Nord Stream 2 est mort et enterré

Nord Stream 2 est mort et enterré

Lors d’une conférence en ligne sur le projet gazier Nord Stream 2 organisée par EURACTIV Bulgarie jeudi 24 février, un panel d’experts a partagé ses points de vue sur la situation actuelle en Ukraine, le besoin de sécurité énergétique et l’éventail de sanctions qui convient à l’intensité de la crise en cours.

Nord Stream 2 et sécurité énergétique

Organisée à un moment où la certification du gazoduc controversé était toujours en cours, la conférence, intitulée « Nord Stream 2 » — pas une monnaie d’échange », s’est concentrée sur le tableau général de l’affrontement géopolitique avec la Russie.

Même si le gazoduc Nord Stream 2, d’une valeur de 11 milliards de dollars, reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique, est terminé et prêt à être mis en service, les experts sont unanimes : le projet n’a pas d’avenir.

« Nord Stream 2 est mort et enterré », a déclaré Andrius Kubilius, eurodéputé lituanien et membre de la commission des affaires étrangères. « Je ne vois pas comment il pourrait être redémarré. Peut-être si la Russie devenait démocratique, mais pour l’instant, je soutiens la décision du chancelier Scholz de l’arrêter », a-t-il ajouté.

M. Kubilius a en outre exhorté l’UE à « résoudre » son problème de sécurité énergétique. « 40 % du marché européen du gaz est approvisionné par la Russie et plus de 50 % du marché allemand de l’énergie est approvisionné par Gazprom. Ce n’est pas une question de monopole, c’est une question de sécurité géopolitique pour l’Allemagne et l’Europe et la possibilité pour nous de prendre des décisions indépendantes », a déclaré M. Kubilius.

Il a également souligné, avec Aura Sabadus, auteure à l’Independent Commodity Intelligence Services (ICIS), le besoin tout aussi urgent pour l’Europe de pouvoir inverser les flux de gaz dans les gazoducs existants entre la Grèce et l’Ukraine afin d’assurer l’approvisionnement du pays.

Toutefois, lors d’une séquence sur l’indépendance gazière européenne, Ilian Vassilev, ancien ambassadeur bulgare en Russie et expert en politique étrangère, est resté optimiste en évoquant les alternatives au gaz russe.

« Il y a deux semaines, les Russes ont réduit de moitié leur production de gaz en trois jours », a déclaré Vassilev. « Les gens ont pensé que c’était la fin. Mais non. Nous avons obtenu du GNL des États-Unis et non seulement cela a suffi à équilibrer la demande, mais les prix ont baissé ».

Il a ajouté que l’invasion de l’Ukraine n’était que le premier coup dans le jeu de Poutine et que son impact sur le secteur énergétique restait à voir.

Implantation prévue du gazoduc Nord Stream 2 ©AFP

Condamnation de l’attaque russe

Lors d’une émouvante intervention en direct de Kiev, Svitlana Zalishchuk, conseillère Affaires internationales de Naftogaz Ukraine, a décrit la situation sur le terrain, appelant la communauté internationale à ouvrir les yeux sur la gravité de la situation.

« Je ne peux pas appeler cela une guerre contre l’Ukraine. C’est une guerre contre le monde démocratique et le monde occidental », a déclaré Mme Zalishchuk, ajoutant que « ce n’est pas seulement à l’armée ukrainienne et au peuple ukrainien de combattre. C’est à la communauté internationale ».

Mme Zalishchuk a ensuite été contrainte de quitter la conférence en ligne en raison d’appels à l’évacuation lancés par les autorités ukrainiennes.

M. Kubilius a qualifié les attaques russes contre l’Ukraine de « crime international » et a exhorté les États membres de l’UE à soutenir l’Ukraine comme l’a fait son pays, en fournissant des fonds et des équipements militaires.

Mme Sabadus, a quant à elle regretté que les avertissements répétés d’une invasion russe n’aient été suivis d’aucune action concrète. « Personne n’a écouté », a-t-elle déclaré, ajoutant que « c’est le moment où l’Occident doit se réveiller ».

Mme Sabadus s’est toutefois félicitée de la démission de responsables européens de conseils d’administration d’entreprises russes, comme l’ancien Premier ministre Matteo Renzi qui a quitté Delimobil, le plus grand service de covoiturage de Russie, et l’ancien Premier ministre finlandais Esko Aho qui a démissionné de son poste à la Sberbank.

Le monde selon Poutine

Interrogés leur avis sur les projets de M. Poutine pour l’Ukraine, les membres du panel ont exprimé des points de vue très similaires.

« Vladimir Poutine veut reconstruire une sorte d’Empire russe », a déclaré Mme Zalishchuk. Elle a ajouté qu’il s’agissait d’une sorte de « guerre coloniale » menée sur la base de fausses revendications historiques, en utilisant un « faux narratif » et en formulant de « fausses demandes ».

Selon l’ancien Premier ministre lituanien Kubilius, la situation en Ukraine est la « guerre d’un homme fou » que la Russie finira par perdre.

M. Vassilev, pour sa part, a dressé un tableau plus sombre. « Il faut s’attendre au pire, il faut s’attendre à tout. Parce qu’il a franchi le Rubicon. Il n’y a pas de retour possible pour lui », a-t-il déclaré en parlant du président russe. Il a ajouté que les contrats n’ont pas d’importance pour M. Poutine puisqu’il n’a pas respecté les accords de Budapest (sur la dé-nucléarisation post-soviétique de l’Ukraine) ni les accords de Minsk (sur le Donbass).

« Tout nouvel accord que [Poutine] signerait ne signifierait rien tant qu’il est au pouvoir », a-t-il conclu.

Selon M. Vassilev, le président russe essaiera de « prendre tout ce qu’il peut » et d’obtenir une nouvelle conférence de Yalta avec des sphères d’influences définies.

« Il est dangereux car il a cette obsession d’être le prochain Alexandre Nevsky qui restaurera la fierté de l’empire russe. Aucun sacrifice n’est assez grand pour lui ». Alexandre Nevsky est considéré comme une figure clé de la Russie médiévale.

Sanctions

Face aux événements en cours en Ukraine, le panel d’experts qui a participé à la conférence a convenu que des sanctions sévères devaient être prises pour dissuader la Russie de nouvelles agressions.

Mme Zalishchuk a plaidé en faveur de sanctions sévères contre le Belarus et d’un isolement total de l’État russe sur la scène internationale.

« De lourdes restrictions doivent être mises en œuvre, notamment sur les équipements technologiques et sur l’électronique », a déclaré Mme Zalishchuk de Naftogaz. « Je m’attends à un ensemble de sanctions dévastatrices, contre Poutine, contre son entourage, contre ses enfants et ses proches », a-t-il ajouté.

Cette opinion est partagée par Mme Abadus de l’ICIS. « Les sanctions les plus importantes seraient celles dirigées contre les oligarques de M. Poutine et, bien sûr, contre M. Poutine lui-même », a-t-elle déclaré, ajoutant que « la Russie devrait être complètement exclue du système de paiement SWIFT ».

Toutefois, M. Vassilev a préconisé une approche plus prudente, notant que l’UE est encore largement dépendante du gaz russe. Si les sanctions sont nécessaires, il a déclaré qu’elles doivent être pensées intelligemment.

« Vous pourriez exclure les banques russes et les communautés financières russes de SWIFT, mais ensuite vous devez toujours payer le gaz. C’est donc délicat, si vous commencez à faire une exception, cette faille sera utilisée pour créer d’autres exceptions », a déclaré M. Vassilev.

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