La France, un bon ou un mauvais risque ?

La France, un bon ou un mauvais risque ?

Les marchés obligataires européens connaissent une évolution inhabituelle. Il y a quinze jours, le rendement de la dette publique française à dix ans a dépassé celui de l’Espagne, suggérant que les investisseurs considèrent désormais la deuxième économie de la zone euro comme plus risquée que celle de son voisin du sud. C’est un revirement de situation.

En janvier, les rendements espagnols étaient supérieurs de 0,4 point de pourcentage à ceux de leurs homologues français. Au plus fort de la crise de la zone euro, entre 2010 et 2012, l’écart atteignait près de cinq points de pourcentage. Aujourd’hui, les coûts d’emprunt français dépassent ceux du Portugal et se rapprochent davantage de ceux de la Grèce et de l’Italie que de l’Allemagne. Les investisseurs accordaient autrefois à la France le bénéfice du doute, malgré l’accumulation des dettes. Les incertitudes politiques, liées à la décision de dissoudre l’Assemblée nationale et à la précarité du gouvernement qui en a résulté, expliquent ce léger sentiment de défiance envers la France. Avec une dette équivalente à 112 % du PIB et un déficit public dépassant les 6 %, la France fait figure d’exception au sein de la zone euro où la tendance est plutôt à l’assainissement des finances publiques.

L’économie espagnole a progressé de 2,7 %, bien au-dessus de la croissance de 0,9 % en France

L’inversion des rendements entre la France et l’Espagne reflète également l’évolution de la situation économique au sud des Pyrénées. En 2023, l’économie espagnole a progressé de 2,7 %, portée par un marché de l’emploi solide et une industrie touristique en plein essor, bien au-dessus de la croissance de 0,9 % en France. Pour 2024, l’Espagne devrait afficher une croissance proche de 3 %, contre environ 1 % pour la France. Fait intéressant, bien que l’Espagne n’ait pas de gouvernement majoritaire, les gestionnaires obligataires européens ont interprété cela comme une force budgétaire ces dernières années.

La France, un bon ou un mauvais risque ? - @adobestock
La France, un bon ou un mauvais risque ? – @adobestock

Plutôt que de s’engager dans des négociations interminables avec les députés, le gouvernement minoritaire de centre-gauche de Pedro Sánchez a poursuivi les plans budgétaires déjà adoptés, ce qui a permis de maîtriser les dépenses. Malgré ces perspectives budgétaires et économiques divergentes, la France conserve une meilleure note de crédit que son voisin du sud et possède encore des atouts. Les administrations publiques sont reconnues pour leur capacité à lever l’impôt, bien que les marges de manœuvre se réduisent. Le taux d’épargne élevé des ménages constitue un autre facteur positif, assurant une forte capacité à absorber la dette publique.

L’économie française reste puissante

Bien que le taux de fécondité diminue, la démographie française reste moins préoccupante que celle de ses voisins européens. Une population en croissance est un facteur clé pour évaluer le potentiel de croissance d’un pays. De plus, l’économie française reste puissante, reposant sur un tissu industriel diversifié et de grandes entreprises mondiales, ce qui la rend plus robuste que celles de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal.

Les investisseurs étrangers continuent de privilégier la France en raison de la qualité de ses infrastructures, de son marché de consommation et du niveau des compétences, bien que ce dernier puisse encore s’améliorer.

Enfin, la dette française est prisée en raison de son ampleur. Cela peut sembler contre-intuitif, mais les investisseurs bénéficient ainsi d’une vaste gamme d’obligations avec des maturités variées. L’État espagnol ou portugais émet bien moins que la France, qui détient le record en Europe avec 300 milliards d’euros d’émissions prévues en 2025. Cependant, les atouts de la France ne pourront pas éternellement masquer la dérive de ses finances publiques, un phénomène qui, en dépit des apparences, reste une tradition bien ancrée.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire