Déficits : l’Union européenne choisit la confiance plutôt que la sanction

Déficits : l’Union européenne choisit la confiance plutôt que la sanction

La décision est tombée discrètement dans le paquet d’automne du semestre européen 2026, mais son impact politique est considérable. En annonçant la suspension de la procédure pour déficit excessif engagée contre la France ainsi que contre la Belgique, la Hongrie, la Slovaquie, Malte et la Pologne, la Commission européenne envoie un message clair : malgré le retour progressif à la discipline budgétaire, l’Union reste aux côtés des États qui peinent encore à absorber le choc post-pandémie. Contrairement au cliché du gendarme comptable sourcilleux, Bruxelles se montre cette fois pragmatique et protectrice : l’Union européenne choisit la confiance plutôt que la sanction.

Depuis le Covid, l’Europe n’a cessé de démontrer qu’elle pouvait sortir de son carcan technocratique pour assumer un rôle de stabilisateur économique. Des plans de relance communs au soutien des États les plus exposés, la solidarité budgétaire et monétaire a servi de colonne vertébrale à la résilience européenne. La suspension de la procédure pour déficit excessif s’inscrit dans cette continuité.

Une procédure stricte… mais pensée pour prévenir les crises

Pour comprendre la portée du geste de la Commission, il faut revenir à ce qu’est réellement une procédure pour déficit excessif. Le mécanisme, inscrit dans les traités européens, repose sur deux seuils : un déficit public limité à 3 % du PIB et une dette publique à 60 %. Lorsqu’un État dépasse ces valeurs, il peut être placé sous surveillance renforcée et recevoir une recommandation formelle visant au retour sous les normes.

« La procédure pour déficit excessif est en suspens pour la France,
mais nous constatons quelques petits dérapages. Nous attendons de voir comment ils évoluent »

Valdis Dombrovskis, Commissaire européen à l’économie,
à la productivité et à la simplification

Cette mécanique, souvent caricaturée, n’a pourtant pas été conçue pour sanctionner. Au contraire, elle vise à empêcher l’emballement des dettes nationales, à garantir une stabilité budgétaire commune et à réduire les risques de contagion financière au sein de la zone euro. Depuis la crise des dettes souveraines de 2010, Bruxelles sait trop bien ce que coûte un laisser-faire budgétaire dans une union monétaire. L’objectif de long terme demeure inchangé : aider les États à converger vers une dette soutenable et une trajectoire de finances publiques cohérente. C’est sous ce cadre que, le 26 juillet 2024, la France, la Belgique, la Hongrie, l’Italie, Malte, la Pologne et la Slovaquie avaient alors été officiellement placés en déficit excessif.

Pourquoi une suspension aujourd’hui ? Entre confiance et prudence

La décision de suspension n’efface pas l’existence de la procédure : elle la met temporairement en veille. Bruxelles estime que la trajectoire française, comme celle des autres pays concernés, peut permettre un retour sous les 3 % de déficit d’ici 2029. Pour la Commission, l’économie française devrait croître de 0,7 % en 2025, avec un déficit public ramené à 4,9 % l’an prochain, après 5,8 % en 2024. Le gouvernement, lui, vise 4,7 % en 2026 et maintient l’objectif symbolique de rester sous 5 %.

Valdis Dombrovskis, Commissaire européen à l'économie, à la productivité et à la simplification
Valdis Dombrovskis, Commissaire européen à l'économie, à la productivité et à la simplification

Mais si la Commission européenne accorde un sursis, elle garde un œil attentif sur le contexte politique français. Les discussions parlementaires autour du budget 2026 sont observées avec la plus grande prudence. Dans son avis signé par Valdis Dombrovskis, Commissaire européen à l’économie, à la productivité et à la simplification, Bruxelles reconnaît que le plan budgétaire français respecte globalement la croissance maximale des dépenses nettes permise, mais souligne une « grande incertitude » liée aux négociations en cours à l’Assemblée nationale. La France obtient le label « conforme », aux côtés de Chypre, l’Estonie, la Finlande, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande ou encore le Portugal. Un satisfecit rare, mais fragile.

En France on ne peut que saluer un signal de confiance qui souligne la nécessité d’un compromis politique interne pour continuer à réduire le déficit. Bruxelles réévaluera la situation au printemps, une fois les chiffres définitifs de 2025 connus. Autrement dit : une suspension n’est pas une absolution.

L’Europe, bien plus qu’un gendarme : la solidarité discrète des pays du Sud et le rôle déterminant de la BCE

Cette suspension n’est pas un geste isolé. Elle s’inscrit dans une décennie où l’Union européenne a utilisé tous les leviers possibles pour éviter qu’une nouvelle crise de la dette n’emporte les économies les plus fragiles. On oublie trop souvent que, pendant la pandémie et dans les années qui ont suivi, ce sont les pays parfois surnommés « Club Med », Espagne, Italie, Portugal, Grèce, qui ont poussé pour un assouplissement des règles budgétaires et un soutien accru aux États en difficulté. Eux-mêmes fortement endettés, ils ont plaidé pour une Europe protectrice plutôt que punitive, refusant de répéter les erreurs de la crise de 2010.

« L’Union européenne peut se permettre la patience
parce qu’elle a déjà assuré la stabilité »

Leur position a façonné une Union plus solidaire, moins obsédée par l’orthodoxie des chiffres, plus attentive aux réalités économiques et sociales. La suspension actuelle des procédures pour déficit excessif porte l’empreinte de cette philosophie.

Cette solidarité a également été rendue possible par un acteur souvent discret mais essentiel : la Banque centrale européenne. Depuis 2015, par le biais du quantitative easing, la BCE a racheté sur les marchés secondaires des milliers de milliards d’euros d’obligations publiques. En 2020, au plus fort du Covid, elle est devenue le premier détenteur de dette souveraine européenne. Sans ce filet de sécurité, de nombreux États auraient été forcés d’appliquer des cures d’austérité drastiques au pire moment. L’arrêt de ces rachats au 1er janvier 2025 constitue un tournant majeur, lié au retour de l’inflation et à la volonté de la BCE de réduire la taille de son bilan.

Mais cet arrêt ne doit pas faire oublier que, pendant dix ans, l’Europe monétaire a littéralement porté sur ses épaules la soutenabilité des finances publiques nationales. La suspension des procédures budgétaires est l’héritage direct de cette période : l’Union peut se permettre la patience parce qu’elle a déjà assuré la stabilité.

Une Europe qui accompagne autant qu’elle surveille

À l’heure où les débats sur le budget 2026 agitent le Parlement français, la décision de Bruxelles rappelle que la question n’est pas de savoir si l’Europe est un gendarme, mais quel type de gendarme elle veut être. Loin de la caricature du contrôleur pointilleux, elle se montre aujourd’hui un partenaire vigilant, exigeant mais solidaire.

En suspendant la procédure, la Commission européenne offre aux États membres un espace pour ajuster leurs trajectoires budgétaires sans pression immédiate. Mais elle envoie aussi un message : la responsabilité finale appartient aux gouvernements nationaux, qui doivent trouver en interne les compromis nécessaires pour rétablir leurs finances publiques.

Depuis le Covid, l’Europe a prouvé qu’elle savait se montrer ferme, musclée parfois, mais jamais indifférente. La solidarité monétaire, l’appui politique des pays du Sud et la bienveillance des institutions communautaires convergent aujourd’hui vers une même idée : accompagner les États vers la soutenabilité plutôt que les y contraindre. Un choix qui, en creux, dit beaucoup de ce que l’Union européenne est devenue : un espace de vigilance, certes, mais aussi, et surtout, un espace de soutien.

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire