Quatre-vingts ans jour pour jour après son exécution au fort du Mont-Valérien par les nazis, le résistant arménien Missak Manouchian fait son entrée au Panthéon, mercredi 21 février. Une reconnaissance envers le chef du groupe de « l’Affiche rouge », mais aussi un hommage à tous les résistants étrangers.
Étranger et résistant pour la France
« Missak Manouchian incarne les valeurs universelles » de liberté, égalité, fraternité au nom desquelles il a « défendu la République », avait déclaré l’Élysée en juin dernier, lors de l’annonce de cette panthéonisation. « Le sang versé pour la France a la même couleur pour tous », avait également souligné la présidence de la République dans un communiqué. Cet engagement a un écho fort chez les Français de l’étranger qui partagent aussi leur cœur entre leur pays d’origine, la France et leurs pays d’accueil. D’ailleurs quelques Français résidant en Ukraine ont la même démarche que Missak Manouchian et sont, aujourd’hui, auprès des Ukrainiens à faire front contre les Russes.
C’est donc « le premier résistant étranger et le premier résistant communiste à entrer au Panthéon », insiste pour sa part l’historien Denis Peschanski, conseiller scientifique du collectif ayant milité pour l’entrée dans le temple des immortels français de celui qui était devenu, en 1943, l’un des responsables des Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), organisation de résistance communiste regroupant des étrangers et des apatrides.
Le génocide arménien
Rien ne prédestinait Missak Manouchian à un tel destin. Né en 1906 dans la ville d’Adiyaman, dans le sud-est de l’actuelle Turquie, il est un orphelin du génocide arménien. Il n’a que neuf ans lorsque son père meurt les armes à la main, tué par les Turcs. Sa mère disparaît peu après, emportée par la famine, lors de la déportation des Arméniens. Recueilli par un orphelinat francophone au Liban, il se découvre très tôt un amour pour la littérature du pays des Lumières et compose ses premiers poèmes.
En 1924, il réussit à immigrer en France avec son frère Garabed. Les deux exilés s’installent à Paris. Missak travaille alors comme tourneur aux usines Citroën. Mais trois ans plus tard, le malheur frappe à nouveau. Garabed meurt d’une tuberculose. « Missak est orphelin de ses parents, puis de son frère. La mort est très présente dans sa vie », décrit Denis Peschanski.
Après avoir perdu son emploi lors de la Grande Dépression, l’immigré arménien survit de petit boulot en petit boulot. Il suit aussi des cours à la Sorbonne en auditeur libre et publie des articles sur la littérature française et arménienne. Il fréquente également les milieux communistes. Révolté par la montée de l’extrême droite, il finit par prendre sa carte au parti. C’est d’ailleurs au sein du Parti communiste français (PCF) qu’il rencontre sa future épouse Mélinée Assadourian, elle aussi orpheline du génocide arménien.
La Seconde Guerre mondiale
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en septembre 1939, il est arrêté en tant que communiste à la suite du pacte germano-soviétique. Après un court séjour en prison, il s’engage volontairement dans l’armée française. « Il veut se battre pour la France alors qu’à la même époque le Parti communiste français, appliquant les ordres venant de Moscou, estime qu’il s’agit d’une guerre impérialiste dans laquelle la classe ouvrière n’a rien à faire », souligne Denis Peschanski. « Mais l’amour de Manouchian pour la France dépasse tout cela ».
Démobilisé après l’armistice de juin 1940, Missak Manouchian reprend ses activités militantes. Interné en juin 1941 au camp de Royallieu à Compiègne par les Allemands qui ordonnent des rafles dans les milieux communistes au lendemain de l’opération Barbarossa, il est libéré faute de charges.
En 1943, il finit par rejoindre la lutte armée en s’engageant parmi les Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée, les FTP-MOI. « Ils étaient organisés en détachements qui correspondaient grosso modo à des nationalités et des origines. On y retrouve beaucoup d’Italiens antifascistes, des Espagnols qui ont combattu lors de la guerre civile, mais aussi des juifs polonais ou encore des Allemands opposés aux nazis », décrit l’historien Fabrice Grenard, chercheur à la Fondation de la Résistance à l’AFP.
Nommé commissaire militaire de la région parisienne, Missak Manouchian multiplie les coups d’éclat et les attentats. L’un de ses groupes exécute notamment à Paris le colonel SS Julius Ritter, responsable en France du Service du travail obligatoire.
Traqué par une brigade spéciale des renseignements généraux de la police française, Missak Manouchian est finalement arrêté le 16 novembre 1943 après une longue filature. Torturé, il est livré aux Allemands avec 23 de ses camarades.
Le 21 février 1944, Missak Manouchian et 21 de ses camarades sont exécutés au Mont Valérien. Trois photos prises clandestinement par un soldat allemand immortalisent la mort de ceux de « l’Affiche rouge ». La seule femme du groupe, Olga Bancic, est transférée en Allemagne et décapitée quelques semaines plus tard.
Un hommage en deux temps
L’hommage au résistant communiste et étranger se déroulera en deux temps. Une veillée mardi 20 février au Mont Valérien, où Manouchian fut fusillé avec ses camarades de combat, puis, mercredi 21 février en fin de journée, une procession jusqu’au Panthéon, où il entrera, accompagné de son épouse Mélinée, avec ses 22 frères d’arme et son chef Joseph Epstein.
Les cérémonies répondent à un enjeu mémoriel très assumé par l’Elysée, « l’entrée au Panthéon de la résistance communiste et étrangère » et la réconciliation des mémoires de la Résistance : « C’est une entrée à travers Missak Manouchian et ses camarades de combat qui viendra compléter ceux qui étaient déjà là au nom de la résistance et qui reposaient là depuis 1964 avec l’entrée de Jean Moulin puis sous le quinquennat de François Hollande avec Pierre Brossolette, Jean Zay, Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz de Gaulle. » L’absence, à ce moment-là, d’une figure communiste et étrangère avait été regrettée, en dépit du caractère exemplaire des personnalités retenues.
Cette réconciliation des mémoires, véritable fil rouge mémoriel d’Emmanuel Macron depuis sa campagne de 2016 et qu’il a notamment suivi sur la question de l’Algérie et du Rwanda, sera au centre de la cérémonie au Mont Valérien, mardi 20 février. Selon le parcours de Manouchian en 1944, son cercueil passera par le haut du Mont Valérien, devant la petite chapelle, « où on ne sait pas si Manouchian est rentré, mais où un certain nombre de fusillés attendaient soit 10 minutes, soit 2 heures qu’on vienne les chercher pour être passés par les armes ». Il descendra ensuite dans la clairière des fusillés, pour un temps de recueillement. Puis gagnera l’esplanade de la France combattante, où il sera veillé par des personnalités « dépositaires d’une mémoire liée aux engagements de Manouchian », ou « porteurs de projets qui résonnent avec son message ».
À l’issue de la veillée de ce mardi 20 février, le cercueil sera placé dans la crypte où sont inhumés les 17 représentants de la France combattante, dont le dernier compagnon de la Libération, Hubert Germain. C’est là que la population pourra venir se recueillir avant la fermeture pour la nuit. « Symboliquement, Manouchian aura rejoint les morts pour la France du Mont Valérien », explique l’Élysée, qui souhaite voir dans ce parcours l’harmonie retrouvée entre « la mémoire des fusillés du haut du Mont Valérien, qui était très souvent portée par des résistants de l’intérieur dont une grande partie était d’obédience communiste, et la mémoire de la France combattante très souvent portée par la résistance extérieure, la France libre et de sensibilité gaulliste ».
Puis ce mercredi 21 février, la panthéonisation commencera par une remontée de la rue Soufflot, où les cercueils seront portés « par d’autres Français de préférence », des soldats de la Légion étrangère. La procession respectera trois stations correspondant aux chapitres de la courte vie de Missak Manouchian : le génocide des Arméniens, l’arrivée en France et son engagement au sein du parti communiste, le choix de la Résistance. Un circuit « agrémenté de temps artistiques » et en présence de nombreux jeunes, « pour bien marquer la dimension transmission que revêt une telle cérémonie », précise encore l’Elysée.
Sur le parvis du Panthéon, « un dispositif scénographique innovant », promet le Palais, permettra une représentation des 22 camarades de résistance de Manouchian « pour qu’ensemble, symboliquement, ils soient réunis avant d’entrer au Panthéon ». Une fois à l’intérieur, ils seront honorés « par un certain nombre de talents artistiques et le discours du président de la République ». Une plaque, « qui vaut entrée au Panthéon », insiste l’Élysée, sera apposée à l’entrée du caveau 13, gravée des noms des 22 et de Joseph Epstein. À côté, des extraits de la dernière lettre de Manouchian à son épouse Mélinée et du poème d’Aragon qui, chanté par Léo Ferré, en porta l’écho jusqu’à nous.
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