La nuit leur appartient : Paul, directeur artistique de l’Enklawa « Proposer du rêve et de la folie »

 La nuit leur appartient : Paul, directeur artistique de l’Enklawa « Proposer du rêve et de la folie »

Ils sont directeurs de discothèques, chanteurs de rock français, ils organisent des soirées festives à l’étranger et ils travaillent tous à l’heure où vous allez vous coucher. Ces oiseaux de nuit ont fait de la gestion du divertissement nocturne leur métier.  Et la nuit leur appartient, en somme. Qu’on soit à Varsovie, à Lisbonne ou à Bogota, qu’on aime danser, rire en bonne compagnie ou trinquer plus que de raison, Lesfrançais.press vous invitent à partir à leur rencontre et à visiter avec eux les coulisses de ce monde fascinant de la nuit. 

Paul, directeur artistique et marketing d’une boîte connue à Varsovie

Paul Lasinski est journaliste et écrit pour une célèbre revue scientifique grand public. Ce franco-polonais est une figure connue de la communauté française de Varsovie où il a grandi enfant et où il s’épanouit désormais adulte. Depuis le printemps dernier, il a pris des fonctions de directeur artistique et marketing d’Enklawa Club, une des discothèques les plus anciennes et les plus connues de la capitale polonaise. Avec ses deux millions d’habitants, Varsovie connaît une mutation de son marché de la nuit.

Les berges de la Vistule aménagées voient désormais se presser une foule nombreuse durant l’été avec des concerts et bars à ciel ouvert très animés. Les investisseurs ont aussi transformé d’anciens lieux industriels désaffectés pour créer des concepts de divertissement « all inclusive » mêlant food court, boutiques de luxe, bars musicaux et autres lieux de détente. Symbole fort de cette mutation, le siège de l’ancien Parti communiste polonais, un quadrilatère à la cour immense, devient à la belle saison un lieu enflammé où la jeunesse polonaise vient consommer alcool et musique électronique. 

Sur la rive gauche de la Vistule, le quartier de Praga garde lui son aspect canaille et un peu sulfureux et possède sa propre clientèle, plus aventureuse. Les boîtes du centre-ville de la rive droite, l’hyper centre plus bourgeois et institutionnel, ont pu souffrir de cette démultiplication des lieux de sortie nocturne. Elles sont placées face à l’obligation de s’adapter à la nouvelle donne de la nuit. L’Enklawa Club, situé dans la rue Mazowiecka du centre-ville, est longtemps resté un lieu emblématique de la vie nocturne polonaise. Le club doit désormais se réinventer et créer une stratégie plus affirmée pour reconquérir sa clientèle. L’occasion d’une interview sur l’évolution de Varsovie en pleine mue nocturne avec un de ses acteurs qui organise justement la relance gagnante d’une boîte en plein renouveau…

La nuit leur appartient
L'Enklawa Club

Varsovie, capitale ennuyeuse c’est fini. Mais le marché de la nuit est désormais compliqué

Boris Faure : « Bonsoir Paul. On a longtemps présenté Varsovie comme une capitale ennuyeuse à l’échelle européenne. Et pourtant, avec l’ouverture des berges de la Vistule, la réhabilitation d’anciens lieux industriels dédiés désormais à la fête, la Fabryka Norblina par exemple, la ville a changé de visage et est devenue plus festive et multipolaire. Comment percevez-vous cette évolution en tant que directeur marketing d’une boîte du centre-ville ? »

Paul Lasinski : « L’offre de divertissement sur Varsovie a évolué plus vite que la potentielle clientèle. Jusqu’en 2010, il y avait moins de boîtes, donc plus d’intéressés qui se soumettaient sans sourciller à une sélection stricte à l’entrée. En six ou sept ans, la capitale – qui ne compte que 2 millions d’habitants – a vu apparaître tellement d’établissement nouveaux, que l’on estime qu’il y a désormais presque trop d’endroits pour sortir. Bien entendu, avec la crise du Covid certains endroits ont fermé, d’autres ont survécu et certains se sont ouverts après la pandémie. Mais tous ces facteurs ont rendu le marché de la nuit sur Varsovie, disons, compliqué. »

Une feuille de route simple : faire entrer l’Enklawa dans le club exclusif des légendes

Boris Faure : «Vous assumez donc des fonctions de managériales à l’Enklawa, un club que certains considèrent comme mythique à Varsovie. Quelle est votre feuille de route?»

Paul Lasinski : « Ma feuille de route est simple : ne pas rester derrière la concurrence. Aussi bien l’ancienne, que la nouvelle. Ma mission est de reconstruire une clientèle d’habitués et de récupérer le public qui fréquente les nouveaux endroits. Et ce, parce que je fais la différence entre l’effet de mode et la légende. Je veux faire rentrer l’Enklawa dans le club exclusif et fermé des véritables légendes. »

La recette du succès : proposer du rêve et de la folie

Boris Faure : « Quelle est la recette ? »

Paul Lasinski : « Proposer du rêve et de la folie. La question de base c’est pourquoi on va dans des clubs alors que la musique est forte et les alcools sont chers ? Aujourd’hui on peut draguer chez soi via des applications, écouter de la musique du monde sans bouger de son canapé et consommer des alcools de qualité que l’on achète bien moins cher au supermarché qu’en club. Il faut donc proposer des choses que les gens n’ont pas et ne peuvent pas avoir chez eux. En parallèle, il faut donner une image exclusive, de sorte que les clients se sentent valorisés par le lieu qu’ils fréquentent. »

La nuit leur appartient
L'Enklawa Club

L’Enklawa, la boîte de Varsovie qui ferme le plus tard

Boris Faure : « Quel premier bilan faites-vous après six mois dans vos fonctions ? »

Paul Lasinski : « Cela fonctionne en grande partie. J’ai pris mes fonctions au printemps, juste avant l’arrivée de la période estivale plus creuse, où les varsoviens favorisent l’extérieur pour profiter des belles nuits d’été. Ces deux mois de creux m’ont permis de tester de nouveaux processus et les méthodes de la rentrée. Dès la mi-septembre, ces nouveaux éléments ont porté leurs fruits : les gens ont commencé à venir et – surtout – à revenir. A l’heure où l’on se parle, Enklawa est la boîte qui ferme le plus tard de Varsovie. C’est un signe objectif qui ne trompe pas. »

Travailler sur les détails, créer un sentiment d’exclusivité

Boris Faure:  « Concrètement, comment arrivez-vous à créer l’ambiance de fête ? »

Paul Lasinski : « En travaillant tous les détails qui, pris séparément semblent insignifiants, mais qui, mis ensemble, créent un effet visible. Par exemple, nous diffusons sur nos écrans géants de nouveaux visuels vidéo dédiés exclusivement à la thématique de chaque soirée. J’ai clarifié la thématique musicale en assignant des thèmes à chacune de nos quatre soirées de la semaine, j’ai constitué un groupe de danseuses professionnelles de haut niveau, j’ai habillé le personnel et ai mis en place quelques règles de base de la relation client, qu’on peut ne résumer à « Ni trop proche, ni trop distant. »

L’obligation de créer une stratégie pour les discothèques

Boris Faure : « Comment et sur quoi sont fondées la stratégie et l’économie d’une discothèque ? »

Paul Lasinski : « Auparavant, les clubs anciens n’avaient pas de stratégie. Il y avait plus de public que de lieux pour les recevoir. Tout « marchait tout seul », sans grands efforts de la part des propriétaires des clubs. Aujourd’hui, la concurrence et la réduction de la clientèle ont contraint et forcé les directions à adopter aussi bien une stratégie opérationnelle que financière. Le terme de « budget » s’est imposé dans l’univers de la nuit. »

La nuit leur appartient
Paul Lasinski

Faire consommer dans un lieu sécurisé

Boris Faure : « Comment fait-on consommer les gens en termes de débit de boisson ? »

Paul Lasinski : « On adapte l’offre aux besoins et aux tendances et – bien entendu – on tâche de faire rester les gens le plus longtemps possible. Nous, on les fait rester souvent jusqu’à sept heures du matin. »

Boris Faure : « Comment arrive-t-on à travailler dans un club ? »

Paul Lasinski : « A mon avis, il faut vraiment avoir une passion pour la nuit et pour ses codes, différents entre les gens que celles qui régissent le jour. Il faut aussi y voir un aspect social et culturel. On voit par exemple comment fonctionnent les gens durant une fête, comment ils font pour communiquer ou séduire. Personnellement, quand j’observe des gens qui pénètrent dans le club, je sais déjà à leur attitude comment ils passeront leur soirée. Je connais leurs attentes et leurs besoins, car je suis moi-même un client « nocturne » de longue date. »

Boris Faure : « Le club comme lieu de rencontre, cela fonctionne encore ? »

Paul Lasinski : « Oui, mais plus comme avant. Les lieux de convivialité pullulent désormais en ville. Aujourd’hui, les gens viennent souvent dans les clubs principalement pour s’amuser en petit ou en plus grand comité, sans chercher vraiment à draguer. »

Très peu de drogue et une violence très rare

Boris Faure : « Quid de la drogue en club ? »

Paul Lasinski : « Comme la population polonaise en général, nous ne sommes pas tolérants par rapport à la consommation de stupéfiants. On se doute bien que certains clients peuvent prendre des substances illégales discrètement, aux toilettes. Mais notre club n’est pas du tout connu pour cela. »

Boris Faure : « Et la violence en boîte ? »

Paul Lasinski : « Je n’ai vu qu’un seul et rapide échange de coups de poings dans notre club… en quinze ans. Notre expérience nous permet de ne pas être fréquentés par des profils que l’on estime « problématiques ». Par ailleurs, nous disposons d’un service d’ordre à l’affût dans le club, prêt à intervenir en quelques secondes en cas de conflit. Nous sommes réputés pour la sécurité et sommes heureux que cet aspect revienne souvent dans les avis de nos clients. »

Apporter encore plus de rêve et de fun

Boris Faure : « Qu’est-ce qu’il reste à faire et à changer ? »

Paul Lasinski : « Je veux apporter encore plus de rêve et de fun. C’est d’ailleurs en cours. Cela prendra un peu de temps mais ça va arriver. J’ai plus d’impatience de faire que de frustration de ne pas pouvoir faire. Le résultat sera concluant. J’en suis persuadé. »

La nuit leur appartient
Varsovie, la Nuit

Une soirée mémorable avec Vladimir Cauchemar, des soirées thématiques qui incarnent le renouveau du lieu

Boris Faure : « Quelles sont les soirées qui ont le plus marché ? »

Paul Lasinski : « En 20 ans, Enklawa a créé plusieurs soirées événement et a accueilli de nombreux artistes. Récemment, nous avons accueilli pour la première fois en Pologne Vladimir Cauchemar, un DJ producteur français connu pour ses collaborations avec Orelsan et Clara Lucciani. Nous avons également assuré un spectaculaire show lors du week-end d’Halloween. Enfin, j’ai aussi créé une soirée mensuelle intitulée « Enklawa Signature » qui propose de nombreuses attractions et des surprises destinées à notre clientèle. C’est une véritable nouveauté qui fidélise et attire de nouveaux clients. »

Boris Faure : « Quel est le profil de la clientèle justement ? »

Paul Lasinski : « Essentiellement étrangère en semaine et plus locale le weekend. Avec des différences considérables. Avec la Covid, des sociétés basées à l’étranger ont fait le choix des réunions en ligne et envoient moins leur personnel en déplacement international. Le conflit en Ukraine a aussi dissuadé des personnes de venir. On a ressenti une chute de fréquence à ce moment-là. Comme si Varsovie était menacée de bombardement… Mais la clientèle locale, elle, est bel et bien là, tout au long de la semaine, avec une préférence pour les week-ends. »

Face à la concurrence des nouveaux lieux hybrides, la mission de relance est complexe mais passionnante

Boris Faure : « Qu’est-ce qui différencie techniquement un club français d’un club polonais ? »

Paul Lasinski : « A Paris par exemple, ville touristique oblige, il y a du monde tout le temps. Les clubs parisiens nécessitent moins d’effort pour avoir une clientèle. Ils ont des habitués et des touristes de passage. En gros, la mission d’un directeur marketing à Varsovie est plus compliquée que celle de ceux responsables des établissements parisiens. »

Boris Faure : « Et les nouveaux lieux ouverts ici vous font du tort ? »

Paul Lasinski : « Par rapport aux endroits à la mode à Varsovie, ce sont des lieux hybrides, avec des restaurants et des lieux de danse. Un club est plus réduit dans ses fonctions. C’est la tendance actuelle de parier sur l’hybride. Mais nous allons réussir – j’en suis sûr – à compenser ces manques à Enklawa, avec notre identité et notre stratégie nouvelle. »

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