Tribune de Bertrand Wert, Conseiller des Français•es de Belgique et Conseiller communal & chef de groupe ÉCOLO-GROEN de la commune d’Ixelles (Belgique)
Le média Lesfrancais.press m’a demandé d’écrire un texte sur « Comment concilier écologie et vie hors de France ? », voici une réponse à partir de mon expérience personnelle.
La planète a les yeux tournés vers la COP26 à Glasgow. Les sondages d’opinion préparant l’année électorale en France font de l’écologie une des principales préoccupations des Français-es. Nous ne pouvons que constater l’intérêt grandissant en particulier des jeunes pour le sujet, allant même jusqu’au développement d’une vraie angoisse de l’avenir, une forme de climat anxiété.
Logiquement, nous sommes de plus en plus nombreux-ses à nous demander comment faire nous aussi notre part du chemin en matière de lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité et un meilleur environnement quand nous vivons hors de France.
En tant que militant écologiste depuis plus de vingt ans cela fait un moment que je m’interroge sur la manière de contribuer au mieux à ces urgences. Tant sur le plan individuel, avec mon mode de vie personnel, que collectif. Puisqu’on le sait, elles constituent le plus grand défi de l’humanité au 21ème siècle.
J’ai trouvé quelques pistes que je mets en partage ici.
On ne naît pas écologiste, « en conscience » on le devient
Comme dans beaucoup de domaines, on ne naît pas écologiste, on le devient. Autrement dit, on peut faire le choix de s’engager pour que tous les êtres vivants puissent un jour jouir d’une vie digne sur une planète aux ressources limitées pour qu’elles soient préservées, les écosystèmes et le vivant respectés, et où la justice sociale et la justice environnementale deviennent une réalité.
Si ma prise de conscience s’est construite tout au long de mon parcours de vie, deux expériences ont été particulièrement marquantes. Tout d’abord, pour ce qui concerne la justice sociale, le fait d’avoir passé mes années lycées dans le dernier établissement de l’académie de Lyon – pour les résultats du baccalauréat au début des années 1990 –, situé dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, m’a confronté à la violence réelle et symbolique des inégalités sociales, économiques et culturelles, chez nous, en France. Jusqu’à aujourd’hui, cette expérience me poursuit. Elle m’alimente et me recentre. Elle me rappelle en permanence que si nous sommes tou-tes membres de la même espèce, nous ne naissons pas égaux en droits. Que certain-es sont plus victimes de discriminations que d’autres, et que ces inégalités souvent s’additionnent, nous tenaillent et nous prédéterminent.
L’injustice environnementale, c’est à la fin de l’année 1999 que je l’ai profondément ressentie. Quand avec un groupe d’ami-es nous avons décidé d’aller ramasser le pétrole du super tanker Erika affrété par Total, qui venait de déverser 30.000 tonnes de fioul lourd touchant 400 km de côtes, de la pointe de la Bretagne à l’île de Ré. C’est à la main que nous avons fini par remplir les sacs sur la petite île d’Edig, aussi connue comme Hoëdic.
Expérience fondatrice qui correspond aussi au début de ma vie hors de France, avec de fait cette question : que puis-je faire depuis mon pays de résidence, d’abord quelques mois au Canada et depuis toutes ces années en Belgique ?
Adapter, changer son mode de vie et puis s’engager
Sur le plan personnel, j’ai pu adapter mon mode de vie vers plus d’environnementalisme ; autrement dit en prenant plus en considération les effets de mon empreinte écologique.
Ayant la chance d’avoir un emploi fixe, j’ai plus de facilités à faire évoluer mes réponses aux questions suivantes : Comment je me déplace, quand ? Quand, où et comment je pars en vacances ? Comment je me loge et où ? Quelle énergie et combien j’en utilise ? Ce que je mange et quand, quels produits et producteur-trices, quels magasins je choisis ? Comment est-ce que je peux réduire ou me passer de toutes consommations de calories animales ? Pourrais-je devenir flexitarien-ne, végétarien-ne ou végétalien-ne ? Comment je recycle mes déchets, les valorise ? Comment je m’habille et quand je renouvelle ma garde-robe ? Quels cadeaux je fais ? Comment puis-je éviter d’acheter, de consommer, pour plus prêter, réparer, louer, échanger ou troquer ? Où je place mes économies, à qui j’emprunte et quelle banque j’utilise au quotidien ? Quelle monnaie j’utilise, l’Euro ou la monnaie locale ? Comment je traite la nature, ses éléments et le vivant qui m’entourent ? etc.
Avec le temps, de nouvelles questions, de nouveaux mouvements et concepts sont apparus : la simplicité volontaire, la décroissance, l’éco-féminisme… J’essaie là encore de faire évoluer mes réponses à ces questions, pour qu’elles deviennent plus vertueuses et en lien avec mes valeurs et intentions, même si certaines avancent plus vite que d’autres.
Pas simple de vivre avec ses contradictions, car oui j’adore l’eau, et traîner plus que de raison sous la douche ; manger beaucoup de fruits, et pas toujours ceux produits en Europe. Envisager des vacances avec enfants uniquement en train, vélo, bateau ou transports en commun, n’est pas le plus simple, surtout si on a de la famille sur un autre continent. Alors j’essaie autant que possible de compenser mes émissions de CO2 liés à mes déplacements en avion quand le train n’est pas possible, ou d’utiliser le plus possible mon vélo et de recourir le moins possible au système de voiture partagée – auto individuelle que je n’ai jamais eue, bien que papa de deux ados –.
Ou encore de m’investir dans le groupe du compost et de potager collectif de mon quartier afin de diminuer mes/nos déchets, de les valoriser et de prendre part au cycle du vivant avec ces mètres cube de terreau produits par la grosse centaine de ménages qui utilisent le compost. Terre qui est aussi utilisée pour le potager collectif où on maintient et développe la biodiversité du quartier, sans même parler de toutes les rencontres qu’un tel projet permet avec petit-es et grand-es, renforçant la cohésion sociale du quartier.
L’engagement politique
Très vite je me suis dit que je ne faisais pas assez, que ça n’allait pas assez vite. Ou bien encore, lassé de très souvent critiquer la façon dont les choses étaient gérées dans ma ville, je me suis demandé ce que je pouvais faire de plus pour ma communauté ? Je ne voulais plus rester passif dans mon coin et critiquer les choix de ma commune, ma ville ou ma région sans prendre part aux décisions. J’ai souhaité mettre en pratique l’idée de citoyenneté de résidence si chère à l’écologique politique ; nulle part je ne suis « étranger » sur cette bonne terre qui nous accueille.
Bien logiquement je me suis rapproché, puis investi pour le parti pro-européen de l’écologie politique en France – à l’époque Les Verts, puis Europe Écologie Les Verts depuis 2014 -. Mais aussi dans mon pays d’adoption en Belgique, où j’ai été candidat aux élections communales en 2006, puis élu en 2012 et réélu en 2018. C’est comme cela que j’ai fini élu ici en Belgique, où je suis conseiller communal d’Ixelles depuis 10 ans, et aujourd’hui chef de groupe du principal parti de la majorité Ecolo-socialiste, et plus récemment j’ai été élu conseiller des Français-es de Belgique.
Depuis lors mon apprentissage a été constant et la sensibilisation de mes concitoyen-nes aux enjeux de la lutte contre le changement climatique a été essentielle, même si parfois compliquée, car caricaturée, moquée, déniée, déformés…
Ces dernières années, la prise de conscience du plus grand nombre aidant avec le soutien essentiel de la science, mais aussi la visibilité accrue des effets directs du changement climatique et des cataclysmes qu’il provoque, les choses se passent avec un peu plus de bienveillance. Surtout cela devient plus facile pour nous les militant-es de porter ces préoccupations et propositions d’action vers nos concitoyen-nes qui sont beaucoup plus dans l’écoute et la volonté d’agir et de nous rejoindre.
Un engagement non sans difficultés, en particulier pour les femmes
À ceci près que le « nous » n’est pas vraiment d’application pour tou-tes, en particulier pour mes camarades féminines qui, bien plus que nous les hommes, sont très souvent, et je dirais même constamment, victimes d’attaques paternalistes et sexistes, en particulier sur les réseaux sociaux. Je donnerai un seul exemple, celui du post que j’ai fait il y a quelques jours suite à ma rencontre opportune dans le métro bruxellois avec la jeune activiste pour le climat – dont je suis fan de longue date -, Greta Thunberg, et au selfie qu’elle a accepté de faire avec moi. Ma publication sur les réseaux sociaux a recueilli une grande visibilité, mais aussi un tombereau de moqueries et d’insultes à son égard, en particulier via Facebook ou Twitter.
Le tweet de M. Bertrand Wert
Welcome in Brussels @GretaThunberg 💚💜🇪🇺
— Bertrand Wert (@bertrandwert) October 28, 2021
One of the many advantages in using public transports, such as @STIBMIVB, is that you can meet great people & leaders of tomorrow!#GoGreta💪 #FridaysForFuture #Inspiration pic.twitter.com/RDSf5AZ7hc
Le tweet de l’opposant
Ici, le harcèlement constant, dont cette jeune adulte est victime, se limite à des moqueries et des insultes ; d’autres connaissent des discriminations liées au handicap, à l’origine, aux orientations sexuelles, au genre, à leur âge.
Ailleurs dans le monde, ce sont des activistes pour l’environnement et le climat qui sont physiquement violenté-es et assassiné-es. L’ONG Global Witness dévoilait en juillet 2020, que 2019 a connu le terrible record de défenseur-euses des droits à la terre et de l’environnement assassiné-es en une seule année : « 212 personnes ont été tuées en 2019 pour avoir défendu pacifiquement leurs maisons et s’être opposées à la destruction de la nature ». Telle la leader indigène Berta Cáceres qui a été assassinée au Honduras en mars 2016 par des tueurs à la solde de la société hondurienne Desarrollos Energéticos, pour s’être entre autre opposée à la construction d’un barrage sur le fleuve Gualcarque.
Bien entendu, toutes et tous nos concitoyen-nes ne souhaitent pas s’impliquer politiquement, et le cas échéant prendre des responsabilités publiques. Il ne s’agit là évidemment pas du seul moyen permettant d’apporter sa pierre à l’édifice pour promouvoir l’écologie. Nombre d’entre nous faisons plutôt le choix de la « société civile », autrement dit, préférons rejoindre des associations, fondations, syndicats, réseaux qui ont aussi leur importance essentielle et leur autonomie d’action.
Reste que l’un des moyens essentiels de l’action est les budgets, ou les business plans si on est entrepreneur-euses, qu’on peut arriver à trouver.
Des moyens d’action trop souvent ignorés : le programme STAFE, de Soutien au tissu associatif des Français à l’étranger
Pour le coup la communauté des Français-es vivant hors de France dispose d’un programme de soutien au tissu associatif. Géré à travers le monde par les postes consulaires, « dont l’objet est de nature éducative, caritative, culturelle ou d’insertion socio-économique et contribue au rayonnement de la France et au soutien des Français à l’étranger et des publics francophones », c’est en quelque sorte les budgets de subvention que les collectivités publiques, communes, villes, métropoles, départements régions ou État apportent à la société civile en métropole.
Ce budget, certes limité, est de 2 millions d’euros par année pour les quelques deux millions de Français-es qui vivent hors de France. En Belgique il est malheureusement structurellement sous-utilisé. Cette année encore, un seul projet a été déposé – pour la publication d’un Guide destiné aux entrepreneur-euses « Arriver et se développer en Belgique » –.
Cela malgré la publicité que peuvent en faire les autorités consulaires, les élu-es consulaires des Français-es de Belgique – cette année encore j’en ai aussi fait la promotion –, et ce a contrario de notre député du Benelux qui, comme sur d’autres sujets, est aux abonnés absents. Une approche commune et concertée de tou-tes les élu-es, et les institutions françaises en Belgique, aurait certainement plus de chance d’attirer l’attention et de motiver les Français-es de Belgique.
De votre côté n’attendez pas, sur ce sujet comme sur d’autres tournez-vous vers votre Consulat ou vos conseiller-es consulaires, ou conseille-res des Français-es de l’étranger.
Saisissez-vous de cette opportunité, contactez-nous et engagez-vous !
Laisser un commentaire