Après de nombreux rebondissements, la Commission intègre finalement le nucléaire dans sa proposition pour une industrie européenne décarbonée et autonome. Les défenseurs de l’atome saluent un « signal politique positif », mais restent très vigilants sur la substance réelle de cette reconnaissance.
Jeudi 16 mars, la Commission européenne dévoilait sa proposition visant à ce que d’ici 2030, 40% des besoins de l’UE pour développer ses technologies énergétiques soient couverts par des capacités industrielles européennes.
Après le Chips Act sur les semi-conducteurs et le Critical Raw Materials Act sur les métaux stratégiques, le Net Zero Industry Act (NZIA) « s’inscrit dans la réponse européenne à l’IRA », avance Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, en conférence de presse de présentation de la proposition.
Pour redévelopper l’industrie en Europe, le texte liste ainsi les technologies « à émissions nettes » susceptibles de faire l’objet d’un soutien de l’UE pour leur montée en puissance. Entre le solaire, l’éolien, le stockage ou encore les pompes à chaleur, peut-on ainsi retrouver le nucléaire.
« Et oui, nous avons pu converger sur le besoin de couvrir le nucléaire dans cette proposition. Car il est temps de dépasser les idéologies » s’est félicité M. Breton.
Inclusion du nucléaire
Le ministère de l’Économie français, qui confirmait mardi 14 mars en conférence de presse son soutien à l’intégration du nucléaire dans le texte, peut donc pousser un « ouf » de soulagement.
Surtout que l’affaire n’était pas réglée d’avance.
Dans la première fuite du document dans la presse, le nucléaire figurait en bonne place. Mais dans les jours qui ont suivi, le doute s’était progressivement installé. Mardi (15 mars), le média britannique Financial Times avançait que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, épaulée par M. Breton, avait ferraillé avec Frans Timmermans, commissaire au Climat, soutenu par Margreth Vestager, commissaire à la Concurrence, sur l’introduction ou non du nucléaire dans le texte.
Les discussions auraient même duré jusqu’à quelques minutes avant la présentation officielle du texte, selon une journaliste du média européen Politico.
Finalement, les commissaires sont parvenus à un compromis selon lequel font partie des « technologies nette zéro » les « technologies avancées pour produire de l’énergie à partir de nucléaire avec un minimum de déchets et les petits réacteurs modulaires ».
Exclusion du nucléaire existant
De fait, les technologies nucléaires existantes, comme les réacteurs de 2ème génération à eau pressurisée [REP] que la France souhaite développer, sont exclues.
Mais pour l’eurodéputé français du groupe Renew (centre) Christophe Grudler, à ce stade, « l’essentiel était que le nucléaire soit dans le texte. Il l’est », glisse-t-il à EURACTIV France.
L’industrie nucléaire française s’inquiète tout de même. « Que le nucléaire apparaisse dans la proposition de la Commission est un signal politique positif », avance Erkki Maillard, directeur des affaires européennes d’EDF, auprès d’EURACTIV France.
En revanche, « le fait que les technologies [de réacteurs nucléaires] de 2ème et 3ème générations ne soient pas incluses […] témoigne de blocages au sommet de la Commission », complète-t-il.
Pire, « c’est une porte ouverte aux concurrents extraeuropéens qui sont, par exemple, déjà implantés en Pologne, comme l’Américain Westinghouse, le sud-Coréen KHNP et le Britannique Rolls Royce », confie à EURACTIV France une source au sein de l’industrie nucléaire française.
M. Grudler se veut toutefois rassurant : « il y a encore des négociations avant de trouver un accord. Le Parlement européen va prendre la main et permettra d’améliorer le texte, sur l’inclusion du nucléaire existant notamment ».
Zones d’ombre sur le futur nucléaire
Au-delà du nucléaire existant, même pour les technologies nucléaires du future inscrites dans le texte, des zones d’ombre persistent.
D’abord, parce que si elles figurent dans la liste des « technologies nette zéro », elles ne figurent pas dans l’annexe de la proposition. Or, l’annexe liste les « technologies nette zéro » dites « stratégiques », auxquelles « est limité l’accès au marché », explique un haut fonctionnaire de Bruxelles.
Interrogé sur ces dichotomies en conférence de presse, Frans Timmermans a simplement répondu que le collège des commissaires avait conservé une « position neutre » sur les choix technologiques, se référant « exactement au libellé de la taxonomie verte de l’UE » qui identifie les activités économiques durable bénéficiant de facilités de financements.
Le commissaire au Climat en a profité pour appeler les États membres défenseurs du nucléaire à se responsabiliser : « ne faites pas un choix idéologique, faites les comptes », car selon lui, « les énergies renouvelables sont presque chaque jour de moins en moins chères, ce qui n’est pas le cas du nucléaire ».
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