États-Unis : un tigre de papier ?

États-Unis : un tigre de papier ?

En 2024, les États-Unis ont enregistré une croissance de 2,8 % de leur PIB, soit plus de trois fois celle de la zone euro (0,8 %). Depuis une vingtaine d’années, l’écart de productivité de part et d’autre de l’Atlantique est important (respectivement +45 % et +10 %). Depuis 2017, la productivité par tête tend à diminuer en zone euro, tandis qu’elle poursuit sa progression aux États-Unis. Les résultats américains reposent sur un effort important d’investissement et d’innovation. Mais également sur une augmentation de la population active et sur un afflux de capitaux.

La première puissance économique mondiale n’est pas sans faiblesses. Le déficit public élevé, la dépendance au secteur de l’information et de la communication, la piètre qualité des infrastructures et le niveau moyen du système de formation pourraient peser sur la croissance. Tout comme le protectionnisme. Au moment où Donald Trump entend promouvoir une Amérique plus grande, force est de constater qu’elle pourrait être confrontée à de sérieux problèmes à l’avenir.

Économie américaine : des atouts indéniables

Depuis 2002, le PIB s’est accru de 65 % aux États-Unis, contre 30 % pour la zone euro, donnant un avantage aux premiers sur les seconds. Les dépenses totales de recherche et développement s’élevaient en 2024 à 3,8 % du PIB aux États-Unis, 2,5 % en Chine et seulement 2,2 % en zone euro.

Toujours en 2024, les investissements dans les technologies de l’information et de la communication représentaient 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,4 % en zone euro. En 2024, les fonds levés en capital-risque (venture capital) ont atteint 250 milliards de dollars aux États-Unis, 110 milliards de dollars en Chine et 22 milliards de dollars en Europe. La profondeur du marché financier américain constitue un réel atout. Le marché américain attire les capitaux du monde entier et en premier lieu d’Europe. Les États-Unis peuvent compter sur la force du dollar pour attirer les capitaux et financer leurs déficits. La monnaie américaine est de loin la première au niveau mondial. La moitié des échanges internationaux sont réalisés en dollars. Ce dernier constitue 60 % des réserves de change, contre 22 % pour l’euro.

Un système de formation médiocre, un fort mouvement de désindustrialisation

Si les États-Unis attirent les talents de la planète entière, le niveau de formation des actifs y est médiocre. L’enquête PIAAC sur les compétences des adultes, réalisée en 2023 et dont les résultats ont été publiés à la fin de 2024, place les États-Unis en fin de peloton, derrière la France. L’économie américaine est dépendante de l’immigration. Tant pour les emplois à faible qualification que pour ceux exigeant un niveau de compétences élevé. La proportion d’habitants nés à l’étranger est passée de 10 % à 14,5 % de la population totale entre 2007 et 2024.

Les États-Unis sont sur une trajectoire de désindustrialisation comparable à celle de la France. La valeur ajoutée manufacturière est passée de 12 % du PIB en 2007 à 10,3 % du PIB en 2024. La balance commerciale des biens et services est en déficit de plus de 700 milliards de dollars. Les entreprises américaines, notamment celles de la haute technologie, ont fait le choix de délocaliser leur production. La conception des produits, le marketing et la communication restent américains, mais la production est étrangère. Les entreprises ont opté pour un éclatement de leurs chaînes de production et ont optimisé leur situation fiscale, avec à la clé un fort déficit commercial.

Une explosion de la dette extérieure

La dette extérieure nette des États-Unis est passée de 10 % à 80 % du PIB entre 2006 et 2024. Le cumul d’un déficit public élevé, supérieur à 6 % du PIB en 2024, et d’un déficit commercial impose aux États-Unis d’attirer des capitaux étrangers, d’autant plus que l’effort d’épargne des ménages y est faible (inférieur à 10 % du revenu disponible brut, contre 18 % en France).

Cette dépendance à l’extérieur constitue une faiblesse en cas de moindre attractivité des États-Unis. L’engagement d’une guerre commerciale pourrait inciter les acteurs économiques internationaux à se détourner du pays. Donald Trump pense l’inverse, estimant que les entreprises étrangères, pour conserver leurs parts de marché, investiront aux États-Unis.

Risque financier : La survalorisation des entreprises liées à l’intelligence artificielle pourrait entraîner un krach.  

Les indices boursiers américains ont progressé très rapidement ces dernières années, en lien avec la hausse de la valorisation des actions et le niveau élevé de la profitabilité des entreprises. Depuis 2002, l’indice Nasdaq Composite a été multiplié par dix et le S&P 500 par cinq. Le Price Earning Ratio (PER) était de 25 fin 2024 pour le S&P 500, contre 15 pour l’Eurostoxx (indice européen). Les profits des sociétés non financières après impôts et intérêts représentaient, fin 2024, 16 % du PIB aux États-Unis, contre 12 % en zone euro.

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La survalorisation des entreprises liées à l’intelligence artificielle pourrait entraîner un krach. Un ajustement des cours en fonction des bénéfices à venir pourrait entraîner des répercussions sur l’ensemble de la place financière américaine. Or, celle-ci impose son rythme à l’économie du pays. Une chute rapide du cours des actions pourrait amener les ménages à réduire leur consommation et les entreprises à freiner leurs investissements.

Un problème d’emplois : 14 % des Américains sont médicalement inaptes à travailler.

Les États-Unis risquent d’être confrontés à des pénuries de main-d’œuvre en raison de la réduction de l’immigration illégale. Ils pourraient améliorer leur taux d’emploi, qui est, avec celui de la France (68 %), l’un des plus faibles de l’OCDE (72 % contre 78 % en Allemagne, 80 % au Japon et 82 % aux Pays-Bas). Ce mauvais résultat américain s’explique par la faible qualification d’une partie des actifs. Avec un nombre non négligeable n’étant pas insérable sur le marché du travail. Les problèmes de santé expliquent aussi ce mauvais résultat. En effet, 14 % des Américains sont médicalement inaptes à travailler. 29 % des adultes ont une forme d’invalidité. Et la drogue ainsi que l’obésité sont responsables de nombreux retraits du monde du travail.

Une société inégalitaire, de plus en plus fragmentée, tant idéologiquement que socialement.

Le système de santé est de plus en plus inégalitaire : 25 % des Américains n’ont pas de médecin attitré, et plus d’un quart n’ont pas consulté un médecin depuis plus d’un an en raison du coût des soins. La société américaine est de plus en plus fragmentée, tant idéologiquement que socialement. La concentration des richesses est en forte croissance. En 2024, les 1 % des ménages les plus aisés possédaient 36 % du patrimoine national, contre 31 % en 2002. En 2023, le taux de pauvreté atteignait 25,8 %, contre 14 % en France.

L’espérance de vie est en baisse : depuis 2019, elle a chuté de près de trois ans. Cette diminution est imputable à des difficultés d’accès aux soins et à l’augmentation des morts violentes (armes à feu et drogues).

Les infrastructures de transport, les réseaux électriques, l’adduction d’eau et les bâtiments scolaires sont en mauvais état aux États-Unis. Ce qui a justifié la mise en place de l’Infrastructure Investment and Jobs Act en 2021. Par exemple, 45 000 ponts et 20 % des routes sont fortement dégradés, et 17 % des Américains n’ont pas accès à Internet.

Le retour du protectionnisme

Les États-Unis ont une tradition protectionniste. Au cours du XIXe siècle, les gouvernements ont eu recours à des mesures de protection de leur industrie. Donald Trump entend réduire le déficit commercial en obligeant les partenaires des États-Unis à acheter des produits américains ou à produire sur place. Les mesures protectionnistes, si elles sont appliquées, devraient accroître l’inflation. Mais aussi diminuer le pouvoir d’achat des ménages et ralentir la diffusion du progrès technique. Sous Jimmy Carter et Ronald Reagan, l’instauration de droits de douane sur les produits sidérurgiques japonais et européens n’avait pas permis de sauvegarder les emplois. Elle avait au contraire rendu l’industrie automobile américaine moins compétitive.

En dépit de performances économiques remarquables, telles qu’une croissance du PIB de 2,8 % en 2024, les États-Unis se trouvent à la croisée des chemins. Les investissements soutenus en recherche et développement, ainsi que l’afflux de capitaux internationaux, ont consolidé leur position de leader mondial. Cependant, des vulnérabilités structurelles subsistent. Un déficit public préoccupant, une dépendance accrue au secteur technologique, des infrastructures vieillissantes et un système éducatif perfectible. Si elles ne sont pas corrigées, ces faiblesses pourraient entraver la trajectoire de croissance future. À l’heure où le protectionnisme refait surface, il est impératif pour les États-Unis de concilier dynamisme économique et résilience structurelle. Le but étant de préserver leur compétitivité sur la scène internationale.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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