La drogue, une activité économique, comme une autre ? 

La drogue, une activité économique, comme une autre ? 

Le trafic de drogue imprègne de plus en plus la société française. Pour conforter leur zone de chalandise, les trafiquants n’hésitent plus à assurer certaines missions qualifiables d’intérêt général. Ainsi, peuvent- ils prendre à leur charge l’entretien des ascenseurs dans les cités, et organiser, comme dernièrement à Cavaillon, des animations à destination des jeunes des cités. Ils occupent l’espace abandonné par les pouvoirs publics. 

Le PIB et le trafic de drogue 

Le trafic de drogue, activité illégale, est néanmoins comptabilisé dans le PIB. L’INSEE calcule le PIB de la France en tenant compte, depuis 2018, des activités liées à la consommation de la drogue. Elle a suivi, en la matière, d’autres pays européens comme l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Italie. Cette intégration fait suite à la demande de l’office européen de statistique, Eurostat. Le marché de la drogue représenterait ainsi pour la France environ 3 milliards d’euros, soit 0,1 point de PIB. L’INSEE retient le montant de la consommation minorée des importations. Ce montant de 3 milliards d’euros est une évaluation reposant tout à la fois sur des sondages concernant la consommation de stupéfiants et les saisies de drogues. 

Un marché de 5 millions de consommateurs et 4000 points de vente 

Selon le rapport 2022 de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT), la France compte plus de 5 millions d’usagers du cannabis, c’est-à-dire de personnes ayant consommé le produit au moins une fois dans l’année. Parmi eux, environ 1,3 million sont des consommateurs réguliers (plus de dix fois par mois) et 850 000 sont des utilisateurs quotidiens. Environ 600 000 personnes consommeraient de la cocaïne au moins une fois dans l’année. Les drogues de synthèse, comme la MDMA ou l’ecstasy compteraient environ 400 000 usagers dans l’année. La consommation serait en forte augmentation. La résine de cannabis se négocie à la vente à environ 8 euros le gramme et l’herbe à 10 euros le gramme, selon les chiffres de l’OFDT et ceux du ministère de l’intérieur. Des prix qui n’auraient pas connu d’inflation entre 2021 et 2022. 

La cocaïne est beaucoup plus chère, avec un prix de 65 euros le gramme. Un gramme d’héroïne se négocie autour de 30 euros et un comprimé d’ecstasy 10 euros. Un gramme de méthamphétamine se négocie en moyenne à 28 euros contre 10 euros pour l’amphétamine. 

Selon le ministère de l’Intérieur, la France compterait 4 000 points de vente. Autrefois limitée aux grandes villes, la commercialisation s’opère désormais sur tout le territoire. Des communes comme Cavaillon (Vaucluse), Mersac (Charente), Valence (Drôme), La Roche-sur-Yon (Vendée) ou Le Creusot (Saône-et-Loire) sont confrontées à des trafics pouvant donner lieu à de violents règlements de compte. 

Plus de 200 000 personnes travailleraient dans le secteur de la drogue. Le total des heures travaillées est évalué à plus de 30 millions par an.

La drogue, des revenus pour les familles en difficulté

Dans des cités, le trafic de drogue peut offrir des compléments de revenus non négligeables. Les enfants, mineurs, servent souvent de guetteurs voire de revendeurs. Les familles monoparentales qui sont, en règle générale, les plus pauvres, sont les plus ciblées par les trafiquants, les enfants étant ainsi appelés à financer les dépenses des ménages. De 10 à 15 % des dealers auraient moins de 18 ans. L’essor du trafic de stupéfiants a accéléré le processus de déscolarisation dans les quartiers dits prioritaires de la ville. La perspective de gagner de 80 à 200 euros par jour pour faire le guet, dissimuler la drogue, approvisionner les points de vente est jugée, de prime abord, plus attrayante que se projeter dans des études (selon une étude menée par Nacer LALAM et David WEINBERGER, chargés de recherches à Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice citée par l’OFDT). Un chef de vente gagnera autour de 500 euros par jour et un responsable de trafic dans un quartier ou une ville pourra atteindre 1 500 euros par jour. Ces gains doivent être évidemment mis en parallèle avec les risques encourus (arrestation, règlement de compte, etc.). 

Les mineurs sont amenés à occuper de plus en plus tôt des fonctions au sein des réseaux du fait des arrestations et des meurtres. Les forces de sécurité et la justice estiment n’avoir qu’une vision partielle de la revente de la drogue. Une partie de celle-ci serait revendue par des consommateurs qui achèteraient également pour le compte de tiers. Ce commerce améliorerait les revenus d’une partie des usagers des stupéfiants et financerait en partie leur addiction. 

Quelles réponses face à l’essor des réseaux de stupéfiants ? 

En 2022, les gendarmes, policiers et douaniers ont saisi 128,6 tonnes, ce qui constitue un record. Les forces de l’ordre ont trouvé deux fois plus de résine de cannabis (plus de 87 tonnes au total) que d’herbe (41 tonnes). En ce qui concerne les autres drogues, les saisies ont également augmenté l’année dernière. 27,7 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2022, 1,4 tonne pour l’héroïne. Les prises en matière de drogues de synthèses s’amplifient en lien avec l’augmentation de la consommation. Elles ont atteint 273 kg pour les amphétamines et méthamphétamines et plus de 1,5 million pour les comprimés d’ecstasy et de MDMA. 143 447 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) pour usage de stupéfiant ont été dressées en 2022 par les forces de l’ordre. Ce chiffre est en augmentation de plus de 30 % par rapport à l’année précédente. 

©police nationale d’Annemasse – 2019

Les départements où les amendes ont été les plus nombreuses en 2022 sont les Bouchesdu-Rhône, Paris, la Seine-Saint-Denis, le Rhône et le Nord. Plus de 7 % de la population française consomment de la drogue, ce qui pourrait relancer le débat sur son éventuelle dépénalisation. Sur le plan de la santé comme de la sécurité publique, cette option pourrait être considérée comme un aveu d’échec. L’exemple néerlandais n’est, en outre, guère probant. La légalisation de l’herbe n’a pas freiné la consommation des drogues dures et les trafics. 

Face à la montée de la consommation en France, les pouvoirs publics ont été contraints d’opter pour un système d’amendes forfaitaires pour éviter l’engorgement des tribunaux. Il ne s’agit pas d’une légalisation mais une certaine forme de banalisation du délit. 

Le marché de la drogue est de plus en plus visible. 

Les trafiquants utilisent de plus en plus les techniques modernes de vente en recourant à Internet et, en particulier, aux réseaux sociaux. L’éradication des trafics ou du moins leur limitation est tout à la fois un problème d’éducation, de sécurité, d’emploi et d’urbanisme. Les pouvoirs publics doivent casser le cercle vicieux dans lequel évoluent certains quartiers : l’insécurité en empêchant la création d’activités économiques et donc d’emplois favorise l’essor des trafics en tout genre. Les premières victimes de cette spirale sont les habitants des cités qui doivent composer avec les dealers.

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