Guerre et paix, destins européens

Guerre et paix, destins européens

Qui est capable de résister à la prochaine crise ? D’excellents prophètes annoncent une nouvelle crise financière. D’autres une nouvelle guerre. Certains modérés voient le retour de la « bête », celle décrite dans l’Apocalypse. Il y a de quoi. Alors quels destins européens ?

Il y a des principes simples que tout groupe humain devrait accepter par intuition : On ne tue pas les enfants, on n’éventre pas les femmes; on n’écartèle pas les prisonniers. On ne se cache pas derrière des boucliers humains pour frapper. On ne soutient pas ceux qui font cela. 

De même quand un assassin se cache dans la foule, on ne tire pas la foule. On ne bombarde pas les civils. On ne tire ni sur les ambulances, ni sur les hôpitaux. On ne rase pas des villes, même en disant à la population de s’en aller, sans eau, sans pain. Il y a un principe de proportionnalité entre le gain militaire et le dommage civil.

Des soldats israéliens évacuent la dépouille d’un civil tué dans le kibboutz de Kfar Aza. (Jack Guez/AFP)

Il y a des principes simples que tout groupe humain devrait accepter par intuition 

La confusion, les calculs, les passions sont telles que plus de cinquante Etats ont refusé de condamner le Hamas. La BBC et l’AFP déploient des trésors de mauvaise foi pour ne pas le qualifier de « terroriste ». En France, Selon le ministère de l’intérieur, 1762 faits antisémites ont été relevés depuis le début de l’année en France,564 antichrétiens et131 antimusulmans : Tout aussi condamnable, l’islamophobie n’est pas de même nature que l’antisémitisme.

La Peste noire, qui anéantit un tiers de la population européenne, fut attribuée à un complot judéo-musulman : ils étaient accusés d’empoisonner, de concert, les puits. Revenu des ténèbres, À partir du dix-septième siècle, le monde bascula dans l’hégémonie européenne, construite sur la recherche scientifique, les institutions politiques, la domination économique, la maîtrise des communications, la superbe d’un modèle culturel. 

Au XXIème siècle, cet ordre, repris par les Américains après le suicide européen des deux guerres mondiales, est contesté par de nouvelles puissances. Même s’il n’y a pas d’autre modèle idéologique, contrairement au rêve communiste de la guerre froide, il y a un affaiblissement du « modèle occidental de la paix », pendant du « modèle occidental de la guerre », qui reposait sur le gendarme américain.

Ceux qui veulent le bousculer ont retenu qu’il faut détruire avant de reconstruire. Ils ont intérêt à la déstabilisation du monde. Détruire suppose la guerre, et même l’horreur. L’horreur déshumanise, garantit la permanence du conflit, la frontière entre ceux qui violent les principes humains et ceux qui y tiennent ; entre ceux qui y tiennent mais acceptent de les violer, parce qu’ils croient que c’est le prix de la victoire.

Ceux qui veulent bousculer le « modèle occidental » ont retenu qu’il faut détruire avant de reconstruire. 

Pendant que Juifs et Musulmans étaient accusés d’empoisonner les puits, en pleine Reconquista, juste avant la prise de Grenade, forgerons chrétiens et musulmans de Ségovie fondèrent ensemble une confrérie consacrée à la Vierge Marie ainsi qu’à « tous les saints de la cour des cieux ». Il y a toujours des possibles. Les saints comme les salauds et les héros ne sont pas dans la cour des cieux, ils sont sur terre ; ici-bas, parfois très bas. 

Ne jamais croire, ni accepter, que la marche du monde dépend des autres. La prochaine crise ne dépend pas des Américains, des Chinois, des Russes, de l’Iran, de la Serbie ou de l’Algérie. Elle dépend des Européens, de leur capacité d’anticipation, de prévention, de réaction. 

Les États-Unis, peuvent se désengager –comme Trump le dit – de l’Ukraine, du Moyen Orient, de l’Otan. Ce n’est pas sûr, mais c’est possible. Que décide-t-on ? Suivre les vœux de Trump ou Poutine, ou mener notre propre politique, celle de défendre nos intérêts, ceux de l’Europe, qui oblige à arrêter la violence russe, qui démantèle le terrorisme ? 

Donald Trump, le 16 janvier 2017.  — © DOMINICK REUTER / AFP

Ne jamais croire, ni accepter, que la marche du monde dépend des autres.

Les Européens savent que l’Iran est une menace, non seulement su Israël et l’Arabie, mais aussi sur l’Europe. L’Iran n’a jamais caché son soutien au terrorisme; ni ses violations du traité limitant sa production nucléaire. L’Iran avec les missiles russes et la bombe, cela donne quoi ? Notamment pour une puissance nucléaire comme la France ? Première visée ? Ou bien faut-il s’abandonner à eux ? 

Les Européens savent que les États-Unis se sont désengagés du Moyen-Orient, qu’ils veulent rester associés à condition Qu’on suive leur politique, notamment en Asie. La Chine, elle, n’hésite pas à développer ses partenariats avec l’Iran, la Russie, la Corée du Nord, et autres humanistes. Elle vient d’ouvrir un nouveau port au Pérou. Stratégiquement, la destruction de l’ordre mondial « sous emprise occidentale » est le seul point d’accord. Il y a des idiots utiles comme Lula, qui ne le comprennent pas, et des cyniques antipathiques comme Modi, en Inde, qui ont compris et se méfient plus des dictatures anti-impérialistes que des démocraties postcoloniales. 

L’Europe n’est pas assez forte pour se substituer à la « Pax Americana ». Elle craint avec raison les manipulations russes au sein de l’Europe. Comme Poutine serait heureux d’un conflit en Serbie ! Comme il se réjouit de l’attitude slovaque ou hongroise ! Mais l’Europe peut bâtir, avec d’autres pays, y compris des régimes qu’elle n’approuve pas, des alliances pour maintenir le monde hors de guerre. L’Europe a besoin d’un dialogue permanent avec les pays du sud de la Méditerranée et des pays arabes. Les tournées de Catherine Colonna et de Sébastien Lecornu auprès des pays arabes sont indispensables. La guerre gagne la Méditerranée. Le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, la Turquie, le Liban s’éloignent de la France et de l’Europe. Ce n’est pas une chance pour eux. Leurs populations ne partagent pas les obsessions de leurs dirigeants. La guerre civile les menace plus que toute guerre extérieure, mais ils peuvent choisir des conflits extérieurs pour éviter les guerres civiles.  

Les besoins en eau, en énergie, en éducation sont immenses. Les champs d’action multiples. Les promesses infinies. 

Le CNRS vient d’annoncer la création d’une nouvelle molécule contre le cancer, développé à partir d’un laboratoire lyonnais. Au Brésil, des scientifiques ont mis au point un vaccin contre la cocaïne, dénommé « calixcoca », pour sortir du cycle de la dépendance. Aux États-Unis, Caltech a envoyé de l’énergie captée par des panneaux solaires dans l’espace jusqu’à la terre. Au-delà de la perspective de centrales solaires spatiales inépuisables, la transmission de l’énergie par ondes, sans fil, épargne réseaux et pertes en ligne. L’exploration spatiale promet des innovations dans des secteurs aussi différents que l’alimentation ou les matériaux nouveaux. L’Intelligence Artificielle, au-delà des aspects basiques, facilite la modélisation des protéines. La biologie synthétique fabrique des biomolécules, utilisables en médecine, alimentation, agriculture, carburants. En médecine encore, les recherches sur le métabolisme, l’Arn, la reproduction et le fonctionnement des cellules, le séquençage génétique, ouvrent des perspectives difficilement imaginables.

Les besoins sont immenses. Les champs d’action multiples. Les promesses infinies. 

Ces quelques exemples rappellent que l’alliance des forgerons chrétiens et musulmans au 15ème siècle reste une possibilité. D’un côté les perspectives extraordinaires du génie humain, de l’autre le retour aux pulsions humaines, inhumaines. 

Bien ou mal, le modèle démocratique, que l’on essaie de pervertir par tous les moyens, y compris les cyber campagnes, les fraudes, les intox, les influenceurs de haine – les tags antisémites téléguidés de l’étranger en sont le signe- reste la référence. Aucun autre modèle ne voit le jour. On vote au Liberia, à Madagascar, en Argentine, bientôt en Côte d’Ivoire, au Sénégal, et même au Venezuela.

On ne gagne pas la guerre sans viser la paix. On ne gagne pas la paix sans armes.  Qui, mieux que l’Europe, pour les perdre ou les gagner ?

La politique est un combat de civilisation. Mais pas de civilisations lancées les unes contre les autres : Un combat pour la « civilité » de chaque civilisation. Un combat ? Préparer la guerre et la paix. On ne gagne pas la guerre sans viser la paix. On ne gagne pas la paix sans armes. On évite les guerres en proposant des coopérations, des espoirs communs. La paix n’est pas un processus militaire, c’est une question culturelle. 

Apporter la paix à la Méditerranée, au Moyen-Orient, à l’est de l’Europe, reviendrait à construire une aire de coprospérité mondiale sans précédent. C’est ce qu’a fait la construction européenne, après la destruction de l’Europe. C’est le rôle mondial, stratégique, de l’Europe d’aujourd’hui, si l’on ne veut pas subir. Impossible ? Indispensable. 

Pour y parvenir, carotte et bâton. Éliminer, ceux qui vivent de la guerre et en tirent leur légitimité, aider, armer les autres. Y compris culturellement.  Les guerres se gagnent par le moral, on dit aujourd’hui, guerres d’influence. Qui, mieux que l’Europe, pour les perdre ou les gagner ?

Laurent Dominati

Laurent Dominati   

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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