Gouverner au nom du futur

Demain, à l’Unesco, s’ouvrira le Forum mondial sur la Fabrique des Literaties[1]du futur.  Comment utiliser l’idée du futur pour agir au présent ? Hors des cadres, bien souvent. Futur du travail, de la monnaie, du genre, de l’université, des mégalopoles, de la gouvernance, de l’énergie, seront jetés en vrac à travers des ateliers créatifs auxquels participeront chercheurs, étudiants, ministres, ambassadeurs, économistes, philosophes, politiques. Le Capharnaüm de l’attendu et de l’improbable. J’aurais l’honneur d’en animer la discussion générale avec humilité. Et un peu de tristesse ou d’ironie. Quoi, parler du futur ? Un passe-temps d’augure ! En pleine grève ?  Et pourquoi la grève, la taxe énergétique, la réforme du droit d’asile sinon parce que l’idée que l’on se fait du futur modèle nos imaginaires, nos craintes, nos vies, nos politiques. Tous les commandements sont écrits au futur.

Retraites en 2037, gains actuels.

Ainsi le gouvernement annonce-t-il après deux de réflexions, une réforme qui met le pays à pied, quoiqu’elle ne s’appliquera pas avant 10, 15, 20 ans selon les cas. 2037 au mieux, 2070 pour en voir la fin. Comme si rien ne devait se passer d’ici là. Pas d’autre gouvernement, pas d’autre crise, croissance, espérance de vie. Comme si dans ce monde mouvant, à part les dettes, qui ne s’abolissent jamais parce qu’elles sont des créances sur le futur, quelque chose pouvait durer sans changement. En regardant en arrière, on s’aperçoit que si des fonds de pension avaient été créé, la moitié au moins du financement des pensions aurait été réglé. Piketty protestera contre le fait que les actions monteraient plus vite que les salaires. Si c’est vrai, pourquoi priver les employés des effets heureux du capitalisme ? Dans un pays réputé ingouvernable, chaque gouvernement fait sa réforme des retraites, plus au moins juste et efficace. Celui-ci, craignant de légiférer pour maintenant, au nom de projections futures, ordonne pour 2037. Cela n’empêche pas les syndicats, de chercher le bras de fer, trop heureux de reprendre un peu de leur pouvoir perdu : Répliques du passé.

Etudier les futurs possibles montre ce que ce qui est prévu n’arrive jamais.  Les solutions que l’on propose ne sont généralement que celles du passé.

Et si, comme le prétendent certains, la génération 2004 vivait non pas 84 mais 125 ans? L’âge pivot resterait-il un problème ? Réformer le système de 1945, c’est bien ; inventer celui de 2045, ce serait mieux. Or c’est faisable. Nos ancêtres l’avaient bien fait en 1935.

Au nom du futur, on ne prépare pas tant le futur qu’on engage des luttes de pouvoir au présent, comme celui du contrôle de la gestion de pensions. Ainsi, le gouvernement va récupérer plus de 135 milliards de fonds de réserve des différentes caisses, dés aujourd’hui, pour 2037. Au nom du futur. Les syndicats ne protestent pas trop sur ce point, on leur promet de « cogérer ». Mais démontrer leur puissance leur garantira une meilleure place. Tel est l’enjeu, bien actuel, du bras de fer. La preuve : le ministre de l’Intérieur a conclu un accord avec les syndicats de police pour leur laisser un régime particulier. Une grève des policiers en cas de grève c’est impossible. Gouverner, c’est prévoir. Chacun ses muscles. Prendre ses gains aujourd’hui au nom du futur.

Plastiques de 2040, déchets d’aujourd’hui.

Nous sommes envahis, ici, maintenant, partout, par le plastique. Le gouvernement s’enorgueillit de donner au monde, selon la Ministre en charge de l’écologie, un exemple : la France interdira les plastiques à usage unique en … 2040.  Bel exemple ! N’aurait-il pas été possible d’agir maintenant, plutôt que d’organiser des ramassages scolaires sur les plages ? Les retraites en 2037, le plastique en 2040.

Pour l’hôpital, des mesures d’urgence ont été prises. Un gros chèque, étalé sur dix ans. Retraites : fixer des rapports de force, prendre aujourd’hui des gages pour l’avenir. Plastiques : repousser des décisions au lendemain, pour ne pas les prendre aujourd’hui.  Toujours, au nom des erreurs passées, prendre l’avenir en otage. Enver Hodja, dictateur rouge albanais, fit construire des milliers de bunkers contre l’invasion impérialiste qui n’arriva jamais. Ce n’était pas pour se défendre. C’était pour maintenir son pouvoir. Syndicats et gouvernements ne construisent-ils pas leurs bunkers ?

Le contrôle au nom de l’avenir

C’est dire que le colloque de l’Unesco prend tout son sens : démystifier l’avenir. Au nom duquel on fuit le présent, conforte les rapports de force, prend les générations futures en gage.

Le monde est turbulent. Tout change .Mais il y a des réalités, des règles. Celles de l’économie et de la politique. Certains ont été surpris de voir la victoire de Boris Johnson. En juin j’avais écrit qu’il rallierait les partisans de Farage et s’assurerait ainsi de la victoire. Et qu’il passerait un  accord avec l’UE. Comme il n’était pas difficile de prévoir que Maduro ne tomberait pas. Ou d’annoncer le prochain bombardement israélien à la frontière irako-iranienne : les jeux de pouvoir sont simples, même s’ils sont souvent cachés.  En revanche, je me suis trompé sur la crise économique qui n’en finit pas de ne pas arriver aux Etats-Unis. Je connais la politique. La politique obéit toujours aux mêmes règles. L’économie ne fonctionne plus comme avant. La société encore moins.

Mal penser le futur permet de rater le présent. C’est parfois volontaire. Observer comment le futur régit nos vies, par erreur de conception, permet d’imaginer de nouvelles solutions. Ce que fait souvent la société, rarement les gouvernements. C’est pourquoi les sociétés de confiance, d’initiatives, l’emporteront sur les sociétés de contrôle, et connaitront un avenir plus paisible que les autres. La France serait-elle malade de l’amour du conflit, de celui du contrôle ? Ou serait-elle simplement sclérosée ? Donnez le contrôle des retraites non à l’Etat ni aux syndicats mais aux vraies gens, ce serait la révolution : une solution d’avenir.

[1]« Qu’est-ce que Futures Literacy? C’est un apprentissage, comme la lecture, du pourquoi et du comment les humains imaginent l’avenir. Les images de l’avenir sont les sources des espoirs et des craintes des gens au présent. Si nous ne savons pas d’où viennent ces images ni comment créer les nôtres, nous ne pouvons pas comprendre le monde. »Riel Miller, Fondateur de l’Unité de Prospective , Unesco.

 

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