« La nuit leur appartient : Mehdi, le chanteur Français de Lisbonne » 

« La nuit leur appartient : Mehdi, le chanteur Français de Lisbonne » 

Lisbonne la nuit. Ses rues qui penchent comme un navire qui aurait de la gîte sous la houle. Ses tramways de couleur qui éclairent le soir. Sa poésie urbaine à chaque coin de rue. Lisbonne, capitale aux nuits paisibles, à l’image de ses habitants à l’indolence raffinée ?

La nuit y est pourtant intense et animée. Les touristes qu’on croise dans les quartiers du centre à toute heure du jour et de la nuit ne s’y trompent pas. Mais loin des guides touristiques et de leurs itinéraires balisés, je voulais découvrir la culture de la fête portugaise, comprendre les pratiques locales et percer quelques-uns des mystères de la nuit lisboète.

Il me fallait partir en quête d’un guide, le genre d’expert dont les heures les plus denses commencent à minuit pour s’étaler jusqu’au petit matin blême. Un homme à qui la nuit portugaise appartiendrait. Je l’ai trouvé sans le chercher : Mehdi Benlahcen est une figure de la communauté française du Portugal qu’il a longtemps représentée comme conseiller consulaire auprès de l’Ambassade. Ce Toulousain chaleureux enseigne également l’économie au lycée français de Lisbonne. Politique et professeur ? Diantre. Voilà un homme qui sur le papier connaît sans doute mieux le sérieux protocolaire et les lois du marché plutôt que les endroits festifs. 

Et pourtant… Mehdi est aussi un noctambule qui s’assume et le chanteur charismatique d’un groupe de rock à la notoriété croissante, les Badoites. Mehdi aime la nuit comme il aime les gens :  Il se laisse porter par les rencontres d’un soir, ne retient pas son rire communicatif et s’affiche sans snobisme dans les bouges les plus improbables tout en étalant sa faconde de méridional sur les terrasses les plus branchées. 

J’ai vite compris que c’était mon homme. Mon sésame pour entrer dans la nuit portugaise. Nous nous sommes donc retrouvés ce soir-là au Bar Procopio. La nuit était encore tendre en ce mois de novembre à Lisbonne. 15 degrés en soirée. Une veste légère et une écharpe suffisaient à mon bonheur de marcheur pendant que je grimpais vers le lieu de rendez-vous en flirtant avec les pavés glissants. Le Bar sentait les couches d’histoires accumulées, la décoration art nouveau se mariait aux lampes tamisées et les banquettes rouges donnaient une impression tenace de maison close d’antan. Loin des nouvelles ligues de vertus, des femmes lascives affichaient des poitrines dodues dans des cadres de bois bruns. Une clientèle parsemée à cette heure et des accents variés témoignaient de la présence d’une population locale et internationale. 

Ce lieu cosmopolite aurait plu au marin de légende Corto Maltese s’il avait eu l’heur de croiser par ses latitudes. Dans cette alcôve urbaine, on se sentait dans un lieu protégé du regard d’autrui au fond d’une petite impasse végétalisée. Le Procopio, ce cocon pour rendez-vous discrets où avec Medhi nous avons trinqué au Porto Tonic sans voir la nuit s’écouler au-dehors. 

La nuit nous appartient
Mehdi Benlahcen
Boris Faure : « Pourquoi avez-vous choisi ce lieu pour notre rendez-vous ? »

Mehdi : « Le Bar Procopio est un haut lieu de la révolution des Œillets dont nous allons bientôt fêter le cinquantenaire. C’est ici que les militaires se réunissaient pour préparer la révolution. De l’extérieur, cela ressemble à une petite maison de quartier discrètement située au fond d’une impasse. Cela résume la dualité du Portugal, avec un côté traditionnel et progressiste à la fois. »

Boris Faure : « Pouvez-vous me parler de la nuit Portugaise. Où fait-on la fête dans le pays ? »

Mehdi : « Entre Lisbonne et Porto, je vois des lieux communs, des quartiers et des rues qui se ressemblent. La rue de Paris à Porto est emblématique comme le Bairro Alto et la Pink Street ici à Lisbonne. »

« La nuit lisboète a évolué »

Boris Faure : « Vous êtes arrivé au Portugal voilà 16 ans. Quelles ont été les évolutions du monde de la nuit ? »

Mehdi : « La nuit lisboète a évolué car elle est organisée autour de concepts multiples. Au départ, le cœur de la nuit, ce sont d’abord des lieux historiques : le Lux Fragil ou le Lounge qui sont des discothèques ou bars célèbres, puis ensuite les lieux venus avec la Jet-setisation. La nuit est devenue un peu plus chic avec la politique visant à attirer des étrangers (exonérations fiscales) et le développement économique. Jusque-là, la nuit ressemblait à celle de la Movida madrilène avec un côté bohème, arty, populaire et baroque. On a vu s’ouvrir le Baron comme à Paris, qui a disparu, et le Mama Shelter. Des lieux où sont pratiqués une certaine sélection sociale. On a vu aussi se développer des bars de plage assez sélects, on pourrait presque dire des bars de plage tropéziens avec l’arrivée massive des Français. Les bars de plage, jusque-là, étaient assez poisseux et dans leur jus. Maintenant, les bars de plages ne pratiquent plus les mêmes tarifs. C’est 15 à 16 euros la petite assiette de poisson contre 8 euros avant. Les bars de plage ont leur DJ désormais et se sont donc transformés en profondeur. »

Boris Faure : «Et la clientèle ? Quelle est la proportion entre les touristes et les locaux ?»

Mehdi : « Il y a des quartiers et des lieux populaires, constitués par les lieux historiques de Lisbonne, le Barrio Alto et la Rua da Bica, où l’on peut encore sortir pour pas cher. On y croise des locaux bien sûr, mais la nuit est très mixte et les bonnes adresses sont connues des touristes. A côté des lieux accessibles, il y a toute une nouvelle catégorie de bars très prisés, comme certains rooftops, dont le Javà où j’étais ce week-end. Et je veux croire qu’il reste encore des lieux qui sont des secrets bien gardés des seuls résidents. Que je ne vais pas dévoiler ici…(sourire) »

La nuit nous appartient
Lisbonne la nuit

« La culture de descendre les bars »

Boris Faure : « Est-ce qu’il y a des circuits de déambulation nocturne, des itinéraires empruntés par les nighters ? »

Mehdi : « Il y a cette culture de descendre des bars, au fur et à mesure de la nuit. Tu pars des hauteurs des collines et tu descends de bar en bar vers les quais où tu vas trouver les boîtes et finir la nuit. C’est une manière de sortir et de déambuler très typique de cette ville étagée. Le Pensao De Amor qui est un ancien bordel transformé en bar dansant est une des étapes incontournables. Il est ouvert jusqu’à 4 heures du matin. Il y a bien sûr des circuits informels et plus personnels. Mais l’idée est de descendre (rires)… »

Boris Faure : « Vous êtes chanteur dans un groupe de rock français. Vous êtes l’un des animateurs de la nuit. Est-ce qu’il y a beaucoup de bars musicaux qui proposent de la musique live à Lisbonne ? »

Mehdi : « Il y en a beaucoup avec des groupes très solides. Lisbonne a beaucoup cédé à la mode des DJ, donc cela menace la musique live. Avec mon groupe, on a fait une des premières soirées sur l’avenue de la liberté qui est l’équivalent des Champs à Paris. Il faut trouver les bons segments, c’est-à-dire faire se rencontrer la musique, un public et l’identité d’un lieu. Cela demande aux restaurants qui proposent du live de s’adresser à une clientèle qui est prête à payer plus cher pour bien manger et avoir le groupe en animation sonore. »

« Ici, il y a des fêtes populaires qui sont extraordinaires »

Boris Faure : « Le portugais se lâche-t-il en soirée ? »

Mehdi : « Il aime faire la fête très clairement. Mais par rapport à mes racines du sud-ouest, il n’y a pas cette créativité, cette folie dans la fête et cette autodérision qui peut tourner à la déconne ou à la galéjade. On le retrouve un peu moins ici, même s’ils adorent danser et chanter. Quand la fête est belle, ils gardent tout de même leur petit côté sérieux. Je n’ai jamais vu de gens danser sur les tables (rires). 

Il y a cependant des fêtes populaires au Portugal qui sont extraordinaires. Les fêtes de Lisbonne en juin sont fabuleuses, avec la même retenue tout de même. Il y a dans les rues une marée humaine, un mélange entre modernité et tradition. Ca, c’est presque sans équivalent. »

Boris Faure : « Et la drague et la rencontre, c’est facile ici ? »

Mehdi : « Il y a des différences de générations, de milieux sociaux. Je ne pense pas qu’emballer une Portugaise le premier soir soit si courant (sourire). Même avec une rencontre non conventionnelle au départ, il faut quand même passer par une phase conventionnelle ensuite. Il y a un poids culturel et éducatif qui fait qu’on ne joue pas avec les conventions. Lors de mes premières années au Portugal, je me souviens de certains de mes élèves de terminale, m’expliquant qu’il était plus simple pour eux d’avoir des histoires avec des « Françaises » car le poids des conventions était trop fort chez les « Portugaises ». C’est le stéréotype autour des Françaises qui a sans doute la vie dure. La communauté française locale est d’ailleurs dense (Mehdi a été conseiller des Français du Portugal de 2014 à 2021). »

« Une ville gay friendly, très clairement »

Boris Faure : « Et le Lisbonne LGBT, pouvez-vous m’en parler ? »

Mehdi : « C’est une ville gay friendly, très clairement. A partir des années 2010, la ville est devenue un haut lieu de la communauté LGBT. Le quartier qui est autour de la place des fleurs est toute proportion gardée l’équivalent du Marais. »

Boris Faure : « Et la consommation de drogues ? »

Mehdi : « Je ne suis pas un expert. La consommation de Cannabis n’est pas forcément pénalisée. Il y a une forme de liberté par rapport à cela.  Il y a moins de retenue sur la drogue que sur le sexe. »

Boris Faure : « Le catholicisme influence les comportements, j’imagine ? »

Mehdi : « Il y a une hypocrisie sur le sexe. On trouve des établissements de nuit avec des escorts et une prostitution à peine voilée. Mais personne n’en parle. »

La nuit nous appartient
Mehdi Benlahcen

«De plus en plus de restaurants sont tenus par des Français»

Boris Faure : « Vous connaissez beaucoup de Français qui investissent dans la nuit ? »

Mehdi : « De plus en plus de restaurants et de bars sont tenus par des Français et notamment des bars de plage. Il y a eu l’appel d’air de l’exemption fiscale décidée par le gouvernement. Des personnes qui sont arrivées et se sont d’abord tournées vers le monde de la restauration. Il y a ensuite eu une deuxième vague avec le Brexit. Des personnes plus fortunées avec des capitaux à investir.  Un Portugais face à l’inflation va choisir de sortir ailleurs, et donc les endroits sélects qui ont été créés risquent d’avoir des difficultés vu le niveau des prix et du pouvoir d’achat. Ça reste un pays où les inégalités sont tellement fortes que seuls les établissements chics avec de la trésorerie ou plus populaires et reconnus vont pouvoir réellement s’en sortir. Alors que les établissements intermédiaires auront du mal, je le crains. »

Boris Faure : « Des fermetures à craindre ? »

Mehdi : « Il y a une dynamique d’ouvertures et fermetures assez nette. Il y a toujours eu une rotation. Il y a aussi des fermetures qui ne sont pas économiques mais administratives. C’était le cas du Baron. »

« Ici on ne programme jamais sa nuit »

Boris Faure : « Et ta plus grosse fiesta, tu peux nous la raconter ? »

Mehdi : « Je préfère parler de ma fiesta type. C’est la fiesta improbable que tu n’as pas programmée. Typiquement, le phénomène de descente fait que les rencontres se multiplient. Des gens s’agrègent puis constituent un groupe. Ici, on ne programme jamais sa nuit. Je programme au départ une soirée qui ne va pas se dérouler ni se finir comme je l’avais prévue. »

Boris Faure : « Et le lieu où tu rêverais de jouer avec ton groupe ? »

Mehdi : « On a déjà fait beaucoup d’endroits sympas. Sur des rooftops, à l’Ambassade de France, dans les jardins du Marquis de Pombal, au pavillon Carlos Lopez devant 1200 personnes. Mais l’endroit où je rêverais de jouer c’est au coucher de soleil sur la plage de Costa De Caparica. Peu importe le bar qui me prend là-bas, j’y vais (rire). »

Vous pouvez également retrouver The Badoites Band sur Deezer et sur Spotify.

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