise de 2008. Les entreprises renouvellent leurs équipements mais restructurent leurs dettes et se lancent dans des rachats d’actions grâce à des emprunts à bon marché. L’absence de visibilité économique, le manque de certitudes sur les gains potentiels de la décarbonisation de la production économique ne concourent pas à l’engagement d’un cycle d’investissement en la matière. En outre, les infrastructures utilisant les énergies carbones ne sont pas amorties ce qui n’incite à leur mise au rebus.
La transition énergétique est une véritable révolution.
La décarbonisation de l’économie suppose la mise à plat des modes de production, de transports et certainement de consommation. Cette révolution est plurielle. Elle concernera en premier lieu le secteur énergétique. En 2018, plus de 80 % de la production mondiale d’énergie consommée est d’origine fossile. En lieu et place des centrales thermiques, une multitude de centres de production sera nécessaire. Tant que des progrès substantiels n’auront pas été réalisés au niveau des batteries, la réalisation de surcapacités de production électriques sera indispensable. Les redondances sont justifiées par le caractère aléatoire de la production de certaines énergies renouvelables. Les réseaux d’acheminement de l’électricité devront s’adapter.
Au niveau des transports, la révolution touchera les véhicules terrestres, les bateaux et plus tardivement les avions. Cette transformation du parc des moyens de transports aura tout à la fois des conséquences sur les constructeurs mais sur l’ensemble des chaines amont et avales (métallurgie, motoristes, constructeurs, garagistes, station essence). La lutte contre les émissions des gaz à effet de serre suppose également une modification des infrastructures en matière de chauffage et de climatisation. L’adaptation des bâtiments pour être moins énergivores est longue et coûteuse.
Le coût de la transition énergétique donne lieu à des évaluations très disparates selon les études. Son coût se chiffre quoi qu’il en soit en dizaines de milliers de milliards de dollars sachant que le PIB mondial annuel est de 85 000 milliards de dollars. Tel qu’il est, le montant des investissements à réaliser est une source d’attentisme pour nombre d’acteurs.
Entre la nécessité de stabiliser les émissions des gaz à effet de serre puis de les retreindre pour les ramener à un niveau comparable à celui du début du décollage industriel avec une population qui aura été multipliée par onze (de 1800 à 2100), ce défi apparaît, ainsi présenté, inatteignable pour nombre de commentateurs.
Les États en voie de développement et les pays émergents à l’exception de la Chine sont réticents à s’engager dans un processus de transition énergétique qui pourrait freiner leur croissance. Le problème du réchauffement climatique est imputable aux pays avancés qui ont été à l’origine depuis le XVIIIe siècle de la grande partie des émissions. Pour certains pays dont la Russie, le réchauffement peut être même une aubaine en rendant exploitable des parties de leur territoire qui étaient jusqu’à maintenant hostiles. La révolution énergétique pour être un succès suppose qu’elle soit menée au niveau mondial. Dans le passé, les révolutions économiques ont été menées à des vitesses différentes selon les États. Elles se sont étalées sur deux siècles. Certains pays d’Afrique entament seulement leur transition économique. Le succès de la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre passe par une convergence forte des politiques économiques des différents États.
Les États peuvent-ils les moteurs du changement énergétique ou doivent-ils laisser la place à l’initiative privée ?
Depuis 1750, trois révolutions économiques peuvent être distinguées. Elles reposent toutes sur une ou des énergies, un mode de transformation de l’énergie et un moyen de communication. La première révolution est celle du charbon, du moteur à la vapeur, des chemins de fer et de la diffusion dans le grand public de la presse papier ; la deuxième est celle de l’électricité, du pétrole, des voitures propulsées par des moteurs à explosion, avec comme moyen de communication la radio et la télévision. La troisième est celle des énergies renouvelables, du moteur électrique ou hydrogène et d’Internet.
Les deux premières révolutions reposaient sur la verticalité et la concentration, la troisième est plus horizontale, plus décentralisée tout en donnant lieu à d’impressionnantes concentrations (GAFAM). A la différence des deux premières, la troisième révolution, se déroule sous la pression de la contrainte environnementale. Les deux premières révolutions industrielles ont reposé, même dans des États à dominante libérale, sur des partenariats publics/privés. Les grandes infrastructures ont souvent été réalisées à la demande des États en ayant recours à des concessions avec le soutien normatif et financier de la puissance publique. Il en a été ainsi pour les chemins de fer, les réseaux électriques, d’assainissement ou de gaz ainsi que pour les autoroutes. La construction des aéroports et des ports s’est bien souvent effectuée avec l’appui des pouvoirs publics. Lors des crises, les États ont souvent été contraints de venir en aide en entreprises chargées de ces infrastructures.
Le succès des deux précédentes révolutions industrielles repose sur l’augmentation du niveau d’éducation et de formation des actifs. Cela a été rendu possible par la généralisation de l’école obligatoire et par l’augmentation rapide du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. La répartition plus égalitaire au fil du temps des gains de productivité a permis également une autoalimentation de la croissance. Le partage plus équitable de la valeur ajoutée est également passé par le développement de l’État providence à travers la montée en puissance des prestations sociales.
Les États, bénéficiant de l’avantage d’être considérés comme perpétuels, doivent-ils s’endetter pour financer les dépenses d’investissement nécessaires à la mutation énergétique ? Une des motivations des taux maintenus bas sur longue période pourrait être justement cette nécessité d’endettement. Pour le moment, les administrations publiques doivent faire face à l’augmentation des dépenses de fonctionnement, en particulier en relation avec le vieillissement de la population (dépenses de santé, retraite, dépendance). L’entretien des infrastructures existantes que ce soit aux États-Unis et en Europe pose des problèmes.
Le nationalisme ambiant freine la mise en place d’initiatives multilatérales.
La création de fonds d’intervention publics au niveau de l’ONU, du FMI ou de l’Union européenne reste pour le moment embryonnaire. Le recours aux États est estimé pour certains experts comme une mauvaise solution. Il pourrait conduire à un gaspillage des ressources et cela d’autant plus que les taux d’intérêt sont faibles. En perdant de vue la rentabilité, entre clientélisme et effet de communication, les politiques pourraient avoir des effets contreproductifs voire générer des bulles spéculatives. Les réalisations d’infrastructures comme le Canal de Suez, la construction des lignes ferrées ou les travaux d’Haussmann ont débouché dans le passé sur des scandales financiers et à des crises financières.
L’association public/privé n’est pas un gage total d’efficience. Certains considèrent que les États devraient avant tout instituer des cadres, des normes stables dans le temps pour favoriser la réalisation des investissements. L’idée serait alors de mobiliser l’épargne et de l’orienter vers des placements compatibles avec le développement durable. Pour de nombreuses ONG, cela passe par des actions contre les secteurs responsables des émissions des gaz à effet de serre. Plusieurs campagnes ont ainsi abouti à ce que plus de 1 000 investisseurs institutionnels issus de 37 pays se désengagent à hauteur de 7200 milliards d’euros des entreprises liées aux combustibles fossiles. La ville de New York a décidé en 2018 que les fonds de pension gérant les retraites de ses agents sortiront de toutes les entreprises reposant sur les énergies fossiles d’ici 2023. Le maire de Londres a fait de même. De son côté, le Gouverneur de Californie a annoncé que la politique d’investissement des fonds de pension de ses fonctionnaires devrait intégrer les risques climatiques. Cette prise en compte a été fixée par la loi avec en cas de non-respect l’application d’éventuelles sanctions.
Ces campagnes peuvent avoir des effets contreproductifs. Les entreprises par exemple pétrolières par leur savoir-faire, leur rôle en matière de recherche et par le poids de leurs réseaux de distribution sont bien placées pour faciliter la transition énergétique. En France, à partir de 2020, tous les contrats devront offrir la possibilité de souscrire au moins un fonds labellisé Investissement Socialement Responsable (ISR), obligation qui sera étendue en 2022 aux fonds labellisés « transition énergétique et écologique pour le climat » (TEEC) et aux fonds solidaires visés par Finansol. Les placements ISR détenus par les ménages représenteraient 3 % de leur patrimoine financier (51 milliards d’euros). 197 fonds labellisés sont labellisés ISR.
Selon la Fédération Française de l’Assurance, le poids des fonds gérés en tenant compte des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise) atteindrait 1.325 milliards d’euros.
La mobilisation financière en faveur de la transition énergétique n’en est qu’à ses débuts. Les questions de l’appui aux pays en développement, de l’interdiction de l’importation des biens de pays ne respectant pas la limitation des émissions de CO2, de la reconversion des secteurs d’activité qui seront touchés par cette transition, etc. soulignent bien l’importance de la tâche. Même si avec l’essor de l’intelligence artificielle, la tentation est à la centralisation, la sagesse dans cette affaire de mutation économique ne serait-elle pas d’en revenir au principe de subsidiarité ?
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