Depuis deux ans, l’économie mondiale compose avec la Covid-19. Après le choc des premiers confinements, elle a fait preuve d’une certaine résilience. Les acteurs se sont adaptés face aux différentes vagues de l’épidémie. La diffusion des vaccins à compter du début de l’année 2020 s’est accompagnée d’une reprise qui est devenue manifeste à compter de l’été dernier. En ce début 2022, une normalisation de la production et de l’emploi est en cours dans les pays de l’OCDE, dans un contexte financier restant porteur.
La crise sanitaire a néanmoins laissé des traces profondes. Les taux d’endettement ont fortement augmenté tout comme l’offre de monnaie. Une déformation de la structure de la demande des services vers les biens sur fond de télétravail, de numérisation de l’économie et d’accélération de la transition énergétique, pousse à la hausse les cours des matières premières et génère d’importants goulets d’étranglement. Les salariés semblent moins enclins que dans le passé à accepter leurs conditions de travail provoquant, aux États-Unis notamment, une vague sans précédent de démissions.
La normalisation de la production et de l’emploi
Après avoir connu une chute de leur production de plus de 10 % au cours du printemps 2020, les pays de l’OCDE l’ont effacée l’année dernière au cours de l’été. En ce qui concerne l’emploi, la zone euro a retrouvé son niveau d’avant-crise dès le mois de septembre 2021. En revanche, les États-Unis restent en-deçà de ce niveau de 2 à 3 %. Les États européens ont privilégié le soutien aux emplois en jouant sur le chômage partiel quand les États-Unis ont opté pour une politique d’aide aux demandeurs d’emploi. Les licenciés du printemps 2020 n’ont pas tous repris, dans ce pays, le chemin du travail conduisant à une pénurie de main d’œuvre.
Le rétablissement rapide des entreprises
Dès la fin de l’année 2020, les résultats des entreprises ont dépassé leur niveau déjà élevé de 2019. Pour celles de la zone euro, il a fallu attendre le début de l’année 2021. Au mois de janvier 2022, les entreprises américaines enregistrent des résultats supérieurs de plus de 15 % à ceux de 2019. Au sein des pays occidentaux, et en France en particulier, le nombre de faillites est au plus bas. Les prêts garantis par l’État ont joué un rôle non négligeable en la matière. Ce rétablissement rapide obtenu grâce à un soutien sans faille des pouvoirs publics ne masque pas les stigmates de la crise.
Des finances publiques en situation de profond déséquilibre
Les déficits publics qui ne dépassaient pas 2 % du PIB avant la crise ont atteint plus de 12 % du PIB pour les pays de l’OCDE en 2020 avant de revenir autour de 6 % en 2021. La dette publique a augmenté par voie de conséquence, passant de 118 % à près de 140 % du PIB toujours pour les pays de l’OCDE. Cette augmentation est intervenue au moment même où de nombreux États occidentaux étaient déjà confrontés à des problèmes de dette publique (Italie, Grèce, voire États-Unis et France). Elle n’a pas de précédent en période de paix. Sa résorption suppose un effort budgétaire que peu de gouvernements sont disposés à imposer à leur population, ou le maintien de taux d’intérêt réels très faibles afin de garantir la solvabilité des États sur le long terme.
Une augmentation déstabilisante de la masse monétaire
La politique monétaire accommodante aboutit à une forte hausse de l’offre de monnaie, les banques centrales ayant monétisé les déficits publics pour en faciliter le financement et maintenir des taux d’intérêt à long terme bas. De 2019 à 2021, la base monétaire est passée de 15 000 à 25 000 milliards de dollars pour les pays de l’OCDE. De son côté, sur la même période, la monnaie détenue par les agents économiques (M2) est passée de 100 à 120 % du PIB. Les agents économiques ont augmenté leur effort d’épargne depuis le début de la crise en privilégiant les placements liquides de nature monétaire (comptes courants, livrets, etc.). La progression du volume de liquidités contribue à la hausse de la valeur de certains actifs. Depuis 2012, les indices « actions » des places financières de l’OCDE ont été multipliés par trois. L’indice américain S&P a été multiplié par quatre. En vingt ans, le prix de l’immobilier a été multiplié par 2,4 et de 20 % en moins de quatre ans.
Un processus de rééquilibrage des portefeuilles est en cours, les agents économiques essayant de rééquilibrer la structure de leur richesse en achetant les différents actifs avec l’excès de monnaie qu’ils détiennent. Ce processus accentue la baisse des taux d’intérêt à long terme. Compte tenu du niveau négatif des taux d’intérêt réels, il peut perdurer quelques temps.
Le retour de l’industrie
Depuis une dizaine d’années, la demande en produits industriels progressait moins vite que celle en services, avec la crise sanitaire, une inversion est intervenue. Les besoins en équipements informatiques ont augmenté avec les confinements et l’essor du télétravail. Le recours croissant au commerce en ligne accroît cette demande. Les ménages souhaitent par ailleurs améliorer leur logement, ce qui conduit à un accroissement de la demande en biens durables. La transition énergétique, avec la nécessité de réaliser d’importantes infrastructures, est également consommatrice de biens d’équipement industriels. A contrario, les services restent pénalisés par les mesures sanitaires et la faible appétence des ménages.
Fin 2021, la demande de biens au sein de l’OCDE était près de 15 % supérieure à son niveau de 2019 quand la demande de services a tout juste retrouvé son niveau d’avant-crise.
Cette déformation de la demande explique les tensions sur les marchés de l’énergie et des matières premières. Elle occasionne des pénuries comme pour les microprocesseurs ou les conteneurs, ce qui conduit à des hausses des prix. Le prix du baril de pétrole Brent est passé de 17 à près de 90 dollars d’avril 2020 à janvier 2022 et le prix du cuivre a été multiplié par trois sur la même période, comme celui des microprocesseurs.
À la recherche d’une nouvelle vie
La crise sanitaire a modifié le quotidien de centaines de millions de personnes qui ont été contraintes d’arrêter de travailler ou de le faire à leur domicile. Elles ont dû faire l’école à la place des professeurs. Ces bouleversements ont laissé d’importantes traces. Le souhait de logements plus grands, plus ouverts sur la nature, s’est renforcé. La volonté de trouver des emplois moins pénibles, près du lieu d’habitation, est partagé par un nombre croissant d’actifs. Aux États-Unis, des jeunes, des seniors, des diplômés et des non-diplômés démissionnent en espérant trouver un emploi plus conforme à leurs attentes.
Dans certains pays (États-Unis, Royaume-Uni), la crise sanitaire a conduit à un recul de l’offre de travail, certains salariés ayant décidé d’attendre avant de reprendre un emploi. Aux États-Unis, le taux de participation fin 2021 était inférieur de deux points à celui de 2019. Dans tous les pays, les salariés rejettent un certain type d’emplois (pénibles, à horaires atypiques, intermittents, etc.), ce qui fait apparaître de fortes difficultés d’embauche pour les entreprises des secteurs concernés (hôtellerie-restauration, construction, transports). Dans ces trois secteurs, l’emploi est en recul de plus de 10 % au sein de l’OCDE. Cette évolution des comportements des salariés conduit à un redressement du pouvoir de négociation des salariés, surtout aux États-Unis avec le recul de l’offre de travail, d’où une accélération des salaires. Outre-Atlantique, la hausse du salaire nominal atteint 4 % fin 2021.
La course à l’innovation
La crise sanitaire a mis l’accent sur le rôle clef des innovations. Les pouvoirs publics ont décidé d’augmenter les financements pour la recherche, que ce soit dans les domaines de la santé, de l’électronique, de l’énergie, etc. Les entreprises accélèrent également leurs programmes d’investissements dans la numérisation de leurs activités. Les dépenses totales de R&D de l’OCDE ont atteint 2,8 % du PIB, contre 2,6 % avant la crise et 2,1 % du PIB en 2002. Aux États-Unis, elles dépassent désormais 3,2 % du PIB. Les investissements dans les techniques de l’information et de la communication représentaient 4 % du PIB au sein de l’OCDE, contre 1,8 % en 2002.
L’augmentation rapide des investissements pourrait aboutir à celle des gains de productivité et donc de la croissance potentielle. Depuis la crise des subprimes en 2008, les gains de productivité étaient très faibles, inférieurs à 1 %. Un rattrapage pourrait intervenir dans les prochaines années.
L’accélération de la transition énergétique
Dans le cadre des plans de relance mis en œuvre par les gouvernements, la transition énergétique constitue une priorité. La prise de conscience des risques générés par la dégradation de l’environnement s’amplifie. Les pouvoirs publics profitent du relâchement de la rigueur budgétaire pour faire passer des projets coûteux.
La transition énergétique nécessite un accroissement des investissements pour réaliser de nombreuses infrastructures (production d’énergies renouvelables, décarbonation de l’industrie, rénovation thermique des bâtiments et logements), de l’ordre de 4 points de PIB qui implique un effort d’épargne et, par voie de ricochet, une réduction de la consommation.
La décarbonation de l’économie est source de hausse du prix de l’énergie avec le coût plus élevé des énergies renouvelables dû à l’intermittence de leur production.
L’arlésienne n’en est plus une
Depuis une dizaine d’années, les banques centrales de l’OCDE tentaient, par tous les moyens, d’obtenir une remontée de l’inflation autour de 2 %. Avec la crise sanitaire, la menace déflationniste a laissé la place à une résurgence de l’inflation. La désorganisation des chaînes d’approvisionnement, la déformation de la structure de production, le souhait des salariés de changer de vie créant des pénuries de main d’œuvre, la transition énergétique, le flot de liquidités déversé dans l’économie : tout concourt à une remontée des prix.
Dans les derniers mois de 2021, l’inflation a atteint plus de 5 % au sein de l’OCDE et 7 % aux États-Unis.
La crise sanitaire laissera de profondes traces au sein de l’économie mondiale. Avec l’arrêt du dopage monétaire et budgétaire, ces dernières pourraient apparaître encore plus nettement. L’épidémie pourrait amener des tensions sociales importantes alimentées par la reprise de l’inflation et une lassitude des opinions. Un resserrement des politiques monétaires pourrait provoquer des hausses de taux d’intérêt à long terme entraînant une instabilité financière plus importante.
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