11 milliards de dollars : l’élection américaine est la plus chère de l’histoire, comme toutes les élections qui l’ont précédée, puisqu’à chaque fois, les candidats dépensent plus que leurs prédécesseurs. Cette fois, la progression est impressionnante : en 2016 les candidats n’avaient dépensé « que » 6.5 milliards, à peine plus qu’en 2012 : 6.3 milliards. 11 milliards c’est plus du double des dépenses de 2008, la première élection d’Obama, 5.3 milliards.
Ces montants totalisent toutes les dépenses électorales de tous les candidats, l’élection présidentielle n’étant que la plus importante. Il y a, le même jour, des dizaines d’autres élections : la Chambre des Représentants, le tiers du Sénat, de nombreuses élections de gouverneurs et autres scrutins locaux. 11 milliards représente donc le coût global des élections, d’après le Center for Responsive Politics, une association indépendante qui se propose de suivre les liens entre argent et politique. Certaines projections, puisque les campagnes ne sont pas terminées , anticipent des chiffres encore plus élevés.
Biden bat Trump pour les recettes comme pour les dépenses
Joe Biden a dépassé Donald Trump pour les recettes et les dépenses, alors que Trump avait commencé à recueillir de l’argent dés son élection, il y a quatre ans. Biden aurait récolté 952 millions de dollars, Trump 601 selon les chiffres déclarés à la Commission électorale au mois d’octobre. Biden aurait à cette date dépensé 790 M$ et Trump 565. Mais selon le Center for Responsive Politics, Trump aurait disposé, avec les comités externes de 867 M$ et Biden de 1.380M$. C’est ce qui fait dire aux Démocrates que Trump n’a plus les ressources pour rattraper son retard. Cette dernière semaine, Biden va étouffer Trump sous les spots publicitaires dans les Etats clés.
Le candidat qui a le plus dépensé est le milliardaire et ancien maire de New York Michael Bloomberg, candidat à la primaire démocrate, parti tard pour vite abandonner, après avoir dépensé plus d’un milliard de dollars. Comme quoi l’argent ne fait pas tout. Il faut dire qu’un clip diffusé pendant le Super bowl aurait couté à Bloomberg 10 millions de dollars. A ce prix là, çà va vite. Et çà fait très cher la voix. Bloomberg avait essentiellement puisé dans sa fortune personnelle.
10 millions pour un spot
Normalement, comme en France, les sommes dépensées sont plafonnées. Mais seulement quand le candidat a recours au financement public. Ce qui change tout, car les candidats « sérieux » renoncent à l’argent public, qui limite les dépenses à un plafond de 84 millions de dollars, dérisoire. Les candidats se passent donc de l’argent de l’Etat, installent de multiples Comités locaux et s’appuient sur des comités d’action politique qui défendent des causes précises proches des leurs.
La Commission électorale est chargée de contrôler l’origine des fonds et les dépenses. Elle fonctionne assez mal, trois de ses six membres n’ayant d’ailleurs pas été remplacés par Trump et le Sénat. Plus de 350 requêtes sont en attente devant la Commission.
Un indicateur du dynamisme d’une campagne
Le montant des sommes récoltées est un bon indicateur du dynamisme d’une campagne. Les jeux semblent faits pour Biden depuis qu’il a récolté plus de 10 millions de dollars après le premier débat, un baromètre plus fiable que les sondages. Avec la nomination de la juge conservatrice Ruth Ginsburg à la Cour suprême, la plate forme démocrate de récolte de fonds Actblue a récolté 300m$. Cette plate forme, créée en 2004, a récolté plus de 7,5 milliards depuis cette date.
Les Démocrates recueillent et dépensent largement plus que les Républicains, presque le double, même en faisant abstraction du milliard de Bloomberg.
La bataille pour le Congrès atteint elle aussi des records, à plus de 5.6 milliards. Les candidats démocrates pour la Chambre des Représentants ont réuni 534M$, les Républicains 424. Pour le Sénat, les Démocrates ont récolté 331M$, les Républicains 280. Les Démocrates bénéficient de plus de Comités externes alliés réunissant plus d’un milliard de dollar.
Trump champion des petits donateurs
Les petits donateurs, ceux qui donnent moins de 200$, représentent 22% des sommes récoltées. Trump a reçu 252 M$ de petits donateurs, ce qui en fait le recordman historique. A l’opposé, les cent plus grands donateurs ont totalisé 756M$, soit 8% de l’ensemble.
La provenance géographique des dons a son intérêt. Ainsi Trump a de généreux donateurs en Californie, même s’il n’a aucune chance de l’emporter là bas : il y a récolté près de 64M$, autant qu’au Texas. Mais moins qu’au Nevada, 83M$, l’essentiel venant de Las Vegas. Le premier contributeur pour Trump est la Floride où il a récolté 85 M$.
Joe Biden, lui, a récolté des sommes impressionnantes dans les bastions démocrates : 237M$ en Californie, 170 à New York, 128 à Washington, 54 M$ dans le Massasuchetts. De quoi en faire le candidat de l’élite de la côte est et de la côte ouest.
Les campagnes pour réunir de l’argent ont elles même un coût, qui représente environ 5% des sommes récoltées. Les dépenses de communication sont les dépenses les plus importantes, de 60% pour Trump à 75% pour Biden. Les salaires sont le second poste. Mais cette année, à cause du coronavirus, il n’a y pas eu beaucoup de meetings et d’évènements. Nul doute que pour la prochaine présidentielle, ces plafonds exploseront avec le retour des grands meetings.
Le coût de la démocratie, celui de la non démocratie
Evidement ces sommes semblent indécentes. Surtout lorsqu’on s’aperçoit que les débats ont été réduits au minimum, en tout cas entre Trump et Biden. Le principe même de ces dépenses est de réduire les campagnes à des slogans et à du matraquage publicitaire.
En France, la publicité à la télévision est interdite, ce qui fait certainement baissé les coûts. Récemment, les archives du Conseil constitutionnel ont révélé que lors des élections de 1995, aussi bien Edouard Balladur que Jacques Chirac avaient dépassé le plafond autorisé, bien bas par rapport aux normes américaines.
La démocratie coûte, et aux Etats-Unis elle coûte cher. Cependant, Elle est plutôt économe par rapport à la non démocratie. Combien coûtent les services de truquage des urnes, la surveillance de la population l’entretien d’une police politique, sans compter la corruption toujours plus facile dans les régimes sans transparence ?
11 milliards c’est colossal. C’est moins que ce que cachent certains dictateurs de pays bien moins riches que les Etats-Unis. D’autant que cet argent que cet argent est dépensé sur place. Le plus dangereux, ce n’est pas le coût des campagnes, mais la qualité des candidats et le rôle des lobbys.
44$ par électeur en âge de voter
Rien de nouveau sous le soleil, Eisenhower dénonçait déjà le complexe militaro-industriel, dont Johnson était un des représentants, et Kennedy n’a gagné ses élections que grâce à un financement inédit, à l’époque.
La démocratie américaine est étonnante, et n’en finira pas de nous étonner. Il ya quatre ans, 138 millions d’électeurs avaient voté. 50 millions ont déjà voté pour cette élection par correspondance. La participation promet d’atteindre des records. Elle n’a plus dépassé les 60% depuis 1968, calculée sur la base du nombre d’électeurs en âge de voter. Après tout, pour plus 250 millions d’électeurs potentiels, cela ne fait, avec 11 milliards, que 44$ par électeur.
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