Frontières visibles, invisibles et mentales.

Frontières visibles, invisibles et mentales.

A Londres, une française est restée sept jours dans un camp de rétention, sans pouvoir communiquer, avant d’être refoulée en France. 3000 Européens n’ont pu entrer au Royaume-Uni. L’Australie, fermée depuis mars 2020 envisage de le rester jusqu’en juin 2022. Au passeport s’ajoute le passeport vaccinal. Le monde s’installe dans la fin de la libre circulation.

Comme si, tandis que le digital abolissait les frontières, le monde physique les renforçait. Encore que certains pays (Chine, Russie, Iran) mettent en place les moyens pour contrôler, le plus possible, leur internet. Les groupes mondiaux maitres de l’économie numérique ont bien une nationalité, mais celle-ci les embarrasse si peu, que les grands Etats, à l’initiative des Etats-Unis, souhaitent une taxation mondiale. Et le G7 signale en parallèle le retour d’une coordination mondiale, sous l’égide des Etats-Unis, pour « un plan mondial pour financer des infrastructures ».

Avec les frontières, les Etats sont de retour 

Les Etats sont de retour, beaucoup s’en réjouissent. Le crime organisé d’abord. Certes, les polices nationales se coordonnent : 380 personnes ont été arrêtées dans des dizaines de pays. Belle opération, qui traduit à quel point les réseaux criminels se sont développés. Quand les frontières se durcissent, les contrebandiers s’enrichissent. Quand la pénurie guette, la contrefaçon explose. D’autant que le crime excelle dans le monde digital, le dark web, la monnaie universelle, les faux médicaments, le financement des entreprises à l’arrêt. Plus il y a de barrières et de règles, plus il y a de passe droits, pirates, passeurs et cartels. Difficile de comprendre les guerres du djihad en Afrique ou ailleurs sans regarder les réseaux de trafics d’armes, de drogue ou de migrants. En Amérique latine, comme en Birmanie. Et qui veut croire les pays riches exempts ? 

Frontières, taxes et dépenses.

Il y a un double mouvement : renforcement des moyens des Etats et des contrôles, renforcement de ceux qui peuvent échapper aux contrôles. Double mouvement dans le double mouvement : durcissement des frontières physiques, abolition des frontières immatérielles. 

Le G7 a brillamment illustré le retour des frontières, des taxes et de la dépense publique. Nul n’a parlé de restaurer la liberté de circulation d’avant la pandémie. En revanche, la taxation des géants du numérique fait consensus : L’impôt redevient national parce qu’international. 

En regard, les dépenses publiques se mondialisent. La relance passe par la dépense, pas seulement pour l’Europe et les Etats-Unis. Car la dette est interdite aux pays qui n’ont pas de système financier solide, de banque centrale  respectée. Les pays pauvres, avec le retour des frontières se trouvent face à un mur. La pandémie a montré que le blocage des circuits économique provoquait l’anémie : la famine et la malnutrition, qui baissaient régulièrement remontent, comme le travail des enfants (160 millions selon l’ONU). La mondialisation profite aux pays pauvres, d’où les réticences dans les classes moyennes des pays riches. Mais les états préfèrent revenir aux frontières, pour le contrôle des populations, comme pour celui de l’économie.

Refoulements 

Les pays riches préfèrent ouvrir les cordons de la bourse que les frontières, ils proposent donc un « plan mondial d’investissement dans les infrastructures pour les pays pauvres », conscients de ce que « Toutes les nations sont associées au même héritage »[1]. Ce n’est peut-être pas vrai, mais dans la petite planète d’aujourd’hui, le risque est grand de voir un feu se propager. 

Plus de 170.000 migrants ont été arrêtés à la frontière entre le Mexique  et les Etats-Unis cette année. Kamala Harris est allé dire au Guatémaltèques : « Ne venez pas, les États-Unis continueront à appliquer leurs lois et à sécuriser leurs frontières… Si vous venez à notre frontière, vous serez refoulés». Le mur de Trump devrait donc être maintenu par Biden. Le Danemark, lui, envisage de faire traiter les demandes d’asile dans des pays tiers. En représailles vis-à-vis de l’Espagne, le Maroc bloque le retour par le détroit de Gibraltar… des Marocains. Un million de Biélorusses ont quitté leur pays pour la Russie. 300.000 Libanais ont quitté le Liban. Comment éviter l’explosion en Afrique, en Méditerranée ? 

Renforcement, franchissement des frontières, même le Royaume-Uni, en plein G7, menace de restaurer celle avec l’Eire, tandis que les Ecossais rêvent d’en installer une avec l’Angleterre. Le plus probable est que les pays riches restaurent une libre circulation entre eux, articulée sur une surveillance facilitée par le recours aux numérique, et amplifiée aux frontières externes.

Les réflexes des années cinquante 

L’écart avec les pays pauvres, ceux des migrants, des conflits, et des cartels plus ou moins présentables, – seigneurs de guerre ou régimes militaires, par exemple- va croitre. Se posera la question de savoir qui profitera des garanties ou des investissements décidés par la nouvelle « Alliance des démocraties » dans le plan mondial de développement : On connait cette logique, c’est le monde des années cinquante. A priori, c’est bel et bon. Mais il y a de grandes chances pour que cela ne se passe pas comme prévu.

La vraie frontière à dépasser est interne, dans chaque économie, dans chaque pays. Les politiques veulent reprendre la main, il n’est pas sûr qu’ils aient saisi les caractéristiques du nouveau monde. Le défi est plus vaste que la rivalité avec la Chine ou les taxations fiscales : il est dans les structures, des mentalités, des systèmes éducatifs dépassés, inadaptés pour le nouveau monde. C’est cette distorsion qui provoque les conflits et les crises. C’est cela qu’il faut prévenir par plus … d’ouverture, au moins d’esprit.

Laurent Dominati

A.Ambassadeur de France

A.Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »


[1] Saint Paul, Ephésiens, 3,1.

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