Economies de guerre, guerres économiques

Economies de guerre, guerres économiques

Tandis que le Donbass est labouré d’obus, à Lugano, une conférence internationale de 40 pays défriche les voies de la reconstruction. 750 milliards et l’Ukraine se rêve en pays numérique, start-up nation renaissante après la guerre et la cyberguerre. A Moscou, Poutine annonce que l’on n’a encore rien vu. Il plastronne : les recettes de pétrole et d’hydrocarbure battent des records, l’augmentation des cours compense les embargos, en grande partie détournés par les achats chinois et indiens. Le rouble s’envole. C’est un leurre : le taux d’intérêt aussi. La production de voiture s’est effondrée. Les recettes fiscales hors hydrocarbures plongent, ce qui traduit la panne économique. Poutine, en urgence, a fait voter une loi à la Douma mettant en place une « économie de guerre » : réquisition des entreprises, des produits et des salariés avec, forcément, les contrôles et les répressions qui vont avec. Sept ans de prison pour un élu municipal qui s’est exprimé contre la guerre. 

Certains pays sont déjà sur la liste des prochaines émeutes.

En Indonésie, les ministres du G20 esquissent des pas de deux entre cris de guerre et chuchotements. Lavrov déserte, il gêne même ses amis de plus en plus discrets. Les « neutres », comme l’Indonésie, l’Afrique du sud, l’Inde et bien d’autres, ne veulent pas faire les frais de la guerre. D’autres voient des opportunités, surtout les pays producteurs de gaz et de pétrole. Les Occidentaux rappellent qu’ils restent le premier donneur d’ordre mondial. 

Certains pays sont déjà sur la liste des prochaines émeutes. Sri Lanka, Laos, Equateur. L’inflation atteint 70% en Turquie. Erdogan peut faire valoir que les Suédois et les Finlandais vont abandonner le PKK, il a dû accepter leur entrée dans l’Otan : il n’a pas les moyens de contrarier les Américains. Il s’est réconcilié avec l’Arabie saoudite, virage spectaculaire, non parce qu’il a oublié que Kashoggi avait été découpé chez lui, comme Biden, Biden aussi l’oublie, mais parce qu’il n’a plus les moyens de son ambition : devenir, contre les Saoudiens, le leader du monde arabe sunnite, appuyé par les Frères musulmans.

A chaque bruit de canon, le dollar s’apprécie. L’euro est descendu à parité.

En Chine, après le traumatisme du confinement, le sacre de Xi Jinping toussote. Les Etats-Unis ont amené les Européens à resserrer les rangs derrière eux, à considérer la Chine comme un danger. Les entreprises chinoises, inquiètes de sanctions possibles, soit par les autorités chinoises qui se raidissent, soit de la part des Occidentaux, pensent s’installer ailleurs : Vietnam, Japon, Corée. Le ralentissement de l’économie chinoise et le poids de la dette inquiètent. Si la Chine est de cœur avec l’ami russe, elle ne s’engage pas plus loin qu’en achetant son pétrole au rabais. Un pays n’a pas de cœur, que des intérêts. 

A chaque bruit de canon, le dollar s’apprécie. L’euro est descendu à parité. L’économie américaine est en surchauffe, l’européenne souffre. Pour la première fois, le commerce extérieur allemand a été négatif le mois dernier. Celui de la France continue de plonger. La position extérieure de la France dévisse : -30% du Pib. La situation de l’Italie inquiète plus encore. 

La faiblesse de notre gestion engendre un surcoût qui se répercute sur le pouvoir d’achat.

Le ministre de l’économie alerte que la France a atteint la ligne rouge des déficits et de la dette ; en même temps, le gouvernement annonce une loi pour le pouvoir d’achat de 20 milliards de dépenses nouvelles. Tous les groupes de l’assemblée y vont de leur proposition pour dépenser un peu plus. 

Ne vient-il à l’idée de personne que la variation du dollar dépasse les chèques carburants ? La faiblesse de notre gestion économique et financière engendre un surcoût -taux d’intérêt, cours de l’euro- qui se répercute directement sur le pouvoir d’achat. Celui-ci n’est que le résultat final de la performance de « l’entreprise France ». Et celle-ci est sous le feu. L’augmentation de 2% des taux d’intérêt français en quelques mois représente, à terme, 17 milliards d’euros… les montants de la loi sur le pouvoir d’achat.

On parle souvent de guerre économique pour illustrer la compétition internationale, à tort. La concurrence est un système de différenciation, d’innovations, source de performance, c’est à dire d’économies : de meilleurs produits à moindre coûts permettent de dépenser ou d’investir ailleurs.

Les soldats n’ont pas le monopole de la guerre. Le champ de bataille est partout. 

La guerre économique, c’est rejeter la concurrence (monopoles étatiques), refuser l’échange (blocus), déstabiliser les circuits de distribution (comme l’approvisionnement en céréales ou en engrais), multiplier les contrefaçons, gangrener les réseaux informatiques, déstabiliser les monnaies, fragiliser les systèmes bancaires, etc.

« Les soldats n’ont pas le monopole de la guerre. Le champ de bataille est partout. Il n’est rien au monde qui ne puisse devenir une arme. Un seul krach boursier, une seule invasion par un virus informatique, une simple rumeur ou un scandale provoquant une fluctuation du taux de change du pays ennemi ou exposant les dirigeants d’un pays sur Internet, toutes ces actions peuvent être rangées dans la catégorie des armements de conception nouvelle sur Internet. » voilà ce à quoi se préparaient les théoriciens chinois en… 1998.

Le but n’est pas le gain commercial mais la destruction et le désordre.

Aujourd’hui nous y sommes.  L’Europe rejette le pétrole russe, la Russie bloque le pétrole du Kazakhstan, allié défaillant. Le dollar chasse le yuan qui voulait s’introduire en Arabie et en Afrique. 

Le but n’est pas l’harmonie, ou le gain commercial, (ce qu’auparavant on appelait « guerre économique » mais qui n’était que conquête de marchés) mais la destruction et le désordre. Désorganiser le commerce en Afrique, les flux maritimes, les marchés d’hydrocarbures. Ce n’est pas si facile, mais c’est possible. Bien sûr, tout le monde veut revenir dans le lit de la rivière, tout le monde essaie de remettre en place les circuits ou d’en inventer de nouveaux. La plupart préfèrent la paix, mais la guerre est là. Dans la bataille de l’énergie, l’Europe rêve d’indépendance et achète du gaz de schiste américain. On interdit l’exploitation mais on l’achète. On dénonce le charbon mais on rouvre les centrales. On baptise le gaz « énergie durable », et le nucléaire, heureusement, redémarre, un peu tard : l’économie de guerre impose son réalisme et dépasse les contradictions. Ce n’est qu’un début. 

« L’assaillant mobilisera secrètement une masse de capitaux et lancera une attaque surprise contre ses marchés financiers. Après avoir provoqué une crise financière, il opérera une attaque de ses réseaux grâce à des virus informatiques. Il provoquera l’effondrement du réseau électrique, du réseau de régulation des transports, du réseau de transaction boursière, des réseaux de télécommunication, déclenchant une panique sociale, des troubles civils et une crise gouvernementale ».

Sommes-nous prêts ? Sommes-nous prêts à nous préparer ? 

Se créent de nouveaux circuits, ou plutôt de nouveaux détours, de nouveaux modes économiques, qui seront violents. Ne pas se préparer à ces conflits, faire croire que le pouvoir d’achat dépend des députés ou du gouvernement, c’est se préparer à souffrir plus que d’autres de la guerre économique, c’est construire sa dépendance, sa pauvreté. 

Le gouvernement n’est pas maître du pouvoir d’achat. Il ne peut que mettre en place le meilleur système, toujours imparfait, toujours provisoire, de création de richesses. Mais il est le seul à pouvoir aussi mettre en place les conditions de résistance aux perturbations de la guerre économique. S’il devait y avoir une loi d’urgence, sans imiter celle de la Douma, ce pourrait être une loi de « guerre économique », une loi de résilience qui permettrait de renforcer les entreprises, stabiliser les finances de l’Etat, rééquilibrer la position extérieure de la France. 

« La frontière qui sépare les militaires des non militaires est abolie. Le fossé qui sépare la guerre de la non guerre est presque comblé. » Sommes-nous prêts ? Sommes-nous prêts à nous préparer ?

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati  

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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1 Comments

  1. Sympa super article vraiment, merci pour cette belle découverte 🙂 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Mood-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 🙂

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