Le courage : plus de 650 scientifiques russes ont signé une pétition contre la guerre en Ukraine. 1800 manifestants ont été arrêtés à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Les civils ukrainiens portent des kalachnikovs, le Président ukrainien et son prédécesseur appellent à la résistance.
La saloperie : Kadyrov, le tyranneau tchétchène, s’est porté volontaire pour nettoyer l’Ukraine ; Bachar Al Assad, Maduro, Loukachenko, le Kazakhstan, la Chine, l’Iran, le Pakistan, Nicaragua, Cuba, ouvertement ou discrètement, soutiennent la Russie. Une coalition se forge, réunissant les despotes de tout bord et de toute religion, unis par la haine de la démocratie, maladie occidentale, maladie contagieuse.
La crainte de Poutine : être victime d’une révolution démocratique en Russie
L’Ukraine ne menaçait en rien la Russie. Ceux qui trouvaient toutes les excuses du monde au gentil Poutine contre Otan le méchant n’ont pas compris que la crainte de Poutine était plus profonde : être victime d’une révolution démocratique en Russie. L’Ukraine était encore, en 2014, avec Ianoukovytch, un satellite russe. Ce dernier avait effacé la « Révolution orange » de 2004. Les oligarques ukrainiens versaient leur dime au Kremlin. Puis il y eut la révolte de Maïdan. Déjà, Ianoukovytch n’hésitait pas à « tirer sur la foule », comme le recommande encore Tokaïev, le nouveau satrape kazakh. Mais l’attrait de l’Occident et de la démocratie fut trop fort. L’Ukraine s’échappa du contrôle russe, les oligarques du clan de « Donetsk » durent fuir. En représailles, Poutine prenait la Crimée et armait les séparatistes du Donetsk.
La démocratie est contagieuse. L’an dernier, en Biélorussie aussi, il fallut tuer. Comme au Kazakhstan. Poutine se sent menacé par un Navalny, fait exécuter ou emprisonner des opposants, disparaitre des journalistes. Certes, il n’est pas le seul. Ailleurs, le risque de contagion est moins grand. Ce qu’il craint, ce ne sont pas les missiles de l’Otan, ce sont les Russes. Et s’ils se mettaient à aimer la démocratie comme des Ukrainiens ? A lui préférer un comédien ? Depuis des années, il se donne un mal de chien pour la singer, éloge du vice à la vertu. Quels sont les Russes qui y croient ? Ils ne voient rien pour le remplacer, il élimine toute possibilité de l’être.
Le PIB de la Russie a chuté en dix ans
Avant l’invasion de la Crimée, le PIB de la Russie dépassait les 2200 milliards de dollars par an. Il avoisine aujourd’hui 1500 milliards de dollars. Quelle puissance ! Le niveau de vie stagne. La population diminue. Le PIB par habitant est de 57% de celui des Grecs. Avec l’invasion de l’Ukraine, la valeur de l’Euro a été multipliée par quatre à Saint Petersbourg, la bourse de Moscou a chuté de 45%.
Les sanctions économiques, ça marche, pourrait-on dire. Huit ans après la Crimée, la Russie envahit l’Ukraine : les sanctions, ça ne marche pas. Tout simplement parce que les dictateurs ne sont pas atteints, ni eux, ni ceux qui les soutiennent. Au contraire, ils profitent d’une économie de pénurie pour organiser la contrebande et vendre des passe-droits. En Iran, les sanctions ont fait la fortune des Gardiens de la Révolution. Frapper Poutine, Lavrov et les députés de la Douma est symbolique, révèle leur richesse. Poutine n’accumule pas des fortunes pour en jouir. Il jouit du pouvoir absolu dans son périmètre, cela flatte son ego jusqu’à la démesure. Il n’a besoin d’argent, comme tous les dictateurs, que pour acheter les amitiés et les consciences. Un tyran se doit d’être généreux. C’est pourquoi dans tous les régimes de force, policiers et militaires sont riches : Algérie, Egypte, Pakistan, Birmanie, etc.
La première réaction est financière
Comment arrêter Poutine ? Américains et Européens se resserrent autour de l’Otan. Leur première réaction est financière. D’abord parce que le nerf de la guerre, c’est l’argent (mais seulement à long terme, une fois l’Ukraine étouffée). Ensuite parce que c’est la logique même de l’Occident : l’économie gouverne tout. Et son erreur : l’idéologie gouverne plus que l’économie, vieux débat ! Enfin parce que l’Occident vit dans la paix, surtout l’Europe, ce qui explique que l’Europe n’est pas prête et n’a pas son mot à dire dans une confrontation de « force ». Alors revient l’Otan et la nécessité d’une Europe militairement consistante et unie. L’Europe de la défense prendrait-elle du galon ? Seulement avec l’accord des Américains.
Un récent rapport parlementaire montre que l’armée française n’est pas prête à un conflit de longue durée. C’est embêtant puisque c’est la première armée européenne. « Dans un conflit de haute intensité, l’Armée de l’air n’aurait plus d’avions en dix jours et vraisemblablement plus de missiles au bout de deux jours ».
Les budgets militaires européens vont augmenter
Les budgets militaires vont donc augmenter. Il faudra du temps, mais cette augmentation – avec une coordination souhaitable – constituera une force bien plus importante que les forces russes. Déjà, les budgets militaires européens sont bien plus élevés que ceux de la Russie. Et puis ? Qui serait prêt à employer la force contre la Russie? Quand Jean-Yves Le Drian rappelle, face à la menace nucléaire de Poutine, que « l’OTAN aussi est une alliance nucléaire », ne frole-t-on pas l’inconscience ?
Désormais, chaque potentat voudra sa bombe, chaque pas : si l’Ukraine n’avait pas accepté sa dénucléarisation, en échange de la garantie de ses frontières, par la Russie, les États-Unis, et le Royaume-Uni, elle ne serait pas envahie.
Poutine était sûr que personne n’enverrait de soldats en Ukraine. Biden l’avait dit. Peut-être aurait-il fallu le faire, il y a des mois. Sa folie, son hybris, sa bêtise, (« Les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnait ») l’ont poussé à franchir la ligne autorisée : celle du Donbass. Si Poutine s’en était contenté, il ne se serait rien passé. Mais il a été emporté par son seul guide, la force. Face à une brute, un criminel, on doit aussi se défendre par la force. Nul ne doute donc que l’Europe va s’armer. Mais à partir de quelle attaque est-on prêt à mourir ? Les Sudètes, Dantzig, le Donbass, l’Ukraine, la Moldavie, les Etats baltes ? Quelle est la ligne rouge ? Le croira-t-il ? Une guerre nucléaire pour la Pologne ? Armer l’Europe est nécessaire, notamment pour éviter la montée aux extrêmes.
Armer l’Europe seulement avec des armes ne suffira pas
Mais armer l’Europe seulement avec des armes ne suffira pas, parce que l’Europe est fondamentalement un objet politique créé sur les ruines de la guerre, contre la guerre.
L’identité de l’Europe, c’est la paix, et c’est la démocratie. La seule chance de vaincre Poutine et ses sinistres admirateurs, ce n’est pas seulement de s’armer, comme le font les Ukrainiens, c’est de prendre exemple sur leur courage, leur volonté de vivre en démocratie. Rendre la démocratie contagieuse, comme le craint Poutine. C’est la démocratie qui renversera Loukachenko, Poutine, Tokaïev, et les autres.
La dissidence est à nouveau l’avenir de la Russie
La guerre est d’abord dans la tête. Elle est idéologique, politique. C’est pourquoi Poutine refait l’histoire, ferme les médias, dissout Memorial, la fondation de Sakharov, enferme le moindre manifestant. La dissidence est à nouveau l’avenir de la Russie. Ces quelques manifestants, ces 655 scientifiques, avec une intuition folle, montrent plus que de la lucidité, plus que du courage : de l’héroïsme. Il en faut pour gagner contre la guerre.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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