Les émeutes qui ont suivi la mort d’un jeune de 17 ans tué par un policier ont conforté bien des préjugés contradictoires, en France comme à l’étranger, du racisme décolonial à la guerre civile inéluctable. La jeunesse issue de l’immigration (selon le ministère, un tiers des émeutiers seraient mineurs), ostracisée parce que discriminée, victime de violences policières, ou encore violente parce qu’inassimilable, inintégrable, serait hostile à la République, que ce soit de la faute de la France ou de la sienne. Peu importe que Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, dise que 90% des délinquants sont français : « La question, aujourd’hui, ce sont les jeunes délinquants, pas les étrangers », les journalistes britanniques, le pouvoir turc, iranien ou algérien, azéri, dont les polices sont si tendres avec les jeunes, expliquent, comme les « wokistes » ou l’ultradroite, que ce sont les revers de la colonisation, la revanche des colonisés, l’échec de l’universalisme français. Et l’ONU s’inquiète.
Cette jeunesse abandonnée vivrait dans des quartiers perdus de la République, malgré les milliards déversés en 14 plans banlieue et des dépenses sociales toujours plus élevées, record mondial.
Faut-il expliquer à l’ONU dans quels pays la police tue-t-elle le plus ?
Les incidents ont commencé à Nanterre, municipalité communiste depuis toujours, dans la Cité « Pablo Picasso », avec ses immeubles « Nuages », nec plus ultra des années 80, en cours de rénovation (250 millions), entourés d’espaces verts, face au parc André Malraux de 25 hectares, à 700 mètres du CNIT de la Défense, proche de stades, métros, commerces… avec un éco-quartier moderne, des entreprises, un nouveau théâtre, etc. Le prix moyen du m2 y est de 5800€. En aucun cas, Nanterre est une cité abandonnée. Rien dans les quartiers nord de Marseille (c’est rue de Rome que descendent les casseurs), ni à Nantes ou dans l’est parisien. A Montargis, Loiret, petite ville sans histoire, 60 commerces ont été pillés. Montargis, ghetto immigré ?
En quoi la situation de la France diffère-t-elle des autres pays ? Faut-il expliquer à l’ONU dans quels pays la police tue-t-elle le plus ? Les records de personnes tuées par la police par million d’habitants sont au Venezuela (182), au Salvador (181), au Nicaragua (52), tous pays d’émigration. Pays où le nombre d’homicides dépasse la centaine par million d’habitants. Plus la société est violente, plus la police tue. Souvent sans discernement.
Parmi les pays les plus riches, comparables à la France, le record de criminalité revient aux Etats-Unis : 68 homicides par million d’habitants, 11 en France. Six fois plus. 3 morts tués par la police par million d’habitants aux Etats-Unis, 0.5 en France. Encore six fois plus. Presque quatre fois moins qu’au Canada (1.8). L’ONU s’inquiète-t-elle pour le Canada ?
La France est un pays plus violent que les autres pays européens, mais les pays européens sont les moins violents du monde
C’est vrai : la France est le pays d’Europe où la police tue le plus. Belgique 0.4 ; Allemagne et Pays-Bas, 0.2, Royaume-Uni, 0.05, Japon, 0.02. Elle est aussi un des pays européens où le nombre d’homicides par habitant est le plus élevé, même s’il reste faible par rapport aux pays hors d’Europe : 11 homicides par million, 10 au Royaume-Uni, en Belgique ou en Suède, 8 en Allemagne ; 4 en Suisse. La France est donc un pays plus violent que les autres pays européens, mais les pays européens sont les moins violents du monde, à l’exception du Japon.
L’explication par la violence de la société, ou par la violence policière sont donc biaisées. L’explication par l’immigration est aussi fausse, puisque l’Europe, continent d’immigration, est l’espace le moins violent du monde.
Il y a proportionnellement moins d’immigrés en France, de population issue de l’immigration, qu’en Suisse, Allemagne ou Royaume-Uni. La Suisse a 25% d’étrangers, 50% de binationaux. L’Allemagne a 20% d’étrangers. Et partout des banlieues.
Les analyses qui portent sur une population « inassimilable » ou « inassimilée », par sa faute ou celle de la France sont partiales, ou idéologiques.
Qu’en est-il du lien entre immigration et délinquance ? Selon le ministère de la Justice, en 2022, les étrangers représentaient 40% des mis en cause, 16% des condamnés, dont plus de 99% pour des délits (comme le travail clandestin, le vol, la contrefaçon) et non pour des crimes, qui caractérisent les actes violents. Ils sont surreprésentés dans les arrestations, puisqu’une bonne partie d’entre eux vivent de façon illégale et sont pris en main par des réseaux criminels.
Tant que l’immigration dite illégale, sera, de fait, légale, puisque les expulsions ne sont pas suivies d’effet (8%), tant que les demandeurs d’asile n’auront pas le droit de travailler, alors beaucoup resteront dans l’illégalité. Il n’y aurait pas 24 000 morts en Méditerranée si ceux qui prenaient ce risque n’avaient l’assurance, une fois posé le pied sur un territoire européen, de pouvoir y rester. Il y a une aberration à faire en sorte que l’illégalité soit légale, à engendrer l’espérance au prix de la vie, à construire des murs meurtriers les plus élevés possibles, au bénéfice de passeurs criminels, puis à laisser ceux qui les franchissent dans le non droit légal.
8 000 à 12 000 casseurs sur 2 millions de jeunes : ni une révolte ni une révolution, pas même une revendication.
Ce que révèlent les émeutes, c’est moins le racisme, la violence sociale, les effets de discours radicaux, que la victimisation de chacun. La transformation d’un fait divers en fait social, appuyée sur une théorie de victimisation est aussi une théorie de la déresponsabilisation. 8 000 à 12 000 casseurs (selon le ministère de l’Intérieur), sur 2 millions de jeunes de moins de 24 ans (selon l’Insee) qui vivent dans les quartiers de la « politique de la ville », ne font pas ni une révolte ni une révolution, pas même une revendication.
« Femmes », « mâles », « jeunes », « blancs », « racisés », « immigrés », « Français de souche », « Français de papier », sont devenues des catégories idéologisées, marquées, des enfermements, des insultes ou des catégories héroïsées parce que victimes.
Rien n’est déterminé, ni par les conditions sociales, ni par les origines, ni par les gênes. Influences, chances ou obstacles, elles ne disent pas qui deviendra flic ou voyou. Les descendants d’immigrés sont plus nombreux dans la police et l’armée que les Français de parents français. Aiment-ils plus l’ordre ? 10% des immigrés sont chefs d’entreprise contre 8% des Français. Sont-ils plus entreprenants, plus capitalistes ?
Piller un supermarché, brûler des voitures, tirer sur des appartements au mortier, détruire des écoles, incendier des poubelles, des bibliothèques, des théâtres, des cinémas, serait « légitime », parce que les jeunes seraient « à bout. » A bout parce que victimes, « racisés ». Ce qui donnerait raison aux racistes : inassimilables. Et les autres ? Les millions de militaires, de professeurs, d’infirmiers, médecins, policiers, commerçants : inassimilés, vraiment ?
Ce qu’on appelle effondrement de l’autorité est plutôt un effondrement de la confiance dans les institutions de l’Etat
Fausses raisons. Si les pays européens sont les plus tranquilles du monde, c’est en raison de leurs systèmes politiques. Les lois y sont respectées parce que les citoyens font plus confiance à la justice et à la police qu’ailleurs. Dans les pays violents, ni justice, ni police ne sont fiables. Systèmes aussi autoritaires que corrompus. Ce qu’on appelle effondrement de l’autorité est plutôt un effondrement de la confiance dans les institutions de l’Etat. 45 000 policiers mobilisés pour 8 000 casseurs ?
Les démocraties sont des régimes où la violence est structurellement faible. Les émeutes en France sont donc le signe d’un déficit démocratique. Ce n’est pas un hasard si depuis des années le système judiciaire français est si mal classé en Europe, si le système éducatif est tombé des premières places aux dernières.
Cette violence, qu’on a déjà vue avec les Gilets jaunes, n’est pas un problème de banlieue ou d’immigration. C’est un problème de confiance, un problème de fonctionnement de l’Etat. De formation de la police, d’éducation nationale, de modèle social, d’emprise des voyous dans les quartiers : la violence rapporte, d’autant qu’on l’excuse. Chacun prend ce qu’il peut prendre. Ce n’est pas une révolte, c’est carnaval : un moment où tout semble permis.
Chacun a tendance à se victimiser, à gratter son traumatisme identitaire, « Français de souche » ou de deuxième génération.
Chacun a tendance à se victimiser, à gratter son traumatisme identitaire, Français de souche ou de deuxième génération, à se réfugier derrière la faute ou le mépris de l’autre. Chacun se fait juge de l’autre, du regard de l’autre sur soi, pour s’exonérer de sa propre action, de sa propre insuffisance.
Il n’y a pas à juger les autres. Plutôt à juger le jugement sur les autres. Juger les actes, les actes seulement. Un flic qui tue va en prison pour être jugé. Un pilleur, un incendiaire est un délinquant, pas même un émeutier. Le reste est prétexte au déchaînement de meutes diverses : dans la rue, à la télé, dans les salons.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
Laisser un commentaire