Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a signé un accord de coopération militaire en Arménie. À Paris, Emmanuel Macron reçoit les pays qui s’engagent avec l’Ukraine. Cette semaine vient l’émir du Qatar, au cœur des discussions sur la guerre à Gaza. Au Liban, la Finul, est composée en grande partie de soldats français. Caucase, Ukraine, Mer Rouge, Liban, Gaza, Syrie, jusqu’au Pacifique, la France s’implique, davantage que d’autres.
Avant-garde d’un Occident contesté ou positionnements d’avant-guerre
Est-ce prétention d’ancienne grande puissance, avant-garde d’un Occident contesté ou positionnements d’avant-guerre ?
Fortins et réserves se bâtissent sur les lignes de crêtes. Baltes, Polonais, Allemands, Arméniens, Libanais, Egyptiens, Américains craignent un embrasement. Et si c’était vrai ?
L’Azerbaïdjan a repris le Haut Karabakh. Aliev, le maître de l’Azerbaïdjan, ne cache pas son envie d’en découdre à nouveau. Le Caucase ? Des montagnes qui séparent les steppes du nord du plateau irano-anatolien, qui prolonge aussi un Est, l’Orient, et un Ouest, l’Occident. L’éclatement de l’URSS a libéré le Caucase et l’Asie centrale. Routes et conflits sont ouverts. Kazakhstan, Turkménistan, Azerbaïdjan, se détachent de la Russie. D’autant que la guerre d’Ukraine l’a considérablement affaibli.
Tous se cherchent et cherchent de nouveaux partenaires. Ils ne veulent pas de nouvelles dépendances, craignent de nouvelles guerres, la plupart sont des dictatures plus ou moins bien contrôlées. L’Arménie, comme la Géorgie sont des îlots démocratiques, et pauvres.
La France propose des partenariats qui contrecarrent Russes et Chinois. Elle n’a pas les moyens d’être impérialiste. Comme l’Europe sera bien obligée de s’y intéresser, la France prend position.
Comme elle l’a fait en Mer rouge. L’Europe vient de lancer sa propre opération de surveillance maritime, baptisée Aspides, pour protéger les navires contre les Houthis et assurer la liberté de navigation. La France était déjà sur place. Tout en se coordonnant avec les États-Unis, elle refusait d’être sous leur commandement. Les Français ont détruit en vol plusieurs missiles Houthis, à partir des frégates Languedoc et Alsace, selon une « répartition géographique intelligente des efforts » avec les Américains.
Éviter une destruction totale du Liban
La guerre en Mer Rouge est liée à la menace iranienne, à celle du Hezbollah, à la guerre à Gaza. La France dénonce à l’avance une offensive à Rafah, fait pression sur Israël, comme les Etats-Unis, pour éviter une nouvelle guerre au Liban. Elle cherche à éviter une destruction totale du Liban. De pays riche, le Liban, miné par le Hezbollah, trahi par sa classe politique, est devenu pauvre : 80% des Libanais sont sous le seuil de pauvreté.
Le Hezbollah tire des roquettes, Israël répond. Le Hezbollah veille à ne pas aller trop loin. Le Hezbollah a déjà détruit le Liban. Il n’est qu’un bras de l’Iran, qui se préserve ainsi d’un conflit direct. Mais la guerre avec l’Iran est déjà en cours. Depuis deux ans, Israël frappe des cibles iraniennes. Le massacre du Hamas a été commandité par l’Iran. Les missiles des Houthis comme ceux du Hezbollah sont fournis et déclenchés par les Ayatollahs. Les drones et missiles iraniens sont fournis à la Russie. C’est donc eux qu’il faudrait frapper, à la tête.
Les Etats-Unis ne veulent pas d’une guerre avec l’Iran, parce qu’ils craignent d’y être entraînés. Une telle intervention les empêcherait de contrecarrer la Chine à Taiwan.
La guerre est le meilleur moyen de contrôler sa propre population, en la militarisant.
Pourtant, on voit bien l’axe se dessiner entre la Russie, l’Iran et la Chine. La guerre sera inévitable quand l’Iran jouira de l’impunité que lui donnera la possession de la bombe nucléaire. Elle la déclenchera. La guerre est le meilleur moyen de contrôler sa propre population, en la militarisant. La bombe nucléaire permet à Poutine ses audaces, à Kim Jong Un ses folies.
Le service de sécurité suédois a informé son gouvernement que les menaces venant de Russie, Chine, Iran, s’étaient aggravées. Finlande et Suède ont renoncé à leur neutralité et adhèrent à l’OTAN. France et Suède ont convenu d’un accord le mois dernier.
La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a alerté tous les services de l’Etat sur des « actions subversives » menées par les services de renseignements russes. Leur but est « d’amplifier les fractures de la société française, tous sujets confondus (réforme des retraites, conflit israélo-palestinien, dénigrement des JO 2024…), »… « voire à soutenir ouvertement les intérêts de la Russie en dénonçant la politique étrangère de la France, des États-Unis ou l’Otan ».
Exemple de déstabilisation : la peinture d’« étoiles de David » sur les murs de Paris, directement pilotée par le 5ème service du FSB. Le recrutement d’influenceurs et de relais, les opérations de propagande sur les réseaux sociaux, les attaques cyber, se multiplient.
Des opérations hybrides d’ingérence
« Depuis l’invasion de l’Ukraine, la fédération de Russie s’inscrit dans un rapport de force avec la France et ses partenaires en menant, sous le seuil de l’escalade, des opérations hybrides d’ingérence. Ces attaques concernent le ministère des Armées au premier chef », dit Sébastien Lecornu. La France a révélé ce mois-ci l’existence d’un réseau « structuré et coordonné » de sites diffusant de la propagande russe en Europe et aux Etats-Unis. Elle avait déjà dénoncé une campagne russe de désinformation, opération nommée « Doppelganger », qui visait la France et d’autres pays.
Le conflit peut être plus direct : les Russes ont menacé d’abattre un avion français, en Mer noire, alors qu’il était dans la zone internationale. La France fait partir ses missions d’observation de Roumanie, où elle a envoyé des militaires, ainsi qu’en Moldavie. Encore le prépositionnement, ligne pointillée: Roumanie, Mer Noire, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan… D’un côté l’Iran, de l’autre la Russie, devant l’Asie centrale des routes de la soie.
L’agence gouvernementale de défense contre l’ingérence numérique étrangère, Viginum, révèle une campagne d’influence de l’Azerbaïdjan « de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». L’Azerbaïdjan a aussi créé une structure baptisée « Groupe d’initiative de Bakou », formée d’indépendantistes de Guyane, Martinique, Nouvelle-Calédonie ou Guadeloupe, pour dénoncer la « politique colonialiste » de la France. Même méthode que les Russes, celles des anciens du KGB, Poutine et Gaydar Aliev (père de l’Aliev d’aujourd’hui).
Est-ce que ces méthodes fonctionnent ? Les assassinats contrarient la propagande. Selon un sondage Ipsos pour La Tribune, 41% des Français estiment que la livraison d’armes françaises doit se poursuivre. Et 21% souhaitent qu’elle augmente. 70% approuvent les sanctions imposées à la Russie.
Les Européens ont dépensé 85 milliards d’euros pour l’Ukraine, plus que les États-Unis.
Le soutien à l’Ukraine tend à se fortifier. Après le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, l’Ukraine a signé de nouveaux accords de sécurité, l’un avec le Canada, l’autre avec l’Italie.
Les Européens ont dépensé 85 milliards d’euros pour l’Ukraine, plus que les États-Unis. Une nouvelle enveloppe de 50 milliards a été débloquée, malgré la Hongrie et la Slovaquie. L’Ukraine échappe au blocus de ses exportations en Mer noire, où la flotte russe a subi des revers surprenants, impensables sans aide extérieure.
En Russie, au contraire, l’opinion vacille. Selon l’institut Chronicles, 40% des Russes souhaitent un retrait des troupes d’Ukraine, quitte à abandonner les objectifs de guerre, contre 33 %. À prendre avec précaution, tant les sondages sont incertains, surtout dans une dictature. Un fait : 20.000 Russes ont été mis en prison depuis le début de la guerre pour s’y être opposé. Les pertes militaires (tués ou blessés) sont évaluées à 315.000 hommes.
La Russie portera ses dépenses militaires à 100 milliards d’euros. Les budgets militaires européens dépassent 350 milliards.
L’extension de la guerre au cyberespace, à l’information, à la guerre électronique et à l’espace engendre des coûts multiples.
En 2024 la Russie portera ses dépenses militaires à plus de 100 milliards d’euros, le tiers du budget russe. Les budgets militaires européens cumulés dépassent 350 milliards d’euros. Allemagne et France atteignent 133 milliards d’euros. Thierry Breton, commissaire européen, a proposé un fonds de 100 milliards d’euros pour l’industrie de défense. Le G7 accroît ses pressions sur la Chine et l’Iran pour empêcher les livraisons d’armes à la Russie. Washington renforce les sanctions contre les entreprises, notamment chinoises, qui fournissent finance ou matériel aux Russes.
Toutes les guerres sont liées. À Paris, des représentants de l’Egypte, des États-Unis, de la France, du Qatar et d’Israël ont discuté d’une trêve à Gaza. Profiter de la guerre d’Ukraine pour sortir la Russie de Syrie. Obliger la Turquie à choisir entre l’Otan et le trafic avec la Russie. Et les déstabilisations africaines.
C’est pourquoi la France s’investit partout. Elle construit pas à pas un réseau. Elle entraîne les pays européens dans une prise de conscience de la nécessité d’une union fondée aussi sur une sécurité commune.
C’est le moment d’être partout. En avance.
La meilleure façon d’éviter que la guerre s’étende est de prendre des positions préalables. Former des liens, faire des alliances, renforcer ses défenses. Être à l’avant-garde de la défense de l’Europe. Aujourd’hui, n’importe quelle partie du monde est à côté de chez soi. Y compris dans l’espace. C’est le moment d’être partout. En avance. La guerre avec l’Iran est commencée, comme celle avec la Russie, ou avec l’Azerbaïdjan. Avant guerres, guerres indirectes, mais réelles.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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