Défaut juridique, consentement : pourquoi la France ne veut pas inclure le viol dans la loi européenne

Défaut juridique, consentement : pourquoi la France ne veut pas inclure le viol dans la loi européenne

Le viol doit-il être inclus dans une loi européenne visant à lutter contre les violences faîtes aux femmes ? Oui, répondent la Belgique, l’Italie, l’Espagne. Non, selon la France, la Hongrie, la Pologne et d’autres. Explications.

Le 8 mars 2022, Journée internationale des droits des femmes, la Commission européenne a proposé une directive pour lutter contre toutes les violences faîtes aux femmes en harmonisant les législations des 27 pays de l’UE.

Le texte cherche notamment à bannir les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, le cyberharcèlement sexiste ou encore la stérilisation forcée. À titre d’exemple, la Roumanie, la Lituanie et la République tchèque ne condamnent pas les mariages forcés.

« L’adoption d’une loi au niveau européen pour lutter contre les violences faites aux femmes, et notamment le viol, est nécessaire et urgente », estime l’eurodéputée française Nathalie Colin-Oesterlé (PPE) auprès d’Euractiv. 

Car si la proposition de la Commission a largement été saluée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, un point néanmoins cristallise les tensions : la définition d’un viol.

Chaque année, plus de 100 000 viols sont enregistrés dans l’UE, selon l’Insee. Autres chiffres alarmants, une femme sur trois a déjà subi des violences sexuelles et/ou psychologiques ; une Européenne sur 20 a déjà été victime de viol.

Le texte de la Commission entend établir une définition commune du viol en Europe, permettant ainsi d’harmoniser les sanctions pénales et de mieux venir en aide les victimes.

Pour l’heure, chaque pays à sa propre définitionEn Belgique par exemple, la loi introduit la notion de consentement. En Italie, le viol est défini comme un acte sexuel contraint par la violence, l’autorité ou la menace.

Mais lors du dernier Conseil de l’UE, le 9 juin, les 27 n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Si la Belgique, l’Italie, la Grèce, le Luxembourg, l’Irlande, et l’Espagne soutiennent l’inclusion d’une définition commune du viol dans la directive, la France, à l’instar d’une majorité de pays membres, s’y oppose.

À l’issue du Conseil, le ministère français de la Justice avait salué une « une approche ambitieuse et équilibrée » de la directive, permettant de « renforcer les législations notamment pénales des États membres », mais sans inclure la définition du viol donc.

L’UE n’est pas compétente

Pour la France, voter une définition commune du viol, qui entraînerait de facto une harmonisation des sanctions à l’échelle européenne, soulève un défaut de base juridique. 

« La France n’y est pas hostile, mais estime qu’il n’y a pas de base légale pour le faire. Le droit pénal relève des États membres et non pas de l’UE, sauf pour les eurocrimes », explique une source européenne proche du dossier à Euractiv. 

Les « eurocrimes » correspondent à une liste de crimes inscrits dans l’article 83 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et pour lesquels l’UE est juridiquement compétente. Cela concerne notamment la corruption, le terrorisme ou l’exploitation sexuelle. Or, pour la France, juridiquement, le viol ne relève pas de l’exploitation sexuelle. 

« Nous sommes loin de la promesse de progrès affichée par Emmanuel Macron lors de son discours devant le Parlement en janvier 2022 au lancement de la présidence française de l’UE », fustige Nathalie Colin-Oesterlé, qui parle d’un « revirement politique »

« C’est une position d’autant plus étonnante, lorsqu’on sait qu’Emmanuel Macron a déclaré lors de son premier mandat en 2017 que l’égalité femmes-hommes était la “grande cause” du quinquennat », note de son côté Magali Lafourcade, magistrate et secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), lors d’un entretien avec Euractiv.

La France craint également que si le viol est inscrit dans la future loi européenne, des pays comme la Hongrie s’en servent pour faire annuler la directive dans son entièreté devant la Cour de Justice de l’UE (CJUE), au motif que l’UE n’est pas compétente.

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Pour la France, voter une définition commune du viol, qui entraînerait de facto une harmonisation des sanctions à l’échelle européenne, soulève un défaut de base juridique. [OLIVIER HOSLET/EPA]

Le consentement « moins protecteur »

La France est aussi en contradiction avec la définition du viol proposée par le Parlement européen et la Commission, qui estime qu’un rapport sexuel sans consentement est un viol. 

En France, est considéré comme un viol un acte sexuel commis sur une personne sous la menace, la contrainte, la surprise et la violence. 

Or, intégrer la notion de consentement dans le texte final serait « moins disant » et « moins protecteur » pour les victimes, a avancé la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard, lors d’une réunion mardi 17 octobre avec des acteurs de la société civile et des institutions pour parler des violences faîtes aux femmes. 

« C’est juridiquement une aberration. Une définition restrictive du viol conduit les policiers et magistrats à porter les investigations sur les femmes », pointe du doigt Magali Lafourcarde, présente à cette réunion, qui rappelle que « si l’on part du principe que la femme dit la vérité, on peut lancer les investigations plus facilement ». 

La directive sera à nouveau discutée le 14 novembre prochain lors des trilogues entre le Parlement, le Conseil et la Commission. Une autre réunion a également été programmée pour le 12 décembre. 

Si la directive n’est pas adoptée sous l’actuelle présidence espagnole ou la future présidence belge, ce sera au tour de la Hongrie, dès juillet 2024, puis de la Pologne début 2025 de mener les discussions.

« La France est engagée contre toutes les formes de violences faîtes aux femmes et appelle de ses vœux à l’adoption de la directive », tient à rappeler la source européenne.

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