Joe le calmant

Joe le calmant

« Sleepy Joe », Biden, a vaincu.  Le monde se rassure. 

Tout est fou dans ces élections qui ont vues s’opposer Bident et Trump. La campagne, sur fond de coronavirus, les insultes, les milliards dépensés, l’aveuglement des sondeurs, la partialité de la presse, le mépris partagé, la violence des partisans.  

Interruption du discours du Président Trump par certains médias, MSNBC, CNN, ABC

Et puis le dépouillement. Trump dénonce une fraude massive. Personne ne peut penser que le Président des Etats-Unis et le Parti républicain n’ont pas les moyens de trouver des preuves. S’ils en ont qu’ils les montrent. S’ils n’en ont pas, qu’ils se taisent. La fraude est une affaire trop sérieuse pour être traitée avec légèreté. Faut-il pour autant trouver normal que des chaines de télévision censurent Trump, parce qu’il ment ? Que n’ont-ils osé le faire avant ! Et pour combien d’autres ? A commencer par eux-mêmes. Un journaliste de CNN pleure de joie en annonçant la victoire de Biden, quelle confiance un électeur de Trump peut-il avoir en lui ?

De quoi susciter l’ironie de Vladimir Poutine, « inquiet » sur le processus électoral, les sarcasmes de Khomeiny, la joie des Chavistes, l’indifférence affichée de la Chine : « Le ciel est bleu et les élections américaines ne sont intéressent pas. » feignent-ils. 

Derrière les invectives, la passion

Y a-t-il de quoi penser que le système démocratique est à bout de souffle, miné par le populisme, l’arrogance des élites, la désaffection de la classe moyenne ? Le record de participation électorale répond. Derrière les invectives, la passion de centaines de milliers de citoyens engagées pour compter dépouiller, contester, s’écharper.

Bureau de vote aux USA – ©AFP

Tous les excès ont été vus, ils ne peuvent apparaitre que dans une démocratie transparente. Cela ne veut pas dire qu’elle l’est toujours. Ce n’est pas parce que Trump est paranoïaque qu’il n’a pas d’ennemis. Ce n’est pas parce qu’il y a des complotistes maladifs qu’il n’y a jamais de complots (demandez à la famille Kennedy, qui s’y connait autant en matière de fraude que de complots). La seule chance de les voir apparaitre, c’est la transparence qu’offrent la concurrence des élections, l’équilibre des pouvoirs, un système judiciaire indépendant. 

C’est comme pour la corruption : elle existe partout, elle n’est vraiment poursuivie que dans les régimes démocratiques. Ailleurs, c’est selon la proximité avec le pouvoir. Personne n’oserait mettre sa main à couper sur l’intégrité d’un Trump ou d’un Biden, ils sont tous les deux accusés de bien des choses.  Mais on peut risquer un dollar sur le fait que leurs turpitudes, si elles existent, peuvent être dénoncées, voire jugées.

Un ultra modéré l’emporte 

A la fin, le plus ancien dans le grade le plus élevé, un homme de 77 ans, marqué par un demi-siècle de vie politique, qui, jamais, ne s’est pris pour un génie, contrairement à Trump, l’ultra modéré Biden est choisi. Avec, tout de même, près de 3 millions de voix d’avance. Rien dans sa vie ne porte la marque de l’excès.

Dans tous les pays du monde, les solutions passent par le vote. Même les dictateurs biélorusses et les autocrates turcs, sacrifient au rite. Ils peuvent se moquer, les tyranneaux de tous les pays, çà n’est évidemment pas chez eux qu’un président sortant ne maitriserait pas le vote par correspondance. 

Les peuples ne sont pas dupes. En Biélorussie un vote truqué a conduit à la révolte. En Algérie, l’abstention au référendum ajoute un désaveu supplémentaire au système. En Côte d’Ivoire, la réélection à plus de 90% du président sortant mène à des émeutes. Partout le vote est une épreuve. 

Partout le message transmis par l’élection américaine, avec tout son cirque, tous ses excès, c’est, pour reprendre les slogans de chaque camp : « on ne vole pas l’élection » ou « chaque vote compte ». Qu’en disent Poutine, Khomeiny, Xi Jinping, Maduro et tant d’autres esprits moqueurs ?

Les commentateurs annoncent la guerre civile américaine. Tout est là : des milices armées, des émeutes, des partisans chauffés à blanc, un Président en place pour encore deux mois qui ne fait rien pour les calmer. 

Il ne se passera rien.

Le rejet de la méthode des conflits 

L’Amérique a choisi «  Sleepy Joe » en toute connaissance de cause, pour calmer les choses, pour sortir de l’excitation permanente et des tweets incendiaires. Ce qui a été rejeté c’est aussi la recherche du conflit systématique, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Au niveau international, Joe Biden, qui a présidé la Commission des Affaires étrangers du Sénat pendant dix ans, ne changera sans doute pas les fondamentaux de la politique américaine : désengagement militaire progressif, opposition à la Chine, nouvelle alliance au Moyen Orient. Il le fera sans provocation. Il s’est parfois trompé dans le passé -qui ne s’est pas trompé ?- mais il sait où est le Mali par exemple, et ce qu’y fait la France (il en avait parlé avec Hollande). 

Il renouera avec les Européens. En février 2019, à Munich, face à des Allemands inquiets de la distorsion du lien transatlantique il annonçait : « Ne vous inquiétez pas, nous serons de retour, nous serons là. » Il reviendra dans les Accords de Paris (une décision plus symbolique que pratique), qui veut dire que les Etats-Unis vont revenir dans le système multilatéral, avec leurs alliés, c’est-à-dire l’Europe. Ils en ont besoin face à la Chine. 

Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour le monde. Lui aussi a besoin de calmants.

Laurent Dominati

Editeur de lesfrancais.press. Ancien Ambassadeur de France au Conseil de l’Europe, ancien député de Paris. 

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