Face à l’autodestruction du monde musulman

Face à l’autodestruction du monde musulman

A Paris, cette semaine, s’ouvre le procès des attentats de novembre 2015 qui avaient fait 131 morts. Il durera huit mois. Vingt accusés, six absents -la plupart sont considérés comme morts-, un seul membre des commandos suicides est devant le tribunal. Qu’est ce qui a changé depuis les attentats ? Une réaction anti-islamiste. 

A Kaboul déserté par les Américains, la semaine dernière, les attentats affichent une guerre interne entre Talibans et Etat Islamique. Les Américains ont riposté face l’Etat islamique (EI), à la grande satisfaction des Talibans. On retrouve la même division entre groupes djihadistes au Sahel. L’Afghanistan était déjà en 2020 le pays qui recensait le plus de victimes du terrorisme : 5725. Devant le Nigéria et le Burkina Faso, en proie à plusieurs groupes rivaux. La carte des attentats terroristes suit les guerres civiles du monde musulman du Sahara à la Birmanie, reflet d’un mal profond, fondamental.

Quel pays musulman est en paix ? Même le paisible Maroc voit l’Algérie rompre ses relations diplomatiques avec lui. Entre le Maroc et l’Algérie, plus que les feux de forêt, prétexte loufoque invoqué par le gouvernement algérien, il y a la révolte menaçante du peuple algérien contre ses dirigeants et le réveil kabyle.

Quel pays musulman est en paix ?  

Il y a aussi le gaz, que les Algériens veulent vendre directement au Espagnols, en froid avec le Maroc, par le gazoduc Medgaz, sans que les Marocains prennent leur obole au passage. 

Ici les Peuls alimentent les combattants d’Ansar al Islam contre l’Etat Islamique du Grand Sahara. Là le régime de Bachar s’appuie sur les Alaouites. Le Liban meurt de l’étranglement progressif du Hezbollah, le Hamas essaie de juguler les milices, l’Autorité palestinienne se meurt dans la succession annoncée de Mahmoud Abbas, Israël bombarde régulièrement les bases des Gardiens de la Révolution en Syrie, le Yémen n’en finit pas de sa guerre.

La victoire des Talibans serait un succès pour le Qatar, et donc du vaste cercle des Frères Musulmans. Le Président tunisien a mis en congé le Parlement où régnait Ennahdha, et dénonce les bases turques en Lybie. En Egypte, le maréchal Sissi maintient les Frères en prison. En Arabie, MBS accélère le rapprochement avec Israël mais discute avec l’Iran à Bagdad, résultat des hésitations américaines.

Une crise perpétuelle de légitimité du pouvoir  

Seul Oman reste paisible et rouvre, malgré la crise de la Covid, ses frontières aux touristes ce 1er septembre. Est-ce parce que,  ni sunnite ni chiite, il n’entre pas dans cette confrontation séculaire qui explique bien des conflits ? Depuis la mort d’Ali, l’Islam n’est-il pas en crise perpétuelle de légitimité du pouvoir ?

De quel droit règne le Maréchal Sissi ? Quelle est la légitimité de Mohamad Ben Salman, prince héritier ayant évincé le prince héritier ? Quelle est, d’ailleurs, la légitimité des Saoud, qui ont chassé les Chérifs de la Mecque ? Le dernier prince de cette famille règne en Jordanie et conserve par un lignage qui remonterait au Prophète, comme le roi du Maroc, une légitimité relativement incontestée. C’est rare.

Dans le monde musulman, tous les dirigeants savent que leur pouvoir ne repose que sur la force, la violence, l’achat des soutiens. Même Erdogan a choisi de se comporter en satrape plutôt qu’en démocrate. 

Au moment de l’invasion de l’Afghanistan, l’Occident, soutenu par les régimes arabes, menait la lutte contre un projet islamiste de conquête du monde musulman. Les groupes terroristes pariaient sur une révolte des Musulmans, un effondrement des régimes, le retrait de l’Occident. Vingt ans après, malgré le retour des Talibans, leur projet a échoué. Aucun Califat n’est apparu. Israël parait plus fort que jamais. L’Occident se retire plus par désintérêt que par obligation. L’Amérique est devenue exportatrice de pétrole. Les pays arabes comptent de moins en moins sur la surface du globe.

Le choc de la modernité

A l’absence fondamentale de légitimité s’ajoute le choc de la modernité. 

La première modernité, celle des Lumières, de la révolution industrielle, provoqua l’occupation du monde musulman par les puissances européennes. Elles imposèrent par les massacres et les humiliations, les écoles, les routes, la médecine, l’abolition de l’esclavage… Les mouvements nationalistes arabes s’en inspirèrent à la fois pour chasser les intrus et combattre l’obscurantisme religieux. Le nationalisme arabe a pourtant fait long feu. 

La seconde modernité, celle de la révolution digitale, met le monde musulman sur la touche. Qu’exporte-il, à part du pétrole et du gaz ? Impasse culturelle, déclin financier, sujétion commerciale, désastre politique. 

Le refus de la modernité est le signe commun de la plupart des régimes et de leurs opposants. Quelques exceptions se retrouvent dans une nouvelle alliance avec Israël, start-up nation qui, du Maroc à Bahreïn vend sa technologie, ses conseils et ses informations. 

C’est aussi parce que le Maroc se rapproche d’Israël que l’Algérie suffoque, moins sous les feux de ses forêts que sous l’angoisse d’être supplantée par son voisin.

Dans ce chaos tragique, qui touche l’Occident par ricochet, la France s’écartèle entre ses intérêts, ses alliances, son héritage et ses valeurs. Tous sont contradictoires. C’est le monde qui l’est. D’un coté hausser le ton face aux Talibans, -exiger le respect des droits de l’homme et des femmes- pour qu’ils puissent prétendre à une reconnaissance officielle. De l’autre, discuter directement avec eux. En même temps. Il faut défendre les Chrétiens d’Orient à Notre Dame de l’heure, et visiter le sanctuaire chiite d’Al-Kadhimiya. Maintenir 600 soldats français contre Daesh, ne pas oublier les intérêts commerciaux avec l’ami saoudien, conforter l’autre ami Qatari, tendre la main à l’Iran nucléaire tout en durcissant le ton : bref, la routine de l’Orient compliqué. Souvent cela ne mène à rien.

La France essaie de jouer un rôle, elle devrait être soutenue. 

Emmanuel Macron coprésidait en Irak une conférence internationale. On peut s’enorgueillir de la parole de la France, ou se moquer de l’impuissance française. Face au retrait américain, elle ouvre la voie à une autre politique occidentale,  possible et nécessaire. Cette voie, les Européens, s’ils existent, devraient la suivre. Sinon, ils subiront toujours les décisions américaines, turques, russes, pakistanaises, voire le prêche de tel inspiré dans une mosquée libanaise ou malienne.

L’autodestruction du monde musulman n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe. Le retrait américain non plus. Ils obligent les Européens, comme l’ont enfin déclaré certains dirigeants allemands, à penser l’Europe comme un acteur stratégique indispensable. A la France de montrer la voie. C’est Paris qui fut frappé, en premier.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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