La journée mondiale de la mer, c’est tous les jours. Cette Journée, le 29 septembre, « internationale de la mer », est celle d’un flot de discours, de tribunes, et d’appels sur la mer, sa beauté, sa force, sa fragilité. Tout cela est bel et bon. Tout le monde le sait : la terre est marine. Elle recouvre 70% de la planète. Les océans comptent pour plus de 90 % du volume habitable du monde vivant. Les chiffres et les données s’accumulent à mesure de son immensité ; chacun de s’émerveiller sur les ressources incalculables parce qu’insoupçonnées des océans, et chacun de se lamenter sur le mal qui lui est fait.
À l’initiative de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) qui, dans le cadre de l’ONU réunit 175 États et observe le respect de quelque 50 conventions et protocoles, la Journée mondiale de la mer a néanmoins pour mérite d’attirer l’attention sur les grands enjeux de l’avenir de la mer. Ou plutôt de notre petit monde.
La mer, un enjeu quotidien pour l’avenir de l’humanité
C’est que l’avenir de l’humanité a de grandes chances d’être sur et sous l’eau. Non que l’espèce humaine se verra muer en l’un ou l’autre des deux types de sirènes, mais rien, dans les activités de notre civilisation, ne peut ignorer leur impact sur le milieu marin, et rétroactivement les effets produits sur nos vies quotidiennes.
Le changement climatique, la protection des océans, de la biodiversité, la question de déchets, nul ne peut ignorer les conséquences catastrophiques de l’activité humaine sur la mer. Et dans nos corps, où l’on retrouve partout des particules des 8 millions de tonnes de plastique que l’on jette chaque année dans les océans. La bonne nouvelle, c’est que l’on sait ce qu’il ne faut pas faire, et que l’on sait aussi ce qu’il faut faire. L’Union européenne a légiféré sur le plastique, un premier pas ; mais ce n’est pas le cas en Asie du Sud-Est, où la catastrophe est patente. La mauvaise nouvelle, c’est que l’action reste bien en deçà des enjeux. Pourquoi ? Parce qu’il y a bien d’autres enjeux. Ceux de l’énergie, de la production, de la consommation, du commerce. Est-ce inconciliable ? Non. Cela dépend des règles que l’on choisit de se fixer, d’où l’importance d’organismes comme l’OMI. Ainsi, avec l’utilisation des nouvelles technologies dans le transport maritime et la surveillance des océans, tout devient plus facile.
S’ajoutent à ces problématiques les questions de la sécurité maritime. Quand les Houthis attaquent les navires en Mer Rouge, l’ensemble du commerce mondial, notamment celui du pétrole, tousse. Quand la Russie impose un blocus au blé ukrainien, l’Afrique et le Moyen-Orient s’inquiètent d’avoir faim. Ceux qui disent que ces transports sont absurdes ne voient pas que sans le commerce mondial, la famine et les pénuries s’approchent. Les routes mondiales sont des enjeux vitaux. En Mer de Chine, Indonésie, Japon, Corée, Viet Nam, Malaisie, mais aussi Australie, États-Unis s’inquiètent des pressions chinoises.
Si Français et Allemands croisent symboliquement en mer de Chine, les Chinois poussent en Baltique, les Russes en Méditerranée. L’avenir de la guerre est sur la mer. Celui de la paix aussi, sur et sous l’eau.
Océans : beauté, fragilité et défis à venir
Les câbles sous-marins qui transmettent les milliards de données sont sous surveillance, alors qu’on ne peut surveiller les milliers de kilomètres qu’ils déploient. Les espèces marines inconnues promettent des découvertes plus stupéfiantes encore que les minéraux au fond des mers que certains commencent à exploiter, alors que d’autres se l’interdisent, au nom du principe de précaution. Les manipulations génétiques permettent de reproduire, voire de sauver, des espèces marines, des hippocampes aux champignons, des algues aux poissons. Déjà la consommation d’algues, comme nourriture, se répand. Une ferme bretonne copie celles d’Asie. Plusieurs champignons, sous condition, se nourrissent de plastique (ce n’est la solution à cette plaie si pratique, mais un des éléments).
La biodiversité marine abonde de nouvelles espèces inconnues, alors même que certaines sont en voie d’extinction du fait des activités humaines. La surpêche est un phénomène toujours plus menaçant alors que l’on sait comment le régler, ainsi que l’ont démontré les Canadiens.
L’énergie marine n’en est qu’à ses débuts. Moins avec les parcs d’éoliennes, même si ceux de la mer du Nord font leurs preuves, même si les techniques, avec des stations sous-marines, évoluent à une incroyable vitesse, que par les différents procédés de mare thermie. De même que l’on peut utiliser la différence de température entre la terre et la surface, on peut aussi la transformer en énergie, la stocker. La différence de température entre la surface de la mer et ses profondeurs peut être convertie en énergie.
Bref, la mer n’est pas un univers, elle agite des univers infinis. Ne découvre-t-on pas que les failles sous-marines produisent de l’oxygène ? Que 70% du CO2 est dissous dans la mer, ce qui rassure et inquiète puisqu’on en ignore les effets ? Que sait-on de la dilatation des océans, des variations de températures en ses profondeurs, de la capacité de certaines espèces à résister à des pressions extraordinaires ?
Dans les bureaux et les laboratoires, les uns testent des drones sous-marins, d’autres décryptent l’ADN des algues, dessinent de villes sous les mers ou seulement des centres de data refroidis par l’océan. Tout cela se passe en ce moment, on ne l’imaginait pas il y a vingt ans. Qu’en sera-t-il dans vingt ans ?
L’urgence d’agir pour la mer, aujourd’hui et demain
Tout cela se passe dans une étendue immense où règne l’absence de droit, ou presque. Contrebande, pavillons de complaisance, trafics illicites, surpêche, exploitation humaine… il y a bien des règles, leur application est plus incertaine encore que sur la terre ferme, qui ne manque pourtant ni de pirates ni de cartels. Heureusement il existe un droit de la mer. Et rien ne se fera d’utile qui ne soit régi par ces accords et conventions que garde et promeut l’OMI. Mais qui ne voit que le droit de la mer n’en est qu’à ses prémices ?
C’est en partie là que se décideront la guerre et la paix. La mer fait partie de ces quatre parties du cosmos, avec l’espace, la révolution digitale, et celle du vivant, où se dessine l’avenir de l’humanité.
La France a la capacité de jouer un rôle majeur dans ces découvertes. Elle dispose d’atouts déterminants : l’espace maritime, une recherche scientifique avancée, des entreprises de premier ordre, une Marine déployée sur tous les océans, une place centrale forte d’alliances. Elle n’est elle-même que lorsqu’elle agit pour l’humanité tout entière, clame-t-on avec emphase – et vérité. Elle devrait penser, et agir, en conformité avec cette évidence : la Journée internationale de la mer, c’est tous les jours. Même la nuit. Ce n’est pas encore le cas.
En juin prochain, Nice accueillera la conférence des Nations unies sur l’Océan. Le moment de proposer les solutions. Le moment de décider d’une politique pour la Méditerranée, mer exemplaire d’un océan martyr, mer de naufrages et de désastres humains. Ce sera le moment de montrer ce que l’on veut faire. La volonté, l’espoir.
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