La question de l’immigration agite le débat en France depuis une quarantaine d’années. Longtemps, ce thème a été celui de l’extrême droite, avant que, depuis quelques années, d’autres partis s’en emparent. L’idée, d’une invasion ou d’un grand remplacement, est avancée par certains responsables.
8,8 % de la population
Pour autant, les statistiques ne confirment pas cette perception, comme en témoignent les dernières données publiées par l’INSEE. La France est l’un des pays européens où la proportion d’étrangers est la plus faible, et celle-ci n’a que faiblement augmenté ces dernières années.
Depuis 1851, la statistique publique recueille la nationalité des personnes vivant en France. D’un point de vue sémantique, est considérée comme immigrée toute personne née étrangère à l’étranger. Il peut donc y avoir des étrangers nés en France qui ne sont pas immigrés, et des Français nés à l’étranger qui peuvent revenir dans leur pays. À la différence de la notion d’« étranger », la qualité d’« immigré » est permanente : il est possible d’acquérir la nationalité française, mais il n’est pas possible de changer sa nationalité à la naissance ni son pays de naissance. L’INSEE rappelle que le terme immigré est utilisé dans le langage courant depuis la fin du XIXᵉ siècle et que ce n’est qu’en 1991 que ce terme devient une catégorie statistique dont la définition est entérinée par le Haut Conseil à l’intégration.
Les personnes vivant en France, nées de nationalité étrangère à l’étranger et n’ayant pas acquis la nationalité française, sont à la fois étrangères et immigrées. Elles représentent 5,1 millions de personnes en 2024, soit 7,5 % de la population. Par ailleurs, 2,6 millions d’immigrés ayant acquis la nationalité française vivent en France en 2024 : un tiers des immigrés vivant en France sont donc Français.
À l’inverse, un étranger n’est pas immigré s’il est né en France. Parmi les personnes résidant en France en 2024, 0,9 million sont de nationalité étrangère et nées en France ; elles ne sont donc pas considérées comme immigrées. Elles sont, dans leur grande majorité, soit 0,7 million de personnes, âgées de moins de 13 ans. Sous conditions de résidence, les personnes étrangères nées en France obtiennent la nationalité française de plein droit à leur majorité et peuvent la demander par déclaration anticipée dès l’âge de 13 ans.
La France compte donc 6,0 millions d’étrangers qui représentent 8,8 % de la population vivant en France en 2024. La population d’immigrés rassemble 7 millions de personnes, soit 11,3 % de la population. Les personnes étrangères représentent 10,0 % de la population âgée de moins de 13 ans, contre 5,6 % de l’ensemble des personnes âgées de 13 à 17 ans. Cette diminution de la part des étrangers dans la population après 13 ans reflète les acquisitions de nationalité par déclaration anticipée. Enfin, 8,8 % des personnes majeures vivant en France en 2024 ne possèdent pas la nationalité française. Depuis les années 2000, la proportion d’étrangers ou d’immigrés augmente en France, mais de manière plus lente que chez ses partenaires européens.
9,6% dans l’UE
Selon les données d’Eurostat, sur les 449,3 millions de personnes habitant dans les 27 pays de l’Union européenne (UE) en 2024, 43,0 millions ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles résident. Les personnes de nationalité étrangère représentent donc 9,6 % de la population de l’UE. La part de personnes étrangères parmi l’ensemble de la population en France (8,8 %) est donc inférieure à la moyenne européenne, ainsi qu’à celle de l’ensemble des pays frontaliers, comme l’Italie (8,9 %), l’Espagne (13,4 %), la Belgique (13,8 %), l’Allemagne (14,5 %), ou encore la Suisse (27,0 %) et le Luxembourg (47,2 %). La France se situe ainsi-en dessous de la moyenne européenne en matière d’immigration.
Les pays de l’UE diffèrent également selon la nationalité des personnes étrangères résidant sur leur territoire. Ainsi, parmi les 43,0 millions d’étrangers vivant dans l’UE, 14,0 millions possèdent la nationalité d’un autre pays de l’Union. Les étrangers ayant une autre nationalité de l’UE représentent donc un peu moins d’un tiers de l’ensemble des personnes étrangères vivant dans les pays de l’Union. Cette part est particulièrement faible pour les pays de l’Europe de l’Est (inférieure à 10 % dans les pays baltes et en Pologne), et à l’inverse particulièrement élevée pour la Belgique (61,0 %), la Slovaquie (62,6 %) ou le Luxembourg (77,3 %). La part d’étrangers possédant une autre nationalité de l’UE parmi l’ensemble des étrangers est très proche entre la France, l’Italie et l’Espagne, aux alentours de 26 %. Au total, les personnes étrangères possédant la nationalité d’un autre pays de l’Union représentent 2,3 % de la population totale en France en 2024, contre 3,1 % en moyenne pour les pays de l’Union. Les personnes étrangères possédant la nationalité d’un pays n’appartenant pas à l’UE représentent 6,5 % de la population totale en France en 2024, contre 6,4 % en moyenne pour les pays de l’Union.
Parmi les personnes de nationalité étrangère vivant en France en 2024, 46 % possèdent la nationalité d’un pays d’Afrique, 35 % la nationalité d’un pays européen (dont 26 % celle d’un autre pays de l’Union) et 13 % la nationalité d’un pays d’Asie. Pour les étrangers qui ne sont pas nés en France, la propension à entamer des démarches pour acquérir la nationalité française, et l’issue de ces démarches, dépendent de nombreux facteurs, notamment de l’ancienneté de présence sur le territoire. En outre, les droits supplémentaires résultant de l’acquisition de la nationalité diffèrent selon la nationalité d’origine : les personnes possédant déjà la nationalité d’un pays de l’espace Schengen bénéficient d’une liberté de résidence et de travail en France et ont donc moins intérêt à acquérir la nationalité française.
Par ailleurs, certaines nationalités antérieures ne permettent pas la double nationalité avec la France : pour les personnes concernées, acquérir la nationalité française n’est possible qu’en renonçant à celle d’origine. C’est le cas, par exemple, de la Chine. 34 % des immigrés vivant en France en 2024 ont acquis la nationalité française : ces personnes immigrées ne sont donc plus comptabilisées comme étrangères.
Cette part d’immigrés naturalisés est plus élevée pour les personnes immigrées originaires d’Afrique (37 %), en particulier du Maghreb (41 %) ou d’Asie (35 %), que pour les immigrés nés en Europe (28 %). Ces contrastes dans l’accès à la nationalité française selon l’origine expliquent que la répartition par nationalité des étrangers vivant en France diffère légèrement de celle des immigrés par lieu de naissance. Ainsi, la part des personnes d’origine européenne parmi les étrangers (35 %) est plus élevée que parmi les immigrés (31 %), à l’inverse des personnes originaires du Maghreb qui représentent 29 % des immigrés et 25 % des étrangers.
Les nombres d’étrangers et d’immigrés évoluent de manière proche, à l’exception des années 1980 et 1990. En 1921, un peu plus de 1,5 million d’étrangers vivaient en France. Comme celui des immigrés, leur nombre augmente jusqu’au début des années 1930 (2,7 millions en 1931), décroît ensuite jusqu’au milieu des années 1940 (1,7 million en 1946) avant de croître à nouveau. Très proches jusqu’au recensement de 1946, les nombres d’étrangers et d’immigrés vivant en France divergent ensuite. L’écart entre ces deux effectifs — d’un peu plus de 240 000 en faveur des immigrés au sortir de la Seconde Guerre mondiale — atteint 580 000 au recensement de 1990 et dépasse le million au recensement de 1999.
Volatilité des flux migratoires
Du recensement de 1982 jusqu’à celui de 1999, les séries connaissent même des évolutions inverses : le nombre d’étrangers diminue entre 1982 et 1990, puis plus fortement encore entre 1990 et 1999, alors que le nombre d’immigrés poursuit sa tendance à la hausse. Ces évolutions divergentes ont pu, à l’époque, nourrir des critiques à l’égard de la capacité de la statistique publique à fournir des chiffres reflétant la réalité du fait migratoire à partir de la seule catégorie des étrangers. Elles s’expliquent notamment par une part croissante d’immigrés acquérant la nationalité française entre 1982 et 1999.
Depuis la fin des années 1990, les nombres d’étrangers comme d’immigrés résidant en France augmentent, à un rythme moins rapide pour les étrangers jusqu’à la fin des années 2000 (+1,3 % en moyenne annuelle entre 1999 et 2009, contre +2,2 % pour les immigrés), plus rapide depuis (+3,2 % contre +2,4 % pour les immigrés en moyenne annuelle entre 2009 et 2024). Le nombre d’acquisitions de la nationalité française a en effet diminué depuis la fin des années 2000.
Les nationalités des personnes étrangères résidant en France se sont diversifiées, comme les pays d’origine des immigrés. Les nationalités des personnes étrangères résidant en France, comme les pays de naissance des immigrés, se sont diversifiées au fil du temps, reflétant l’évolution de la composition par origine des flux migratoires. En 1968, près de trois étrangers vivant en France sur quatre (72 %) possédaient la nationalité d’un pays européen, et un sur quatre (25 %) avait une nationalité africaine.
Plus particulièrement, 80 % des étrangers possédaient la nationalité d’un pays du Maghreb ou d’Europe du Sud. En 2024, 46 % des étrangers vivant en France ont la nationalité d’un pays africain et 35 % celle d’un pays européen. Le Maghreb et l’Europe du Sud ne représentent plus que 41 % des nationalités des personnes étrangères résidant sur le territoire. Les immigrés peuvent devenir Français par décret (c’est-à-dire par naturalisation ou réintégration) — ce mode d’acquisition représentant la majorité des cas — ou par déclaration, principalement à la suite d’un mariage avec un conjoint de nationalité française.
Entre 1968 et 1982, la part d’immigrés ayant acquis la nationalité française diminue légèrement, passant de 32 % à 29 %. Puis, entre 1982 et 2009, elle augmente continûment pour atteindre 41 % en 2009. Au cours de cette période, le nombre d’immigrés ayant acquis la nationalité française est multiplié par deux, alors que le nombre d’immigrés étrangers augmente moins rapidement. Depuis la fin des années 2000, le nombre annuel d’acquisitions de la nationalité française baisse significativement.
En particulier, le nombre d’acquisitions de la nationalité par décret a fortement reculé en 2011 et 2012, et n’a jamais retrouvé son niveau des années 2000 par la suite. En conséquence, la part d’immigrés de nationalité française diminue progressivement depuis 2009. L’acquisition de la nationalité peut être vue comme le résultat d’un processus de rencontre entre une demande engagée par certains immigrés et une décision rendue par l’administration qui encadre les conditions d’accès à la citoyenneté française. L’évolution dans le temps de la part des immigrés ayant acquis la nationalité française peut donc refléter des changements, d’une part dans la propension des immigrés à demander la nationalité française, d’autre part dans les pratiques de l’administration, qui décide des critères d’éligibilité et procède à la sélection des candidats.
Ces deux mouvements ne sont pas indépendants l’un de l’autre : une modification des conditions d’accès à la nationalité peut encourager ou décourager d’effectuer les démarches nécessaires pour être naturalisé. À titre d’exemple, les conditions de naturalisation par décret ont beaucoup évolué au cours des dernières décennies, en particulier concernant les exigences minimales en matière de maîtrise de la langue française, mais aussi les conditions de durée de résidence pour certaines catégories d’étrangers, ou encore le passage au dépôt dématérialisé de la demande de naturalisation depuis 2022.
Moins de naturalisation
Depuis le milieu des années 1990, les immigrés européens deviennent moins souvent Français. Ces évolutions de la part d’immigrés naturalisés varient selon leur pays de naissance. Ainsi, la part d’immigrés nés en Europe ayant acquis la nationalité française diminue de façon continue depuis le milieu des années 1990. Cette évolution peut refléter une plus faible tendance des immigrés européens à demander la nationalité, en raison notamment des facilités de circulation accordées aux ressortissants des pays appartenant à l’espace Schengen, mis en place en 1995.
En revanche, la part d’immigrés nés en Asie ou en Afrique ayant acquis la nationalité française augmente très fortement entre les années 1980 et la fin des années 2000 (de 22 % à 44 % pour ceux originaires d’Asie, de 15 % à 44 % pour ceux originaires d’Afrique), avant de diminuer à partir de 2009 (respectivement jusqu’à 35 % et 37 % en 2024). L’évolution des origines géographiques des immigrés et la part croissante des immigrés venus d’Afrique ou d’Asie expliquent aussi, en partie, les fluctuations à long terme de la part des immigrés devenus Français.
En effet, la probabilité d’acquisition de la nationalité française dépend fortement du pays d’origine. Le taux de naturalisation des immigrés chinois, par exemple, est relativement faible (autour de 20 %), en raison notamment d’une plus faible maîtrise du français et de l’impossibilité de cumuler les deux nationalités. Cependant, les immigrés chinois représentent une part croissante des immigrés nés en Asie (4 % en 1968, contre 11 % en 2024).
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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