Les sénateurs socialistes et écologiques comme le député NFP Karim Ben Cheïkh, ont écrit au premier ministre ce 04 février pour l’alerter sur les coupes prévues dans le budget du ministère des Affaires étrangères. Ils alertent François Bayrou sur les conséquences des réductions sur le programme 185. Soit essentiellement la subvention de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), et sur le programme 151 qui vient en aide aux Français établis hors de France. Alors que les aides sociales et celles à la scolarité avaient déjà été amputées dans le projet de loi de finances initial. Pour en parler nous recevons le député des Français de la IXème circonscription, Karim Ben Cheïkh, membre de la commission finances de l’Assemblée nationale.
Après bien des tumultes, la France a enfin un budget pour 2025. Selon-vous, celui-ci reflète-t-il la situation financière complexe à laquelle notre pays doit aujourd’hui faire face ?
Karim Ben Cheïkh : Nous n’étions pas sans budget, puisque la loi spéciale a permis de reconduire le budget de 2024. Maintenant, parlons du nouveau budget qui a été imposé par le 49.3. Ce budget 2025, est avant tout le reflet de l’échec des politiques macronistes, responsables d’un déficit public record hors période de crise (-6 % du PIB). Selon le Haut conseil des finances publiques, cette dégradation découle surtout de la baisse des recettes fiscales.
Pourtant, les gouvernements qui se succèdent de Barnier puis Bayrou, continuent de tailler dans les dépenses sociales, écologiques mais aussi, dans notre diplomatie et notre coopération. Ces coupes ne font qu’affaiblir la croissance et accentuer les difficultés sociales. En période de ralentissement et de remontée du chômage, cette politique est non seulement injuste, mais aussi coûteuse socialement.
Que ce soit à droite ou à gauche, personne ne semble satisfait du budget comme il a été présenté, pensez-vous que les forces de gauche auraient dû faire bloc quitte à faire chuter le gouvernement ?
Karim Ben Cheïkh : La droite a largement façonné ce budget, du projet initial de Michel Barnier à la Commission mixte paritaire, en passant par les amendements du Sénat. La gauche et les écologistes ont défendu une fiscalité plus juste, en vain. Face à cet échec collectif, chacun a pris ses responsabilités. J’ai voté avec les écologistes, les communistes et les insoumis. Je suis convaincu qu’une autre politique est possible et nécessaire, et que nous devons infléchir cette trajectoire rejetée par une majorité de Français.
Dans une lettre que vous avez adressée au Premier Ministre, François Bayrou, vous regrettez que des amendements rejetés en session parlementaire aient été reproposés en commission mixte paritaire, estimez-vous que ce genre de pratique nuit directement aux travaux des députés et sénateurs ?
Karim Ben Cheïkh : Ce budget 2025 a été construit dans une incohérence totale, sous la pression du calendrier et du contexte politique. Comment expliquer qu’un amendement de coupe budgétaire, rejeté par le Sénat et jamais été examiné par l’Assemblée, se retrouve finalement dans la loi de finances ? L’ensemble du processus a été indigne d’une vraie démocratie parlementaire. Personne n’assume ce budget, pas même M. Barnier ou M. Bayrou, qui n’ont cessé de prétendre manquer de temps pour le préparer correctement. Pourtant, les enjeux étaient cruciaux, notamment en raison du déficit et du poids de la dette.
Au-delà de cette pratique, c’est le budget consacré aux Français de l’étranger qui notamment visé par ces amendements, avec des réductions de près de 170 millions pour la mission « Action extérieure de l’Etat » quelles vont être les conséquences directes de cette diminution de crédits ?
Karim Ben Cheïkh : Le budget de l’Action extérieure, essentiel pour nos postes diplomatiques, lycées français et aides sociales aux expatriés, subit une coupe de 170 millions d’euros, alors qu’il ne représente que 0,6 % des dépenses de l’État. Son périmètre a déjà fondu de 50% en trente ans. Les engagements des “États généraux de la diplomatie” de 2023 sont balayés : au lieu de créer 700 postes d’ici 2027, le gouvernement sabre dans les effectifs. Sur les 155 millions d’euros d’aides sociales (bourses scolaires, AESH, aide au handicap, secours occasionnel), le gouvernement affiche 10 millions d’euros d’économie, en dépit des besoins déjà non couverts. L’aide publique au développement est, elle aussi, massivement amputée de 2,1 milliards d’euros, près de 40% de son budget. Ces coupes mettent à mal notre influence et nos engagements de coopération internationale.
Nos compatriotes expatriés attendaient la mise en place du Pass culturel, d’une solution pour la Journée de Défense, que leur dites-vous ?
Karim Ben Cheïkh : Depuis la dissolution, aucun gouvernement n’a souhaité reprendre la discussion pour étendre le bénéfice du pass culture aux jeunes Français à l’étranger. L’enseignement à l’étranger et la culture sont les premières victimes des coupes budgétaires, avec près de 70 millions d’euros de coupe (-10%) sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence ». Ce sont ici les élèves et les parents d’élèves qui subiront le poids de ces décisions extrêmement dures. Mettre en péril un réseau de presque 600 établissements scolaires ainsi que tout le travail porté par nos instituts Français et nos alliances me paraît être une politique inconséquente d’un point de vue diplomatique et insultante pour les Français de l’étranger.
Autre sujet, la protection sociale, vous aviez proposé un amendement pour rétablir un équilibre financier à la Caisse des Français de l’étranger ? Cette caisse indépendante et autonome financièrement, ne risque-t-elle pas d’emporter par la dérive budgétaire ?
Karim Ben Cheïkh : À mon initiative, la commission des Finances de l’Assemblée avait voté une subvention de 25 millions d’euros pour la Caisse des Français de l’étranger (CFE) en 2025. L’État impose à la CFE de couvrir tous les Français, y compris les plus vulnérables, sans compensation suffisante. Cette mission de service public coûte à la CFE près de 25 millions d’euros par an (catégorie aidée, ALD, assurés à risques élevés), d’où le chiffre.
Avec ce budget 2025, la CFE recevra au mieux 700 000 euros de subvention. Son déficit structurel l’obligera encore à augmenter ses tarifs ou à dégrader ses services. L’autonomie financière de la CFE était une condition pour sa création, afin de lui permettre d’exister à côté et en lien avec la Sécurité sociale française. Je crains que cette autonomie ne soit utilisée aujourd’hui comme un argument par l’Etat pour abandonner une caisse qui couvre près de 200 000 assurés à travers le monde.
Avec quelles autres mesures les Français de l’étranger auraient-ils pu participer à l’effort budgétaire demandé par la France ? Par la création d’un impôt sur la nationalité par exemple comme la France insoumise ?
Karim Ben Cheïkh : Il faut sortir de la caricature du “coût” des Français de l’étranger. Ils contribuent aux finances publiques à hauteur de plus de 1,4 milliard d’euros par an via l’impôt sur le revenu et la fiscalité immobilière, auxquels s’ajoutent plusieurs centaines de millions en CSG-CRDS. Pourtant, les services publics dont ils disposent sont réduits à peau de chagrin. Une piste serait de réaffecter les contributions de CSG-CRDS vers la Caisse des Français de l’étranger, qui manque cruellement de moyens. Quant à l’impôt sur la nationalité que vous mentionnez, je n’y suis pas favorable et si certains prétendent le contraire, c’est pour mieux masquer leur manque d’idées et d’ambition pour les FDE.
Ce budget est une étape importante, mais qu’allez-vous entreprendre comme actions ces prochaines semaines pour nos ressortissants vivant hors de France afin de compenser ces coupes dans les crédits ?
Karim Ben Cheïkh : Trois combats me semblent prioritaires pour les Français de l’étranger. D’abord, la reconnaissance des difficultés pratiques, matérielles et sociales de beaucoup de nos compatriotes. J’ai lu le courrier de nos ministres pour dire aux Français de l’étranger, “nous pouvons faire mieux avec autant de moyens”. Je rappelle que la réalité c’est que les moyens baissent ! Les budgets alloués aux Français de l’étranger pèsent une plume dans le budget du pays. Ce sera mon message prioritaire lors des “Assises de la protection sociale des Français de l’étranger”.
Le deuxième combat, c’est la préservation de notre outil diplomatique efficace et au service des intérêts de la France et des Français. Au-delà des clivages, il y a une prise de conscience des dangers du démantèlement de notre action extérieure. Je reconnais au ministre Barrot un certain volontarisme, mais je constate qu’il est peu entendu dans son propre gouvernement.
Notre troisième priorité doit être l’affirmation des valeurs de la France dans un contexte international troublé. La France est respectée lorsqu’elle défend le droit international, la justice internationale, la solidarité, et nos engagements pour le climat. Face à la menace de l’extrême-droite en France, en Europe et dans le monde, c’est un engagement sur lequel je n’entends rien céder. Car sous couvert de réalisme, cette extrême-droite appelle de ses vœux un monde de rapports de force et de brutalisation des rapports internationaux.
Télécharger le courrier envoyé au Premier ministre
Lettre à François Bayrou
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Directeur de publication et rédacteur en chef du site lesfrancais.press
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