De nouveaux moyens pour la diplomatie culturelle pour une nouvelle gouvernance ?

De nouveaux moyens pour la diplomatie culturelle pour une nouvelle gouvernance ?

La France s’est lancée dans une relance diplomatique globale et investit 50 millions d’euros supplémentaires pour abonder le programme 185 « diplomatie culturelle et d’influence » qui se voit porté à 721 millions d’euros dans le projet de loi de finances (PLF) 2024. Ces crédits concerneront l’ensemble des 98 instituts culturels du monde entier qui gagnent plus de 8 millions de moyens nouveaux partagés en crédits de fonctionnement et « d’intervention ». La zone Indo-Pacifique devrait certainement en bénéficier comme d’autres zones du monde. Les Alliances Françaises ne sont pas oubliées avec 1,5 million d’euros de moyens supplémentaires. Mais il faut interroger les chiffres et mettre en lumière les enjeux politiques et stratégiques derrière les budgets en hausse. 

Quels moyens pour le réseau culturel et quelle gouvernance ?

Il faut s’arrêter un instant sur ces chiffres dorés. Le réseau culturel a été éprouvé fortement en 2020 et 2021 par l’épidémie de Covid et le soutien budgétaire apporté par l’Etat a été bien moindre que celui versé à l’agence pour l’enseignement français à l’étranger qui avait bénéficié de 150 millions d’euros supplémentaires au titre du plan de soutien pour la seule année 2020. 

En comparaison, l’action culturelle à l’étranger peut être regardée avec plus de distance par des parlementaires ou des responsables politiques hexagonaux qui discernent mal les enjeux d’influence et pourraient avoir tendance, hâtivement, à voir dans ce réseau  « une danseuse ». Il est vrai que le sujet de l’action culturelle extérieure est complexe. D’abord pour une question de gouvernance. La seule question de « qui pilote ce réseau » donne une idée de la complexité du sujet :

Diplomatie culturelle
L'Institut Français du Japon

Qui pilote le réseau culturel de l'étranger ?

Le rôle de la DGM

La Direction Générale de la Mondialisation (DGM) n’est pas la plus prisée des directions de l’administration du Quai d’Orsay et possède parfois une réputation de direction difficilement pilotable tant son rayon d’action est étendue puisqu’il couvre la coopération culturelle, certes, mais aussi la coopération éducative, linguistique, technique et scientifique, la coopération territoriale, l’aide humanitaire et une partie des moyens pour le développement ! La culture n’y est donc qu’un des piliers, important certes, mais placé au milieu d’autres sujets diplomatiques au risque d’une dilution.

L'institut français (de Paris)

L’institut français (de Paris) est un autre acteur important du réseau mais qui a perdu d’emblée un arbitrage politique historique à l’époque de Bernard Kouchner ministre des Affaires Etrangères : l’ex French Doctor, influencé par une bonne partie de la haute administration diplomatique, n’avait pas confié à cet établissement le rôle de pilote du réseau des instituts culturels à l’étranger qui pouvait lui paraître promis à sa naissance. L’institut demeure certes une belle machine pour l’appui culturel, l’organisation de tournées d’artistes ou des Saisons françaises. Il est aussi un détecteur de tendances, mais doit composer avec des conseillers culturels et directeurs d’instituts qui sur le terrain et en Ambassade sont libres de bâtir leurs propres programmations culturelles en assumant des choix parfois éloignés de ceux de l’Institut.

La fondation Alliance Française

La fondation Alliance Française est un autre acteur qui assume aussi une mission culturelle pour aider et soutenir des centaines d’alliances françaises très autonomes vis-à-vis de l’action diplomatique de par leur statut d’associations locales. C’est un réseau très hétérogène qui comprend par exemple une figure de proue comme l’alliance française de Bruxelles Europe et ses milliers d’étudiants à de plus modestes salles de lectures de petites capitales régionales. Le pilotage de ce réseau est donc par nature distendu et mise davantage sur les personnalités francophiles et francophones locales qui assurent la présidence des Alliances plutôt que sur l’appui de Paris. 

Cette Fondation se remet en outre à peine de plusieurs années de crise sous fond de sous-financement et de difficultés de fonctionnement. 

Diplomatie culturelle
L'Alliance Française

Le réseau culturel face à sa complexité institutionnelle

Le réseau culturel a donc une vraie complexité institutionnelle. Il paraît parfois dispersé ou scindé entre les Instituts, bras armés des Ambassades, et les Alliances chevaux légers d’une francophonie indépendante. 

Les diplomates continuent pourtant d’exiger beaucoup de « leur » réseau culturel :

Les Instituts ont été invités ainsi à une profonde transformation numérique de leurs activités depuis l’épidémie de Covid. Cela a permis positivement de moderniser l’offre de cours de français en ligne et donc de diversifier les modes d’apprentissage au-delà du seul cours en présentiel. Dans son volet négatif, ce plan a été aussi le prétexte pour réduire la voilure comme à Oslo ou Valence où des instituts « historiques » ont perdu leurs sections linguistiques ces trois dernières années. 

Des instituts "amaigris" ?

On voit ainsi apparaître d’ailleurs une nouvelle génération d’instituts « amaigris » là où la France renonce à stopper totalement ses activités, mais maintient des structures qui perdent de leur rayonnement et de leur substance. Le sujet n’est pas nouveau et avait connu un épisode très médiatique quand l’institut français de Vienne avait dû fermer sa section de langue en vendant au passage le palais Clam-Gallas qui abritait ses activités provoquant en 2015 un grand émoi collectif dans le réseau. Il y a un écart parfois important  entre l’attachement du public étranger à ces vitrines de la France que sont les instituts et les priorités budgétaires d’un réseau qui court parfois après l’argent pour se financer : La mise à niveau des rémunérations des personnels locaux qui animent ces instituts est souvent un casse-tête pour éviter un décrochage avec le personnel des ambassades. 

Un réseau qui s'autofinance largement

Dès lors une dernière question se pose : comment la France finance-t-elle son réseau culturel ? En réalité ce réseau s’autofinance très largement et c’est ce qui le distingue des autres volets de l’action diplomatique qui connaissent un financement quasi exclusivement public. L’équation est simple : Les cours de langue financent par leurs recettes l’action culturelle qui est donc nettement plus aidée. 

Les instituts ont réussi la prouesse de passer d’un autofinancement pour moitié de leurs activités (il y a une dizaine d’années) à un chiffre d’autofinancement proche de 60 à 75 pour cent selon les zones du monde. 

Cet effort d’adaptation est à mettre au crédit d’établissements français qui ont adapté leur stratégie en étant plus visibles sur les réseaux sociaux, en modernisant leurs médiathèques et leurs politiques de prêts, en s’adressant à la jeunesse en priorité et en réduisant souvent de façon importante leur nombre d’agents. 

Plus de crédits en 2024 pour la culture à l'étranger : un cocorico nuancé

Ce réseau d’influence verra-t-il ses crédits augmenter en 2024 pour enfin avoir le traitement prioritaire qu’il mérite ? Cocorico alors ! Mais sa gouvernance complexe appellerait des choix politiques audacieux pour rapprocher les stratégies des instituts et des alliances et soutenir les personnels de ces structures qui ont parfois le sentiment d’être du personnel diplomatique de second rang. 

Un cocorico nuancé donc. Les défis sociaux et de gouvernance demeurent malgré un net coup de pouce budgétaire. 

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