En Europe et, tout particulièrement, en France, l’époque est à la muséification. Il en va des idées comme de l’architecture. En réaction aux Trente Glorieuses, au nom de la protection de l’environnement, au nom d’un conservatisme qui se nourrit peut-être du vieillissement de la population, les constructions du passé deviennent intouchables ou presque. La moindre relique devient un ouvrage d’art ou un droit acquis. La décision de reconstruire la cathédrale de Paris s’est imposée naturellement. Après la Première Guerre mondiale, la reconstruction de celle de Reims se fit en recourant aux techniques de pointe du moment. La construction même des cathédrales donnait lieu à des changements de techniques, les compagnons bâtisseurs intégrant au fur et à mesure les innovations de leur temps. Par ailleurs, les monuments que nous vénérons aujourd’hui ont remplacé d’autres qui avaient également leur histoire.
Nous donnons plus de crédit au passé qu’au présent ou au futur
Notre propension au conservatisme ne traduit-elle pas un manque cruel de confiance dans nos qualités et nos compétences ? Nous donnons plus de crédit au passé qu’au présent ou au futur. Cette muséification ne constituerait-elle pas plutôt la réponse à nos peurs face aux importantes mutations et aux multiples menaces auxquelles nous sommes confrontés ? N’est-elle pas une réelle perte de confiance envers nos compétences ou nos jugements de valeur ? Tous les domaines de notre vie, culturelle, institutionnelle, économique ou sociale, n’échappent pas à cette frénésie de statu quo, d’arrêt sur image. Quand tout bouge, feignons de rester immobiles.
Les institutions et l’organisation administrative de notre pays sont marquées par l’époque révolutionnaire et le 1er Empire ainsi que par la IIIe République. L’intégration européenne, l’élévation du niveau scolaire de la population, la mondialisation, la digitalisation ont modifié les modes de vie et le fonctionnement de l’économie mais peu les institutions.
Dans une société tertiarisée de plus en plus individualiste, les concepts de parti politique et de syndicat sont mis à rude épreuve. Ils sont conduits à rechercher de nouveaux modèles pour ne pas disparaître. La protection sociale qui a été une importante conquête de l’après Deuxième Guerre mondiale doit également se renouveler pour s’adapter à la mutation du monde du travail ainsi qu’aux nouveaux besoins des actifs.
L’aversion aux risques augmente
Si l’aversion aux risques demeure forte voire augmente dans un monde plus instable que dans le passé, elle est de nature plus complexe. Le besoin de couverture ne se limite plus à la maladie, au chômage, aux accidents du travail ou à la vieillesse. La formation, le logement, les transports, la non-discrimination, la prise en compte de l’histoire des individus sont devenus des thèmes moteurs de la vie sociale.
Le terrain diplomatique ne fait pas exception. Les règles issues des accords de Yalta et de Bretton Woods ainsi que de la Charte des Nations Unies de 1945 continuent de régir le cadre des relations internationales. Or, en plus de 75 ans, le monde a profondément changé. La Chine est devenue la deuxième voire – selon certains classements – la première puissance économique, la troisième puissance étant le Japon. En Europe, l’Allemagne est le pays le plus puissant.
Renouer avec l’audace et l’imagination
Dans l’histoire, il est rare qu’un ordre international bâti sur les décombres d’une guerre, dure ainsi plus de quatre générations sans remise en cause. Il sera dans le futur difficile à faire comprendre à un Chinois pourquoi il a moins de pouvoir qu’un Américain ou un Européen au FMI et pourquoi l’Allemagne, l’Inde ou le Brésil ne sont pas membres du Conseil de Sécurité.
Au nom de la théorie des plaques et de la tectonique, tout blocage, tout refus d’adaptation, risque de provoquer un tremblement de terre brutal qu’il vaudrait mieux chercher à éviter en renouant avec l’audace et l’imagination.
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