Le pouvoir a-t-il le pouvoir d’augmenter le pouvoir d’achat ? Un gouvernement qui n’améliorerait pas le sort de sa population perdrait « le mandat céleste », diraient les Chinois. Aussi le nouveau quinquennat s’inaugure-t-il avec une loi « pouvoir d’achat ». Une loi, c’est simple. Avec 20 milliards, même sans majorité, ça passe.
Délice du pouvoir et pouvoir d’achat
On aimerait bien que le pouvoir décide de rendre riches les pauvres, mais ce n’est pas si simple. L’économie obéit bien à des lois, mais pas à celles du pouvoir. Ce qui ne veut pas dire qu’un gouvernement ne peut rien faire pour améliorer l’économie d’un pays, au contraire, il peut beaucoup, y compris beaucoup de mal.
La position financière de la France atteint « une ligne rouge », a averti Bruno Le Maire. En même temps, le gouvernement s’apprête à dépenser 20 milliards d’euros supplémentaires, pour combattre l’inflation. Délice du pouvoir de croire, qu’à rebours des lois économiques, de nouvelles dépenses publiques diminuent l’inflation.
Quelle est la vraie relation entre pouvoir politique et pouvoir d’achat ? Est déjà bien établie la relation entre déficit public et balance commerciale : L’un alimente l’autre.
Le déficit commercial de la France atteindra plus de 100 milliards en 2022. Record. Ce n’est pas forcément grave : la balance des paiements étant équilibrée par définition, la balance des capitaux enregistrera un autre record, excédentaire celui-là, de plus de 100 milliards.D’où viennent-ils ? De ces entreprises qui investissent en France (« Choose France !»), de la balance des services (+27 milliards), des dividendes perçus à l’étranger, enfin, surtout, des bons du trésor. La France achète des produits chinois, du pétrole saoudien, et vend du crédit « made in France ».
Les déficits jumeaux sont des quintuplés
Si on regarde le processus à l’envers, quand des bons du Trésor sont achetés par des étrangers, mécaniquement, la balance commerciale des biens se creuse. Bien sûr, le déficit public peut être alimenté par l’épargne nationale privée, c’est le cas au Japon, c’est moins le cas de la dette française, pour moitié achetée à l’étranger : 48% en 2021. En grande partie par la banque centrale européenne, qui va bientôt cesser son programme de rachat.
Au fur et à mesure de l’achat de titres par des institutions étrangères, la position extérieure de la France, la différence entre ses avoirs et ses dettes à l’étranger, se détériore.
Cette position extérieure est négative depuis 2011. Elle représente 30% du PIB. A titre de comparaison, elle est positive en Allemagne, de l’ordre de 68% du PIB, en Italie, (+ 7%), Pays-Bas (+94%), Belgique (+57%), Suède (+17%). Elle est en revanche négative en Pologne (-40%) et en Espagne (-70%).
Cette fragilité a une conséquence immédiate : les taux d’intérêt français montent. En quelques mois, l’Etat paie quelques dizaines milliards de plus. Pour l’instant, la situation de la France est masquée par celle de l’Italie : gouvernement démissionnaire, dette publique de +150% du PIB, croissance atone, extreme droite favorite des prochaines élections. Mais la position extérieure de l’Italie est meilleure, son commerce extérieur aussi.
Toute hausse des dépenses publiques accroit automatiquement le déficit extérieur
Que peut un gouvernement sur la position extérieure ? Toute hausse des dépenses publiques accroit automatiquement le déficit extérieur. Selon l’INSEE et la Direction générale du Trésor, une aggravation de 1% du déficit public dégrade le solde commercial de 0.7% du PIB dans les deux ans. Voilà ce que font les gouvernements.
Un gouvernement peut diminuer le déficit public en augmentant les prélèvements obligatoires, mais cela dégrade la compétitivité des entreprises et le solde commercial se détériore.
On sait exactement comment redresser la « position extérieure » de la France
Inversement, une diminution des prélèvements stimule les exportations. Une baisse de 1% de prélèvements permet une amélioration du solde de 0,3% au bout de deux ans.
On sait donc exactement, à Bercy, comment redresser la « position extérieure » de la France : diminuer les dépenses publiques et baisser les prélèvements. Ce qu’a fait l’Allemagne, et tant d’autres.
La politique de déficits publics permanents affaiblit le pouvoir d’achat des Français
Ce que disent ces modèles, ces lois économiques, c’est que la politique de déficits publics permanents ne fait pas qu’accroitre la dette, elle affaiblit la France, et le pouvoir d’achat des Français. La dégradation de la compétitivité des entreprises enferme les salariés français dans des métiers de services mal payés. C’est une économie à faible valeur ajoutée, et donc à bas salaire. Il y a 50 ans, le revenu par habitant des Suisses était équivalent à celui des Français. Aujourd’hui, il est deux fois et demi supérieur. La richesse d’une nation se construit, sa pauvreté aussi. Tel est le vrai pouvoir des gouvernements sur le pouvoir d’achat.
Il y eut la crise de 2008, celle de 2020 avec le Covid, aujourd’hui celle de l’Ukraine, s’impose la quatrième, volontaire, celle de la transition énergétique. Il en surviendra une autre dans les cinq ans à venir, parce que c’est la règle, dans une planète sans gendarme ni boussole, dans une économie en pleine révolution. Les précédentes crises ont abîmé notre économie. Il est illusoire de croire que la France a bien résisté. Les Français le savent : ils se sont appauvris, d’où leurs protestations.
On dit fréquemment que les déficits publics et commerciaux sont jumeaux. Ce ne sont pas des jumeaux, mais des quintuplés. Ils viennent avec la baisse du pouvoir d’achat, la pauvreté des services publics, la dépendance politique. Qui écoute un pays de plus en plus dépendant ?
L’Etat peut tout. Il pourrait même contenir ses dépenses.
Nouriel Roubini, célèbre pour avoir prédit la crise de 2008, annonce une crise mondiale des dettes, avec un effondrement des marchés boursiers de plus de 50%. Le Président de JPMorgan, la première banque américaine alerte. Les Cassandre n’ont pas toujours raison. Ce qui inquiète le plus, dans le cas de la France, c’est le sentiment que rien de grave ne peut arriver, que l’Etat peut tout.
Il pourrait même contenir ses dépenses, avec une croissance limitée à 0,6%, pour ramener le déficit à -3% en 2027 : C’est l’annonce -ou le vœu- de Bruno Le Maire. On veut le croire : Aucun gouvernement depuis 15 ans n’a tenu ses engagements.
L’inquiétude, ce n’est pas le pouvoir d’achat aujourd’hui ni même le chauffage de cet hiver. La menace, c’est une crise de la dette qui entraînerait le pays dans une spirale de conflits et de dépendances. Là s’effondrerait le pouvoir d’achat. Qui en parle ? Sans tirer la sonnette d’alarme, sans prise de conscience, comment le gouvernement, sans majorité, tiendrait ses objectifs ?
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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