Commerce international : le retour des pénuries

Commerce international : le retour des pénuries

En sortie de crise sanitaire, la demande est dopée tant par l’épargne accumulée que par les plans de relance. L’offre qui a été désorganisée par les confinements éprouve des difficultés à répondre au surplus de demande. Pour satisfaire les commandes, il manque des camions, des chauffeurs, des conteneurs, des bateaux et des créneaux libres dans les ports. Les pénuries marquent le commerce international.

Une armada de porte-conteneurs est ancrée au large de la Californie en attendant que les ports se libèrent. Les goulets d’étranglement se multiplient, contribuant au retour de l’inflation. Cette situation particulière de déficit de l’offre est-elle amenée à perdurer ou à s’estomper avec la remise en ordre les circuits d’approvisionnement et la normalisation de la demande ?

Puces électroniques et énergie

L’économie mondiale doit répondre à un choc de demande sans précédent. Les plans de relance décidés par les gouvernements, tout autour de la planète, dépassent 10 400 milliards de dollars, soit plus de quatre fois le PIB de la France. La demande de produits électroniques qui a explosé dès le début la pandémie se poursuit depuis avec le développement du télétravail. La pénurie de microprocesseurs est liée à un mauvais calibrage de la production dans un secteur concentré au moment où les besoins sont en forte hausse. L’électrification du parc automobile s’accompagne d’un achat de plus en plus important de microprocesseurs de la part des constructeurs.

La transition énergétique, en ayant été accélérée, provoque des pénuries sur certaines énergies conduisant à une forte hausse des cours. L’arrêt des centrales au charbon provoque une forte demande de gaz naturel conduisant à l’envolée de son prix. Le Royaume-Uni, ayant réalisé des commandes d’urgence par crainte d’une pénurie, a provoqué une hausse de 60 % au début du mois d’octobre. En Chine, les nouvelles normes environnementales ont contribué en partie aux coupures électriques aux mois de septembre et octobre.

NANJING, CHINA – AUGUST 26: A 300mm wafer is on display at the Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) stand during 2020 World Semiconductor Conference at Nanjing International Expo Center on August 26, 2020 in Nanjing, Jiangsu Province of China. (Photo by Yang Bo/China News Service via Getty Images)

Protectionnisme et multiplication des normes

Face à une forte demande d’énergie, les investissements ne suivent pas. Les industriels rechignent à accroître leurs capacités de production d’énergie carbonée craignant de ne pas pouvoir les amortir. La désorganisation du commerce international est accentuée par la montée en puissance du protectionnisme. La multiplication des normes liées au travail et à l’environnement ainsi que les embargos pour non-respect des droits de l’Homme ne facilitent pas les échanges. L’administration de Joe Biden a confirmé qu’elle maintiendrait les tarifs de Donald Trump sur la Chine, qui sont en moyenne de 19%, promettant seulement la possibilité pour les entreprises de demander des exemptions. Le manque de chauffeurs routiers en Grande-Bretagne a été exacerbé par le Brexit. L’Inde est confrontée à une pénurie de charbon causé, du moins en partie, par une tentative de réduire les importations de carburant.

Quel retour à la « normale » ?

Face à ce nouveau contexte, les experts économiques semblent un peu perdus. Dans les années 1970, les gouvernements ont commis de nombreuses erreurs pour tout à la fois endiguer l’inflation et favoriser la croissance. Ils ont souvent effectué des relances à contretemps qui alimentaient les déficits budgétaires et extérieurs tout en nourrissant l’inflation. Ils ont également eu recours à des systèmes de blocage ou d’encadrement des prix (systèmes qui, ces derniers jours, retrouvent une nouvelle jeunesse). Aujourd’hui, au sein des banques centrales, le débat sur les modalités de sortie des politiques monétaires expansionnistes est engagé même si ces dernières parient sur un retour à la normale sur le front de l’inflation à la fin de l’hiver.

La consommation devrait être portée davantage par les services au fur et à mesure de la normalisation sur le terrain sanitaire, réduisant ainsi les tensions sur les secteurs industriel et énergétique. Par ailleurs, les investissements réalisés ces derniers mois devraient déboucher sur une augmentation de l’offre d’ici 2023. Les plans de relance devraient en 2022 avoir moins d’effets d’autant plus qu’aux États-Unis, le Congrès rechigne à accepter en l’état le plan géant d’investissement du Président. Au Royaume-Uni et dans plusieurs États, l’idée d’une augmentation des impôts est de plus en plus avancée, ce qui réduira la consommation. Le risque d’une crise immobilière en Chine pourrait se traduire par une réduction de la demande finale, les agents économiques optant pour la prudence.

Pénurie et hausse des salaires

L’économie de la pénurie pourrait néanmoins ne pas disparaître. En effet, le vieillissement de la population s’accélérera dans les prochaines années. Cela conduira à des problèmes de recrutement, et donc à une possible hausse des salaires. La recherche de gains de productivité sera une ardente obligation pour limiter ce problème clef, afin de maintenir la croissance à un niveau élevé.

La transition énergétique, en imposant une modification de fond en comble des processus de production, aboutira à des rationnements de l’offre et à des goulets d’étranglement. La fin des énergies fossiles s’accompagnera de hausses de prix et des pénuries. Les gouvernements devront donc planifier soigneusement le processus de substitution afin d’éviter des à-coups pouvant peser sur la croissance et générer des tensions sociales.

Cette transition pourrait s’accompagner d’une montée du protectionnisme qui sera nuisible à l’activité et qui pourrait favoriser l’inflation. Le défi des pouvoirs publics sera, dans les prochaines années, d’éviter un clivage dur autour de la décarbonation et de la mondialisation.

Philippe Crevel

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