La valorisation boursière d’Apple a dépassé 3000 milliards de dollars. La dette de la France a dépassé les 3000 milliards d’euros.
Jean Peyrelevade, directeur de cabinet de Pierre Mauroy, premier ministre de François Mitterrand, raconte comment Mitterrand, qui ne comprenait rien à l’économie, fut convaincu par quelques génies, comme Chevènement ou Fabius, de quitter le système monétaire européen. Pierre Mauroy, avec bon sens, soutenu par Jacques Delors, refusa. Tous ces noms rappellent le papier carbone. C’était l’époque où les Français ne pouvaient pas quitter le territoire avec plus de 2000 francs, où Claude Cheysson, autre génie oublié, bloquait les magnétoscopes japonais pour lutter contre le déficit extérieur. Pourquoi ces rappels ? Parce que si Apple a plus « changé la vie » que « l’Union de la Gauche », dont c’était le slogan, les décisions politiques gardent leur importance, et parfois, ne tiennent à rien : une influence néfaste, un biais idéologique, un homme qui dit non.
A cette époque la France, au bord de la banqueroute, prit le tournant de « la rigueur ». Une telle rigueur ne cessa jamais : la dette publique est passée de 100 milliards en 1980 à 3000 milliards aujourd’hui, de 20% à 113% du PIB.
La France sera le seul grand État européen à ne pas afficher un déficit inférieur à 3 %.
La rigueur à la française est unique en Europe. Pierre Moscovici, ancien ministre socialiste des finances, désormais Président de la Cour des Comptes, se repent et alerte : en 2026, selon ses projections, la France sera le seul grand État européen à ne pas afficher un déficit inférieur à 3 % du PIB. Bercy cherche dix milliards d’économies, la Cour des Comptes 60. Mais qui compte ?
Pendant la Covid, de 2019 à 2021, la dette de la zone euro a augmenté de 17%. Mais 19% pour la France. Puis, la zone euro a réduit sa dette de 4% de PIB. La France de 1%. Comment réduire les dépenses (un tiers sont les dépenses sociales, le record des pays de l’OCDE) entre les manifestations des retraites et émeutes urbaines, avec une majorité relative ? La Grèce a baissé sa dette de 23% en un an, le Portugal de 12 %, l’Italie de 6%, l’Espagne, de 5%.
La dette en elle-même n’a pas tant d’importance. Tout dépend à quoi elle sert. Si elle permet des investissements qui augmentent la richesse, elle est utile. Pour simplifier, si le taux de croissance (ou de rentabilité) est supérieur aux taux d’intérêt, la dette est supportable. La meilleure façon de diminuer la dette est d’augmenter la richesse globale, par la croissance. Sans croissance, pas de transition énergétique, mais une pauvreté grandissante et une paupérisation de l’Etat et des services publics.
Heureusement, une croissance nouvelle existe
Heureusement, une croissance nouvelle existe. Hélas, l’Europe en général et la France en particulier, l’ont ratée. Dans les vingt premières entreprises mondiales, les Européens n’en placent qu’une ou deux (Volkswagen ou Louis Vuitton), aucune dans l’économie digitale. Les Européens ne sont pas dans la course de la nouvelle économie, que ce soit l’intelligence artificielle, les datas, etc.). Mais nous faisons des règles.
Cela explique en grande partie l’écart constant de croissance entre les États-Unis et l’Europe depuis plus de vingt ans (le double en rythme moyen annuel). A la fin, écarts de richesse, de salaire, d’influence, de puissance…
La bureaucratisation de la société tout entière, de l’école à la médecine
Dans le groupe européen, l’Allemagne, les Pays-Bas et quelques autres, relèvent la moyenne, alors que la France l’abaisse. La contre-performance française n’est pas due à l’euro, aux directives européennes, à l’immigration, tous les pays y sont soumis. Ce qui caractérise la France, c’est le volume des dépenses publiques, des impôts, la part de l’administration, la bureaucratisation de la société tout entière, de l’école à la médecine en passant par l’artisanat, la banque ou le logement. Cela n’est pas sans conséquences sur la vie des Français, cela n’est pas sans conséquences non plus sur l’avenir du monde.
L’adhésion de l’Ukraine et des pays des Balkans à l’Union Européenne serait la fin de celle-ci
Edouard Balladur a publié une note sur la France et l’Europe. Il rappelle que certains prévisionnistes placent la France en 2100, par la richesse produite, à la 25e place mondiale. « Une France aussi affaiblie pourrait-elle prétendre maintenir son indépendance militaire et diplomatique ? ». Sa note remet en question le fonctionnement actuel de l’Europe et réclame clarification des compétences et suspension de tout élargissement, contrairement à ce propose le Parlement, Macron et Scholz.
L’adhésion de l’Ukraine et des pays des Balkans à l’Union Européenne serait la fin de celle-ci. Aussi bien d’un point de vue budgétaire que d’un point de vue politique. Le déséquilibre interne serait accentué, la dérive technocratique amplifiée, le poids des États-Unis amplifié, le blocage des décisions facilité. L’incompréhension, voire le rejet du projet européen gagne les peuples. L’esprit européen, celui des démocraties fondatrices originelles, n’est pas partagé.
La seule voie pour l’Union européenne serait de revenir à la « théorie des cercles », à partir d’un noyau, qui doit être reconstitué. Ce qui suppose, d’une part que la France mette fin à ses dérives fatales, d’autre part que l’Allemagne revienne à une alliance avec la France à long terme, ce que ne démontre ni son attitude sur le nucléaire, ni sur les industries de défense. Elle agit comme si la garantie financière qu’elle apportait à la France devait contenter celle-ci, en matière de solidarité. Il est vrai que sans l’euro, c’est-à-dire la garantie allemande, les taux d’intérêt français ne seraient pas les mêmes.
Des accords de coopération sur le quantique, l’hydrogène, le photovoltaïque, les neurosciences
Symptomatique reste donc le report, en raison des émeutes urbaines, symptômes d’une profonde maladie, de la visite d’Etat que Macron devait faire en Allemagne. La première depuis Chirac. La France malade retarde toute audace, c’est à dire toute guérison, tout espoir. On peut se passer de la pompe des visites d’Etat, et des symboles. Mais il n’y avait pas que cela : étaient prévus des accords de coopération sur le quantique, l’hydrogène, le photovoltaïque, les neurosciences. Là est l’avenir, là est la révolution du XXIème siècle.
Que ce soit pour la transition énergétique, la sécurité de l’Europe, l’économie digitale, il faut une autre politique européenne, donc une autre dynamique franco-allemande. A défaut, inutile de parler de souveraineté stratégique, que ce soit pour la France, pour l’Allemagne, ou pour l’Europe.
L’Apple de demain peut être européen, les 3000 milliards peuvent se rembourser avec une nouvelle croissance, ce qui suppose aussi une nouvelle façon de dépenser, de diriger, de travailler, d’administrer, d’éduquer…
Tous les dirigeants devraient prendre le temps de s’expatrier quelque temps
Pour cela, faire preuve de modestie. Dans quel pays le système éducatif serait le plus performant : Finlande, Corée ? ; dans quel pays la justice la plus fiable : Suède ? ; la police la mieux respectée : Japon ? ; la délinquance la plus faible : Islande, Danemark ? ; le développement économique le plus spectaculaire : Irlande ?, le redressement des finances le plus rapide : Nouvelle-Zélande, Canada ? ; le système social le plus juste et le plus équilibré : Pays-Bas, Danemark ? ; les nouvelles technologies les plus développées : Israël ? ; l’immigration la mieux intégrée : Suisse encore ? L’industrie la plus moderne : Corée ? ; la transition écologique la plus innovante : Australie ? L’administration la moins bureaucratique : Estonie ? Enfin, et surtout, la clef, la démocratie la plus vivante : Suisse, Islande, Pays-Bas, Norvège ?
Parce que l’on fait fausse route sur un modèle français qui devient un contre-modèle, avec ses policiers qui tirent et ses voitures qui flambent, il est temps de changer. Il n’est jamais trop tard. Encore faut-il commencer. Regarder ailleurs, plus loin. Sortir de chez soi : tous les dirigeants devraient prendre le temps de s’expatrier quelque temps.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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