Déficits publics, l’histoire sans fin ? 

Déficits publics, l’histoire sans fin ? 

En 2023, le déficit public a, en France, atteint 5,5 % du PIB. Il représente un tiers des dépenses ou la moitié de recettes de l’État. La situation actuelle des finances publiques de la France n’est pas en soi exceptionnelle. Elle est d’une déroutante normalité. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les comptes publics n’ont, en effet, été à l’équilibre ou en excédent qu’à douze reprises. Valéry Giscard d’Estaing reste le dernier ministre de l’Économie et Président de la République à avoir à son actif des excédents. 

Depuis cinquante ans, de crise en crise, le montant du déficit public augmente entraînant dans son sillage le poids de la dette publique qui est passée de 21 à 110 % de 1980 à 2023. La tradition d’impécuniosité de la France est légendaire, de la Fronde à aujourd’hui, en passant par Révolution. Celle-ci trouve, sans nul doute, ses origines dans la fragilité consubstantielle de l’exécutif, en permanence contesté que ce soit par les Princes au début du règne de Louis XIV ou par les Gilets jaunes durant le premier mandat d’Emmanuel Macron

Les crises économiques et sociales débouchent bien souvent sur des crises politiques voire institutionnelles. Afin d’éviter celles-ci, les pouvoirs publics usent et abusent des cordons de la bourse.

Dans une partie de la population, la dérive des comptes publics n’est, même pas, en soi, considérée comme un réel problème

L’État a, en France, créé la Nation. Cette place particulière l’a conduit à capter une part importante des richesses. Lors de la Révolution française, il a mis à bas les corps intermédiaires, devenant ainsi le deus ex machina du système économique et social. Le proverbe « l’intendance suivra » est devenu la deuxième devise du pays après « liberté, égalité, fraternité »

L’émotion provoquée par l’annonce de déficits abyssaux ne dure jamais très longtemps. Les Français sont certes prompts à accuser leurs dirigeants de mauvaise gestion mais ils ne souhaitent ni entendre parler de rigueur, ni d’efforts pour les combler. 

Dans une partie de la population, la dérive des comptes publics n’est, même pas, en soi, considérée comme un réel problème. Pour justifier cette relative indifférence, les Français ne manquent pas de souligner que le déficit a dépassé sans encombre la barre des 3 % du PIB et la dette celles des 60 % puis des 100 % du PIB sans qu’aucune catastrophe ne se produise. Pourquoi faudrait-il alors s’inquiéter de son niveau actuel ? Ces seuils seraient à leurs yeux sans fondement. 

Selon une rumeur tenace, le critère des 3 % de déficit public aurait été fixé par François Mitterrand sur un coin de table lors d’une négociation avec les responsables allemands. Dans les faits, ce taux correspondait, à l’époque, compte tenu du niveau de la croissance et des taux d’intérêt, au niveau maximal de déficit n’entraînant pas l’enclenchement d’une spirale d’endettement. Force est de constater que depuis plusieurs années, avec « le quoi qu’il en coûte », la politique monétaire accommodante et ses taux d’intérêt négatifs, les repères financiers ont été brouillés.

déficits publics
Pierre Moscovici le 12 mars 2024 ©AFP

Les États s’endettent de plus en plus pour financer le quotidien et non pas l’avenir

Certaines voix ont appelé les États à ne pas hésiter à s’endetter à outrance oubliant que les taux bas ne le seraient pas indéfiniment et qu’une dette quelle qu’elle soit, se doit d’être remboursée ; ce qui suppose qu’elle génère un surcroît de richesses. L’argent est une ressource rare et a de ce fait un prix. Il est tout à la fois le produit du travail passé et de celui de demain. Or, les États s’endettent de plus en plus pour financer le quotidien et non pas l’avenir. Le recul de la productivité et la stagnation de la population mettent en danger la croissance. En tendance, cette dernière ne s’élève plus qu’à 1 % en France. Sans accroissement de l’activité, le remboursement des emprunts pèsera de plus en plus sur l’économie, au risque de l’asphyxier. 

La Grèce en a fait l’amère expérience en 2010. La poursuite de la glissade de la productivité expose la France à une sanction des investisseurs. Ses partenaires sont également susceptibles, un jour ou l’autre, de perdre patience et d’abandonner leur relative mansuétude en estimant qu’elle met en danger la crédibilité de l’euro. 

Nul n’est prêt à accepter la réalisation d’économies

Face à la dérive des comptes publics, la tentation de la fuite en avant est grande. Les besoins se multiplient que ce soit pour les retraites, la santé, la dépendance, l’éducation, la défense ou pour la transition écologique. L’ensemble de ces factures se chiffre en centaines de milliards d’euros pouvant, à terme, amener le niveau des dépenses publiques au-delà de 60 % du PIB. Nul n’est prêt à accepter la réalisation d’économies. 

Pour satisfaire cette soif de dépenses publiques, le recours aux prélèvements est la solution la plus communément avancée même si, en la matière, la France est au sein de l’Union européenne le pays qui exige déjà le plus de ses citoyens. 

Pour effacer le déficit, il serait nécessaire de multiplier par plus de deux le poids de l’impôt sur le revenu ou d’augmenter de 66 % les recettes de la TVA. La restauration de feu l’ISF, avec un gain de quelques milliards d’euros, une vertu symbolique. Certains estiment qu’avec les fortunes des milliardaires, les déficits seraient réduits à néant. Ce raccourci oublie que les premières sont des stocks dont la valeur dépend souvent de la valorisation en bourse d’un outil professionnel quand les seconds sont des flux. Une taxation du premier diminuerait la compétitivité globale du pays et ne résoudrait aucunement le problème sur la durée.

Les déficits ne sont pas une fatalité

Les déficits ne sont pas une fatalité comme l’a prouvé le Portugal qui a dégagé, en 2023, un excédent budgétaire de 1,2 % du PIB après avoir été au bord de la banqueroute dans les années 2010. L’amélioration de sa situation budgétaire repose sur une croissance dynamique, 2,3 % l’année dernière. L’Espagne de son côté a enregistré un déficit de 3,7 % en 2023, soit 0,2 point de moins que prévu grâce également à la bonne tenue de sa croissance. 

D’autres pays comme la Nouvelle-Zélande ou le Canada ont réussi, dans le passé, à juguler leurs déficits tout en maintenant un système d’État providence avancé. Ils ont pour assainir leurs finances publiques, combiné économies et réformes de structures afin d’améliorer leur croissance potentielle. L’Allemagne avait fait de même en 2003 après la réunification qui avait déséquilibré ses comptes publics. 

L’endettement n’est pas sans limite surtout quand la course aux capitaux se fait de plus en plus âpre. Le temps de l’épargne abondante arrive certainement à son terme avec une population mondiale vieillissante et une transition écologique de plus en plus coûteuse. Les prochaines années pourraient être placées sous le signe du retour de la vertu budgétaire.

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