La pression monte. La crise agricole dépasse les frontières. Ce jeudi, les agriculteurs ont envahi Bruxelles. Plusieurs milliers de manifestants et des centaines de tracteurs se sont postés devant le Parlement européen. Diverses nationalités étaient représentées. Les Français composaient une bonne partie du contingent présent. Ils sont venus exprimer leur colère. Ils souhaitent aussi interpeller leurs parlementaires siégeant au niveau européen.
Lesfrancais.press a pu interroger une des spécialistes des sujets agricoles au Parlement européen. Anne Sander, députée européenne, membre du parti LR (Les Républicains), a ainsi répondu à nos questions.
Jérémy Michel : « Comprenez-vous les revendications des agriculteurs français ? »
Anne Sander : « Ces revendications je les comprends car elles sont légitimes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, le métier n’attire plus les jeunes. En France, près de 45 % partiront à la retraite d’ici à 2030, et près de deux tiers n’ont pas encore identifié de repreneurs. Plus dramatique encore, le taux de suicide de la profession est complètement alarmant. Le mouvement qui a émergé en France et qui est en train d’émerger au sein d’autres Etats européens témoigne des difficultés et des charges monumentales que nous faisons peser sur les épaules des producteurs : transitions environnementale et énergétique, produits de qualité toujours plus sains et toujours moins chers, avec moins de moyens mais plus de contraintes et donc plus de coûts. Le monde agricole a à faire face à des défis sans précédents tout en étant mis en concurrence avec des produits venant de l’autre bout du monde avec un prix et des standards bien moindres. »
Concernant l’Agriculture «les autorités françaises ont toujours tendance à surtransposer»
Jérémy Michel : « Est-ce l’Union européenne ou le gouvernement français qui ne comprend plus ses agriculteurs ? »
Anne Sander : « Les deux ! D’un côté, la Commission européenne et le Parlement européen de sa gauche aux macronistes français n’ont pas adapté la cadence sur le Green Deal et ont fait fi des besoins des agriculteurs. Pour s’engager encore plus dans la transition, ils ont besoin de temps et de moyens. Des crises sont survenues depuis le lancement du Green Deal, l’invasion russe en Ukraine a créé des déséquilibres sans précédent sur les marchés, la hausse des coûts, l’inflation, tout cela aurait dû être pris en compte pour répondre à la promesse initiale de la Commission de ne laisser personne sur le bord du chemin. D’un autre côté, les autorités françaises ont toujours tendance à surtransposer et à imposer des contraintes supplémentaires aux producteurs français en comparaison des producteurs européens. Le gouvernement français a aussi milité pour le Green Deal en soutenant des législations toujours plus contraignantes à Bruxelles. »
Union européenne, « certains textes se sont révélés complètement hors sol »
Jérémy Michel : « Le Green Deal est-il inadapté au monde agricole ? »
Anne Sander : « Pour être fructueuse, la transition environnementale doit être pensée en termes de viabilité économique. Et cela, le Green Deal est passé à côté. Le Pacte vert n’a pas su être le levier de croissance qu’il aurait dû être pour le monde agricole. Pourtant des initiatives positives existent et sont toujours sur la table comme la certification carbone ou les NGTs. Toutefois, en fixant des objectifs sans fondement sérieux, sans tenir compte des conséquences et sans même réaliser d’études d’impacts sérieuses, certains textes se sont révélés complètement hors sol et hors de propos mettant en danger notre sécurité alimentaire. »
« Il faut sortir de cette idéologie de la décroissance du Green Deal »
Jérémy Michel : « Faut-il abandonner le concept de la jachère ? »
Anne Sander : « Aujourd’hui, dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe, l’autonomie stratégique et la sécurité alimentaire sont revenues au centre de nos préoccupations et cela la Commission et un certain nombre de députés européens n’ont pas voulu l’entendre. L’Europe a une responsabilité, il faut sortir de cette idéologie de la décroissance du Green Deal en produisant mieux mais aussi en produisant plus. Aujourd’hui, après nos multiples requêtes, la Commission a enfin annoncé une nouvelle dérogation à la règle de la conditionnalité de la PAC sur les jachères, preuve que le vent est en train de tourner. »
Jérémy Michel : « Concrètement que faudrait-il proposer aux agriculteurs français ? »
Anne Sander : « La règle européenne doit être la règle française, il faut un arrêt immédiat à la surtransposition et alléger d’urgence la charge qui pèse sur les agriculteurs français. Les mêmes normes doivent aussi s’appliquer pour tous les produits qui entrent sur le marché européen. Dès aujourd’hui, un coup d’arrêt doit être donné sur les législations sur la table en particulier sur le règlement sur la restauration de la nature et la directive sur les émissions industrielles. Et enfin, il faut accompagner les agriculteurs dans les transitions qui leur sont demandées mais aussi leur faire confiance pour faire leur métier et le faire bien. »
Auteur/Autrice
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Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
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