« Ingénierie » de la répression et organisation de la résistance en Iran

« Ingénierie » de la répression et organisation de la résistance en Iran

Le 3 novembre, la vidéo d’une manifestation dans la ville de Karaj, située à l’ouest de Téhéran, montre un membre des forces de sécurité, armé, tirant vers le ciel. Une autre vidéo nous plonge dans une scène presque surréaliste. Les rues et les autoroutes sont bloquées par les manifestants, obligeant le régime à évacuer les forces de sécurité blessées par hélicoptère afin de les transporter vers un hôpital. D’autres vidéos encore sont disponibles et montrent chaque fois l’impuissance des forces du régime face aux manifestants.

Une répression qui peut monter en puissance ?

Ces scènes amènent chaque spectateur à s’interroger sur la puissance de répression du régime. Dans les faits, on pourrait se poser la question suivante : la répression est-elle à la hauteur de ce que nous avons vu pendant ces cinquante jours ? Ou alors le régime réserve-t-il ses cartouches pour un massacre dont il a le secret, en tirant directement sur la foule mécontente ? Auquel cas on comptera les morts et les blessés par milliers et le mouvement de contestation sera irrémédiablement freiné, comme ce fut le cas en 2019.

Si certains penchent pour la seconde hypothèse, rappelons-leur une chose ; après 50 jours de protestations, il est illogique de dire que le régime iranien dispose d’une capacité de répression supplémentaire. Croyez bien que si ce régime pouvait réprimer davantage, il ne se gênerait pas. Le but étant d’empêcher le mouvement d’atteindre le point de non-retour. Croyez-en la courte histoire de la République Islamique, les mollahs s’avèrent très expérimentés en matière de répression. 

Mais malgré tout, poussons la réflexion à son paroxysme et admettons que le régime dispose effectivement d’une force de répression capable d’interrompre le mouvement en cours. Même si tel était le cas, il ne pourra plus jamais faire machine arrière. A titre d’exemple, imposer à nouveau le hijab obligatoire à la population sera dorénavant impossible.

Le guide suprême tempère la répression ?

Selon divers documents exfiltrés des arcanes du régime, le guide suprême lui-même refuse le tir à balles réelles sur la foule. Et ce, pour une raison simple : si les forces de répression usent des armes contre la population, c’est un blanc-seing offert aux résistants pour, à leur tour, utiliser tout ce que compte le pays d’armes à feu contre le régime. Cette éventualité signerait à coup sûr la fin des velléités politiques du guide suprême et de ses sbires. De surcroît, les différents commandants du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) avouent dans ces mêmes documents ne pas être d’accord sur l’utilisation du tir direct. Le commandant en chef du CGRI demande donc à ses subordonnés de surtout ne pas « emmener avec eux des personnes à problèmes pour réprimer ou contrer les manifestations ». Preuve tangible de la crainte d’un embrasement final qui sonnerait le glas des mollahs.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. ©AFP

Néanmoins, ceci ne signifie pas que le régime cesse la lutte. Bien au contraire. Il se focalise sur les leaders du mouvement, principalement des femmes, qu’il fait arrêter, battre et torturer, à l’abri des regards. Le régime pense que c’est de cette façon qu’il pourra arrêter les protestations. Depuis 2014, ces leaders sont formés par l’OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien), l’ennemi juré du régime iranien. C’est grâce à la présence de ces leaders que ce soulèvement s’est poursuivi malgré la répression des plus brutales. 

212 villes mobilisées

Depuis des semaines, la résistance essaie d’affaiblir la répression en étendant ces manifestations à plus de 212 villes, en prolongeant les manifestations et en recrutant de nouveaux membres en permanence, afin de compenser les « leaders » éliminés dans ses rangs par le régime iranien. Pour chaque leader arrêté, dix nouveaux membres rejoignent les rangs de la résistance. Et parmi ces membres, il y a toujours un futur leader qui sommeille.

Une seule question taraude désormais l’esprit des deux camps : lequel de ces camps choisira l’armée ? Au fur et à mesure que le soulèvement se poursuit et s’intensifie, les conflits entre les manifestants et le régime vont augmenter. C’est pourquoi la résistance compte sur le pouvoir des femmes, des étudiants, des médecins, des avocats et des travailleurs en grève pour faire plier les mollahs. Pour l’instant, les soldats obéissent aux ordres délivrés par le CGRI, principal outil de répression et force idéologique qui fera tout son possible pour empêcher ses hommes de tomber et de rejoindre le peuple.

Mais c’est la société toute entière qui se polarise au fil du temps. On constate aujourd’hui que certains membres du régime expriment leurs doutes et hésitent quant à l’attitude à adopter. Le régime n’est plus la force monolithique affichée par le passé et vendue par la propagande d’Etat. Les fissures se font de plus en plus béantes, laissant passer l’idée de démocratie à tous les niveaux de la société iranienne. Y compris au sein de l’armée. Et le jour viendra, inexorable, où des unités feront le choix du peuple. À celles et ceux qui doutent d’un tel scénario, rappelons que 10 % des jeunes gens arrêtés à Ilam, une ville de la province du Kermânchâh, sont des enfants de Bassidj (force paramilitaire affiliée au CGRI) et du CGRI.

Dont acte…

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