Greve contre la réforme des régimes de retraite en France

Greve contre la réforme des régimes de retraite en France

À écouter l’exécutif, les Français devraient être convaincus du bien-fondé de la réforme des retraites s’ils faisaient l’effort de la comprendre. Car pour Emmanuel Macron, son Premier ministre Édouard Philippe et les membres du gouvernement, celle-ci vise à rendre « plus lisible, plus juste et plus simple » le système actuel.

« Un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », entend-on depuis des mois pour vanter les mérites de ce futur système universel et à points.

Le principe fondamental est de remplacer les 42 régimes de retraites actuels, où les pensions sont calculées en fonction du nombre de trimestres cotisés, par un système unique, où chacun accumulera des points tout au long de sa carrière et pour chaque heure travaillée. Par conséquent, la réforme mettra fin, en ce qui concerne le salaire de référence, à la règle des 25 meilleures années pour les salariés du privé et des six derniers mois pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux. À partir de l’entrée en vigueur de la réforme en 2025, c’est l’ensemble de la vie professionnelle qui sera pris en compte. Une façon de favoriser les carrières courtes, accidentées et peu ascendantes, soutient le gouvernement.

Pour convaincre, les services de communication du haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, qui a publié ses préconisations en juillet dernier, mettent régulièrement en avant des cas concrets. Celui des femmes est particulièrement exploité : leur retraite moyenne est actuellement inférieure de 42 % à celle des hommes et 70 % des personnes qui perçoivent le minimum retraite sont des femmes, souligne ainsi les tweets du haut-commissaire.

Pour autant, avec 245 rassemblements et manifestations déclarés dans l’Hexagone, de très nombreux Français feront grève, jeudi 5 décembre, contre la réforme des retraites. L’initiative d’une grève reconductible est venue de syndicats de la RATP. La SNCF, Air France, EDF, les poids lourds, les avocats, les enseignants, les crèches ont suivi le mouvement, qui a pris de l’ampleur au fil des semaines, s’étendant aux Gilets jaunes, mais aussi au Parti socialiste, au Parti communiste, à La France insoumise et au Rassemblement national.

Peu habituées à battre le pavé, le syndicat des cadres, la CFE-CGC, va également manifester, la CFTC a laissé ses syndicats « libres » de rallier le mouvement, des fédérations Unsa se rassembleront devant Bercy et la CFDT-Cheminots, à contre-courant de sa centrale, appelle à une grève illimitée.

« Il va y avoir un très grand nombre de perdants »

La raison ? « Il va y avoir un très grand nombre de perdants » avec cette réforme des retraites, affirme l’économiste Daniel Cohen, pour qui système « universel » ne signifie pas forcément système « juste ».

De fait, les perdants ne seront pas que du côté des bénéficiaires des régimes spéciaux. Tous les Français devront « progressivement travailler plus longtemps » pour « remettre le système actuel à l’équilibre » avant l’entrée en vigueur du nouveau régime en 2025, a ainsi répété Édouard Philippe, le 27 novembre. L’âge légal de départ restera ensuite fixé à 62 ans, mais deux options sont sur la table : allonger la durée de cotisation ou créer un âge pivot pour une retraite à taux plein, avec par exemple une décote avant 64 ans et une surcote après cet âge. Par conséquent, quelle que soit l’option choisie, les Français seront contraints de travailler quelques années de plus.

Tous les syndicats sont opposés à un allongement de la durée de travail, y compris la CFDT, seul soutien de poids à un régime universel par points, d’autant plus que la durée de cotisation pour une pension à taux plein doit déjà passer de 41,5 ans aujourd’hui à 43 ans en 2035.

Le gouvernement justifie cette décision en soulignant que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Mais c’est oublier qu’il existe des écarts d’espérance de vie en fonction des catégories sociales, font valoir les opposants à la réforme, comme l’économiste Thomas Piketty (voir la vidéo ci-dessous). Les cadres vivent en effet plus longtemps, mais aussi en meilleure santé que les ouvriers : leur espérance de vie à 35 ans sans problèmes sensoriels et physiques est de 34 ans, contre 24 ans seulement pour les ouvriers, selon les chiffres de l’Insee.

La crainte d’une baisse du niveau des pensions

La seconde inquiétude majeure concerne le niveau des pensions. Sur ce sujet, l’exécutif assure que la réforme fera des gagnants et communique là encore avec plusieurs exemples concrets sur les réseaux sociaux. « Aujourd’hui, le minimum de retraite est de 900 euros pour les agriculteurs et 973 euros pour les salariés du privé », note par exemple un tweet du haut-commissaire aux retraites. Avec la réforme des retraites, ce minimum sera « augmenté à 1 000 euros pour tous, avec carrière complète. »

S’ils ne contestent pas que le futur régime fera inévitablement des gagnants, les opposants au projet estiment que les perdants seront majoritaires. Selon eux, les pensions seront mathématiquement moins élevées avec l’intégration dans le calcul des moins bonnes années. Ils craignent également que la valeur du point, qui détermine le niveau des pensions, serve de variable d’ajustement budgétaire. Une vidéo de François Fillon, s’exprimant en mars 2016 devant des chefs d’entreprise lors d’une soirée de la Fondation Concorde, est d’ailleurs abondamment utilisée par les anti-réforme pour décrier le système par points. On y voit l’ancien Premier ministre déclarer qu’un tel système « permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue » : « baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions ».

Il est toutefois aujourd’hui impossible d’affirmer qu’Emmanuel Macron ou ses successeurs auront recours à une telle stratégie. Édouard Philippe, lui, assure qu’il n’en est absolument pas question. « Il faut qu’il y ait des garanties sur l’évolution de la valeur du point », a-t-il admis, le 14 novembre, lors d’une consultation citoyenne sur les retraites à Pau.

En revanche, un collectif de citoyens, qui milite pour « un débat public clair sur la réforme », dénonce une « entourloupe » du gouvernement dans les chiffres communiqués. Ce collectif a fait la démonstration que les simulations contenues dans le rapport Delevoye étaient erronées, laissant planer le doute sur les intentions réelles du gouvernement.

« Pour ne pas trop pénaliser la comparaison, les ‘cas types’ ne sont pas faits dans le cadre du système actuel réel (légal), mais en y ajoutant des nouvelles mesures d’allongement de durée qui n’ont jamais été votées et qui portent la durée de cotisation à plus de 43 ans pour la génération 1980 et plus de 44 ans pour la génération 1990. Cette manipulation a pour effet de faire baisser les pensions calculées ‘dans le système actuel’ pour les faire apparaître inférieures ou égales à celles calculées dans le système Delevoye », écrit le collectif.

« Tout est sur la table »

Ce même collectif dénonce également l’absence, dans le rapport Delevoye, de l’ensemble des simulations réalisées par le gouvernement et regrette que le rapport ne compare pas « la situation projetée, dans le cadre de la réforme prévue par le gouvernement, avec la situation des actuels retraités ». Or, « les taux de remplacement [le pourcentage de son ancien revenu perçu une fois à la retraite] vont considérablement baisser par rapport à aujourd’hui », indique le collectif citoyens, ce qui signifie qu’il « faudra partir en moyenne beaucoup plus tard pour prétendre aux mêmes niveaux de pension ».

Toutes ces craintes sont par ailleurs alimentées par le flou entretenu par l’exécutif sur les orientations qui seront finalement prises, l’essentiel des détails de la réforme n’étant pas encore tranché. « Tout est sur la table », a affirmé Jean-Paul Delevoye, le 29 novembre, sur LCI. Mais à force de faire durer la concertation sans abattre ses cartes, le gouvernement entretient l’idée qu’il a intérêt à cacher son jeu le plus longtemps possible.

« Aujourd’hui on a un président de la République et un gouvernement qui sont totalement anxiogènes, qui génèrent de l’anxiété et de l’inquiétude partout » parce que « personne n’est capable de dire quelle sera la réforme […]. On ne sait pas où on va et donc on se trouve dans ce mouvement de grèves important demain », a estimé le patron du parti Les Républicains, Christian Jacob, mercredi 4 décembre, lors d’une conférence de presse.

Une analyse corroborée par les sondages. Alors qu’ils sont 76 % à être favorables à une réforme du système de retraites, 64 % des Français disent ne pas faire confiance à Emmanuel Macron et au gouvernement d’Édouard Philippe pour réformer le système, selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche, publié le 1er décembre. Quant à la grève du 5 décembre, entre 58 % et 71 % des Français la soutiennent, selon trois sondages de trois instituts différents publiés mercredi.

 

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