Alors que les tensions géopolitiques atteignent leur paroxysme, le vice-chancelier allemand Robert Habeck a déclaré qu’il s’attendait à des « jours plus mouvementés » sur les marchés du gaz, et s’est fait l’écho des appels lancés par d’autres responsables politiques allemands en faveur de la création d’une « réserve nationale de gaz » en prévision de la prochaine saison hivernale.
« Lorsque vous avez une situation instable sur le plan de la politique étrangère, les grands négociants commencent à stocker des marchandises », a expliqué M. Habeck, mercredi 23 février, dans une interview accordée à la radio allemande DLF.
Le stockage de matières premières comme « le gaz, le pétrole et peut-être le charbon signifie que la demande augmente, et donc que les prix augmentent », a continué M. Habeck.
Toutefois, le marché pourrait aussi se stabiliser rapidement, car « l’hiver touche lentement à sa fin », a-t-il ajouté.
En début de semaine, la Russie a officiellement reconnu les deux régions séparatistes de l’Ukraine dans l’est du Donbass, déclenchant une vague de sanctions de la part des pays occidentaux et amenant Berlin à interrompre le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2 qui devait acheminer le gaz russe directement jusqu’en Allemagne.
Jeudi 24 février, le Président russe Vladimir Poutine a annoncé une « opération militaire » en Ukraine, et le ministre des Affaires étrangères du pays a averti qu’une « invasion à grande échelle » était actuellement en cours.
« Nous devons nous attendre à des jours plus mouvementés », a déclaré M. Habeck, notant que l’énergie était devenue « une question de politique de sécurité » et que des mesures devaient être prises.
« Tout d’abord, nous veillerons à ce que les réservoirs soient remplis, et nous prendrons également des mesures politiques pour y parvenir », a déclaré le ministre, faisant écho aux appels à la création « réserve nationale de gaz » lancés par des politiciens allemands.
En Allemagne, le stockage du gaz est laissé à des acteurs privés comme le monopole public russe Gazprom, dont les réservoirs sur le sol allemand ont atteint l’an dernier un plancher record avant la saison hivernale.
Les tensions avec la Russie arrivent au pire moment pour la transition énergétique de l’Allemagne. Le gaz russe était censé venir combler les lacunes de l’approvisionnement énergétique du pays, qui prévoit de fermer ses dernières centrales nucléaires d’ici la fin de l’année et de sortir du charbon d’ici 2030.
Toutefois, à première vue, les responsables politiques allemands se montrent calmes.
« Les relations pour l’approvisionnement avec la Russie ont également survécu à d’autres crises », rassure M. Habeck. Il a également ajouté que l’Allemagne pourrait se passer du gaz russe s’il le fallait, concédant toutefois que cela ferait encore grimper les prix.
Mardi, Berlin a mis un terme à la certification du gazoduc Nord Stream 2, soutenu par la Russie, une décision qui a entraîné des menaces implicites de la part de la Russie de maintenir la pression sur les prix.
« Bienvenue dans le meilleur des mondes où les Européens vont très bientôt payer 2 000 € pour 1 000 mètres cubes de gaz naturel ! », a écrit Dmitri Medvedev, un proche allié du Président russe Vladimir Poutine et ancien président de Gazprom. Cela représenterait environ le double du prix actuel du gaz, qui est déjà très élevé à l’heure actuelle.
Compte tenu de la part de marché de Gazprom sur le marché allemand et européen du gaz, ces prédictions ne sont peut-être pas si exagérées que cela, selon les experts.
« Je pense que la Russie, en tant que fournisseur majeur, pourrait réduire les volumes pour augmenter le prix du gaz », a expliqué Michael Pahle, expert en économie de l’énergie à l’Institut de Potsdam pour les sciences climatiques.
Cependant, à l’instar de M. Habeck et de la plupart des politiciens allemands, il estime lui aussi que « Gazprom n’est pas censé rompre les contrats déjà signés ».
Le maintien du charbon
Pour le gouvernement allemand, l’élimination progressive du charbon est une priorité essentielle, mais le prix élevé du gaz a déjà provoqué un arrêt de l’élimination progressive du charbon dans l’UE. C’est ce qu’indiquent les données d’une étude publiée au début du mois.
« Si le conflit entre l’Ukraine et la Russie se prolonge, cela pourrait entraîner une augmentation de la production d’électricité à partir du charbon, avec des scénarios d’escalades futures à prendre en compte », a averti M. Pahle.
Avec des prix du gaz élevés, la motivation du marché pour remplacer les centrales au charbon disparaît, ne laissant que les énergies renouvelables pour combler le vide.
« L’élimination progressive du charbon avancée à 2030 nécessiterait l’ajout d’un total de 23 GW de centrales électriques au gaz capables de produire de l’hydrogène », explique l’Institut de recherche en économie de l’énergie (EWI) de l’Université de Cologne. Or, actuellement, on ne prévoit que 2,3 GW, continue Max Gierkink de l’EWI.
La fermeture des centrales au charbon pourrait s’avérer plus difficile que prévu initialement. En Allemagne, les centrales au charbon ne peuvent être retirées du réseau que si les opérateurs peuvent prouver que la sécurité d’approvisionnement en leur absence peut être préservée.
Compte tenu de l’incertitude actuelle qui règne sur les marchés du gaz, la plupart des services publics de l’énergie retardent donc leurs décisions d’investissement.
Laisser un commentaire